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Lamartine définit la poésie comme "la langue complète, la langue par excellence, qui saisit l'homme par son humanité tout entière, idée pour l'esprit, sentiment pour l'âme, image pour l'imagination et musique pour l'oreille." Commentez.

Publié le 17/01/2022

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lamartine

La phrase de Lamartine suppose la poésie comme le lieu de l'élaboration d'une langue complète, qui s'oppose donc au langage de tous les jours : il n'en faut pour preuve que le vocabulaire poétique qui emploie le plus souvent, pour exprimer la même réalité, des synonymes du terme plus vulgairement usité, par exemple l'« onde « pour l'« eau «. C'est ainsi que l'on différencie sans peine, dès la première ligne, un poème de n'importe quel texte en prose : bien des éléments connotent la poésie. Comme le montre Paul Valéry dans ses Cahiers, il n'y a aucune commune mesure entre les forces que l'écriture organise et met en forme et le langage « utilitaire « : la poésie se place d'emblée dans un autre registre et, dès que le lecteur prend en main un recueil de poèmes, il accepte de sortir de son monde : les mots ne servent plus à lui procurer quelque objet dont il a besoin, mais leur emploi est par essence gratuit, désintéressé.

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« *** Ce pouvoir transcendant est-il néanmoins vraiment le propre du langage poétique ? A vouloir isolercette forme de création comme « complète » et parfaite, ne risque-t-on pas d'en faire un mondeautosuffisant, sans rapport avec la vie réelle? De fait, malgré les quelques termes qui la connotent*comme s'il fallait que le lecteur comprenne d'emblée qu'il ne lit pas de la prose et qu'il doit sedistraire du quotidien, il est évident que la poésie emploie les mêmes mots que la langue de tous lesjours.

Elle ne surgit donc pas sans la réalité, même si c'est pour s'y opposer, et Lamartine a tort devouloir gommer le rapport étroit que les deux mondes entretiennent : les auteurs antiques, derrièrePlaton et Aristote, ont beaucoup réfléchi sur «l'imitation de la réalité » à l'intérieur de la littérature.Le langage quotidien et la poésie portent en fait sur le même objet, et c'est ce qui donne à cettedernière son caractère ambigu : loin de peindre un autre monde, elle nous parle du nôtre avec des mots dont elle essaye qu'ils représentent au plus prèsles choses.

Ainsi le travail poétique peut-il corriger certaines aberrations de la langue commune.

A ce titre,Stéphane Mallarmé explique très bien la différence entre le «jour » et la « nuit » : la sonorité du mot « jour » estsombre, avec sa longue diphtongue, tandis que le i de « nuit » nous place d'emblée dans un climat de clarté.

Ilsemble donc que le poète reprenne les mots du vulgaire pour les rendre à leur véritable sens : s'il critique l'usagecommun, où le mot s'éloigne de plus en plus de la chose, il cherche surtout à faire en sorte que les mots fassentsens par leur substance même.

Et Mallarmé affirmait : «Ce n'est point avec des idées qu'on fait des vers.., c'estavec des mots.

» Par ailleurs, la poésie n'est pas le seul genre littéraire à recourir à tous les procédés que Lamartine semble luiréserver.

Parmi nos poètes, Charles Baudelaire, un des premiers, osa écrire des poèmes en prose, qui développentsouvent des thèmes qu'il a travaillés plus traditionnellement en vers : les courts textes des Petits poèmes en prose montrent la même richesse poétique que Les Fleurs du Mal.

Baudelaire rompt donc avec la tradition, certain que la distinction entre la prose et les vers n'est que partiellement valide.

Il revendique « une prose poétique » dans lapréface des Petits poèmes en prose, lui accordant le même crédit de musicalité que la poésie traditionnelle.

Par ailleurs, la poésie ne dédaigne pas d'user des techniques apparemment propres à la prose : elle est volontierspersuasive, selon les procédés rhétoriques communs, voire philosophique.

