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L'Amateur de Sports

Publié le 09/02/2012

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Mine fleurie, large carrure, bras musclés, planté sur de solides jambes, Ballophile s'avance, tête haute, cheveux « à l'embusqué «, vers le terrain de son club. Ne vous y trompez pas : ce beau gaillard, à la démarche assurée, fier de sa force, n'est point exclusivement un équipier de marque, un spécialiste du ballon rond; s'il porte aujourd'hui des couleurs fameuses - dont il prétend accroître le prestige - il connaît encore tous les sports, anciens et modernes; et si quelque nouveau pousse demain, Ballophile sera des premiers initiés. De tous il a étudié à fond les règles compliquées; il peut, au pied levé, y exercer les délicates fonctions d'arbitre. Il en pratique un grand nombre avec un succès pareil.

« documentation de la semaine.

Sa bibliothèque est bondée d'ouvrages traitant de la culture physique.

Ceux du lieutenant Hébert l'ont dès longtemps en­ thousiasmé.

Ce volume richem~nt relié, qui éèlate entre tous, en devinez­ vous le titre? La Bruyère, dites-vous? Naïf! Ce sont les Mémoires de Georges Carpentier! ...

Si votre bonne ...

ou votre mauvaise fortune le met sur votre route, vous le reconnaîtrez sans peine.

Ce jeune homme qui, dans la compagnie, guette impatiemment l'instant où, par une manœuvre savante, il pourra aiguiller la conversation sur son thème favori, c'est lui.

Mais suivez mon conseil : munis­ sez-vous d'un interprète ou d'un dictionnaire anglais, son vocabulaire est pourri de mots et d'expressions importés d'Outre-Manche.

Rien n'est plus dé­ concertant, pour des Français vieux style,· comme vous et moi, que cette langue barbare qu'il.nomme sportive, et que j'appelle l'argot des sports.

Il est incomparable dans le récit des matches auxquels il a assisté ou participé.

Il a tout vu, tout entendu, tout retenu.

Il porte sur les joueurs, sur l'arbitre, sur le public, des jugements définitifs.

Toute son âme passe dans sa narration, il prend feu, son visage s'anime, ses yeux fulgurent, ses bras, ses jambes gesti- culent.

Inutile de vous déplacer : vous avez vu la partie.

· · Ne lui parlez pas de lettres, d'arts, de sciences ou d'histoire; de ces futi­ lités, il n'a cure.

Les romans de M.

de Montherlant : Le Paradis à l'ombre des épées et Les 11 devant la porte dorée ont cependant trouvé grâce devant lui.

C'est, prononce-t-il, le poème, la Bible de!! sports.

Interrogez-le, pressez­ le, demandez-lui le sens de telle page, de telle phrase, de tel mot, il reste court, mais admire avec intrépidité.

« L'admiration, affirmait une femme ..

célèbre, est le partage des sots.:.

Le nierez-vous, Ballophile'l Raphaël, Racine, .Pasteur, Taine, sont pour lui des inconnus, tout au plus de vagues noms.

Il sait, par contre, que tel champion adore les frites saupoudrées de persil haché et que tel autre ne boit que du Sauternes.

Des torses demi-nus, des .visages grimaçants tapissent les murs de sa chambre, transformée en .:Pan­ théon du sport.

Dans une cassette, il.

garde de précieux hiéroglyphes qu'il entoure d'un respect religieux.

169 célébrités sportives ont daigné apposer leur signature sur ces papiers qu'on leur tendait, à l'heure même de leur triomphe.

Et pour la centième fois, aussi ému qu'à la première, Ballophile .

déchiffre les noms.

de ses grands hommes ...

Ne lui parlez pas davantage de la politique, de la crise financière, du péril communiste, du fascisme, des dettes interalliées, de la conférence du désarmement ou de la Société des Nations.

Ces questions, que vous tenez pour graves, amènent sur ses lèvres une moue dédaigneuse.

J'entrepris ré­ cemment de l'y intéresser : peine perdue 1 Il me coupa la parole, prit l'offen­ sive en même temps que le bouton de mon paletot et ne le lâcha pas avant d'avoir exposé sa thèse - la seule qu'il ait jamais soutenue.

Il me prouva par raisons démonstratives que l'unique solution aux difficultés nationales et internationales, c'est la pratique obligatoire des sports pour tous les indi­ vidus et pour tous les peuples.

« Dans le désarroi actuel, assure-t-il avec une force qui ébranle les plus sceptiques, le seul terrain d'entente est le terrain de foot-ball; et pour conclure des arrangements durables, il n'est point de temps plus propice que la pause qui sépare deux parties de golf ..

M.

Briand et lloyd George l'avaient compris ...

Pourquoi, soupire-t-il, ces vrais hommes.

·d'Etat n'ont-ils pas fait école? ...

:.. »

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