Les poèmes d'Alfred de Vigny connaissentde longs développements philosophiques, où il exprime une sagesse imprégnée de christianisme et de stoïcisme ;l'alexandrin* est d'ailleurs un vers très long (douze syllabes) qui ressemblerait presque à de la prose : aussi Vigny enfait-il le lieu d'une narration (dans «La Mort du loup») ou d'une méditation, comme Chateaubriand peut le faire à lamême époque en prose.

L'image du saisissement qu'exprime Lamartine semble donc un peu restrictive, puisqu'ellesuggère une manière de charme irrésistible.

En fait, il ne s'agit pas seulement, ou pas uniquement, d'envoûter lelecteur par la musique et la force du mot, mais encore d'en appeler à sa raison.

On peut donc opposer différentsgenres à l'intérieur même de la poésie.

Lamartine qui représente le courant romantique écrit une poésie personnelle,lyrique* et d'effusion, où il dépeint avant tout les sentiments et palpitations du coeur et centre le monde sur sonexpérience personnelle de la douleur ou de la joie.

Mais il existe une poésie engagée, comme celle d'Aragon quicherche à convaincre de la justesse d'une doctrine et invite autrui à s'y conformer. Ainsi, la poésie semble-t-elle non seulement user des mêmes techniques formelles que la prose, mais encorepoursuivre les mêmes objectifs.

A trop vouloir isoler cet art, parce qu'en apparence il se différencie davantage dulangage commun, ne risque-t-on pas de créer effectivement une langue si spécifique qu'elle ne sera plus accessibleau sens commun? Il existe de fait toute une tradition hermétique*, qui considère la poésie comme un tout autonomesans contact avec la réalité vulgaire, dans la pensée que celle-ci serait terre à terre et sans intérêt.

Pour un poètecomme Mallarmé, la poésie est la quintessence de la réalité, et il se libère à un tel point des contraintes du français,bouleversant la syntaxe et transformant l'ordre des mots, qu'il devient parfois obscur.

Toute une voie de la poésiemoderne cultive d'ailleurs cette obscurité délibérée.

Or, il semble légitime de vouloir s'arracher des contingences etdes conditions matérielles, dans la pensée qu'elles importent peu au respect de l'âme qui constitue notre humanité.Mais le poète qui refuse d'employer la langue commune et d'exprimer des objets réels court le danger de sombrerdans l'artificialité.

Lamartine a sans doute raison d'affirmer l'unicité de la poésie, qui se lit une fois encore dans saconcentration et dans l'économie extrême de ses moyens, mais l'idée de la langue complète, propre à ce genre, estun leurre.

Il vaut mieux en effet prendre fait et acte de la très grande diversité des paroles poétiques : car quellecommunauté de pensée doit-on voir entre un poème érotique d'Apollinaire et La Légende des siècles de Hugo? On doit reconnaître qu'il existe un très grand nombre de langages poétiques, selon chaque époque et selon chaqueauteur.

Les éléments du langage commun sont dosés de manière différente, tantôt plus rhétorique (les Discours de Ronsard), tantôt plus lyrique* (les poèmes de Jules Supervielle) : devant une telle profusion de formes et dethèmes, c'est au lecteur de décider de l'unicité de l'acte poétique, puisqu'il se met en état de lire de la poésie. *** La poésie est effectivement un art complet, qui fait appel à toutes les qualités de l'homme, sensibilité, réflexion,imaginaire.

Pourtant cet art complet n'est pas le seul à l'être.

Lamartine affirme la supériorité absolue de la poésiesur toutes les autres formes d'expression.

Sans même parler de tous les autres arts (musique, peinture, cinéma...),qui ont les mêmes exigences et prétendent toucher aussi toutes les facultés de l'homme, on ne peut pas dire qu'àl'intérieur de la littérature, la poésie soit la langue par excellence.

La création romanesque ou théâtrale a droit à autant d'honneurs, car il s'agit là encore d'élever l'homme et de se détacher le plus possible de l'utilitaire afin detrouver un sens satisfaisant aux choses.

La question se pose bien évidemment pour les tragédies classiques, écrites. »

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