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Lamartine à Aymon de Virieu, après une lecture de Chateaubriand

Publié le 10/02/2012

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lamartine

Mon Cher Ami,

Quelles tristes années nous traversons! Et qu'il est pénible, quand on se sent fort, et capable de réaliser les plus nobles ambitions, de se voir condamné à une mortelle inertie! Mes vingt ans, qui viennent de sonner et qui auraient dû marquer l'essor joyeux de mes espoirs, en ont tinté le glas; au lieu de m'arracher à la prison où je languis, ils m'ont rivé à ma chaîne. Tout me froisse, tout m'irrite, même et surtout ce qui pourrait me consoler. Tu connais la tendresse de mon admirable mère, la délicate affection de mes soeurs; je ne les puis endurer. Je me révolte quand on me plaint, je fuis quand on veut me retenir, quitte, en m'arrachant, à faire saigner les coeurs que je devrais le plus ménager. Et puis je m'enferme, farouche, dans la solitude et le silence.

lamartine

« Je lui sais gré, tout d'abord, d'avoir rompu hardiment avec la tradition antireligieuse du XVIII• siècle, d'avoir cherché «l'étincelle du feu sacré dans les débris du sanctuaire, dans les ruines encore fumantes des temples chrétiens ».

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artiste, en con~aisseur ~·~ son ~emp~.

sinon en philosophe et en theologien, que le sentiment rehg1eux, n abeht pas l'homme, mais mérite tous les respects; que le christianisme n'est pas ridicule et laid, mais beau et inspirateur de beauté.

Il a réhabilité la Bible, souillée par les mains sacrilèges d'Arouet; la cathédrale gothique, méconnue par un humanisme féru d'art païen.

Il a prouvé Dieu moins par ces raisons de la raison qu'ont invoquées les penseurs anciens comme les docteurs catholiques, que par les raisons du cœur, chères au divin Pascal.

Il a fait jaillir du sol chrétien des sources nouvelles de poésie, il a signalé au poète à venir des sujets inépuisables qu'un jour peut-être ton ami essaiera d'ex­ ploiter.

Après lui, j'ai rêvé de chanter, moi aussi, la Foi et ses grandeurs, la douce Espérance, qui seule nous rattache à cette vie sans bonheur, l'éternel Amour qui balbutie en ce monde les premières notes de l'hymne sans fin ...

Oui, moi, l'incrédule, le désespéré, le blasé, j'ai rêvé cela! ...

Une vraie conversion, mon cher Aymon.

Tu ne seras point surpris, néanmoins, si plus encore que le sentiment religieux, j'admire chez M.

de Chateaubriand son ardent amour de la Nature.

Il ne l'a point inventé et ne fait oublier ni Rousseau ni Bernardin de Saint-Pierre, mais il l'a singulièrement étendu et profondément trans­ formé.

Il ne peint pas les Alpes, comme le citoyen de Genève - on pour­ rait même lui reprocher d'avoir méconnu la montagne; -il ne nous trans­ porte point dans la nature exubérante des tropiques, comme l'auteur de Paul et Virginie; il célèbre sa Bretagne, mystérieuse et mélanco1ique, pays des chênes, des landes, des menhirs; sa vieille Armorique, riante en sa parure printanière, désolée en sa robe automnale, promontoire de granit sans cesse battu des vagues, sur lesquelles fuient nos rêves à l'infini; il nous dépeint avec une magnificence incomparable les immensités du Nord Amé­ ricain, les grands lacs, le Meschacebe, les solitudes blanches et les forêts millénaires.

J'admire en particulier ses paysages d'automne, ses couchers de soleil, ses impressions nocturnes, et ce que l'on pourrait appeler ses silences de la nature.

Non content de peindre tantôt avec force et tantôt avec grâce les spec­ tacles qui s'offrent à sa vue, M.

de Chateaubriand leur prête une âme frémissante.

Et là s'affirme son originalité foncière.

Ni Rousseau, ni Ber­ nardin n'avaient révélé cette âme de l'univers, à laquelle leur émule nous fait communier.

La Nature est pour lui la spectatrice éternelle de nos joies et de nos peines; tantôt témoin muet et impassible de la souffrance humaine, et tantôt la confidente de nos douleurs secrètes, l'inspiratrice de nos rêves, notre douce consolatrice, le médecin de nos âmes ulcérées, où elle verse le calme et la paix.

Nul n'a su comme le ;père de René nous plonger dans son sein maternel.

Aussi combien j'aime a le suivre, par un jour d'octobre, dans sa course errante, à travers les bois jaunis! Quel triste et charmant compagnon! Avec lui, je me suis arrêté sous le chêne solitaire, j'ai ouvert l'oreille aux tintements de la cloche sainte, j'ai suivi du regard les oiseaux !fiigrateurs et j'ai rêvé de m'envoler avec eux, avec lui, vers des rivages 1nconnus.

Mais ce qui m'a le plus frappé, en ma solitude rustique c'est la peinture fidèle de l'ame désenchantée de René.

Il est, entre la tristesse de ce héros et ma propre tristesse, de si intimes correspondances! Ses fièvres, ses souf­ frances, ses désespoirs, ses aspirations, j'ai passé par là! J'en subis encore le tourment déliCieux et maudit.

Comme René.

je sens amèrement la vanité de toute chose, l'inconsistance de l'homme, le néant des hochets qui l'amu­ sent.

Comme lui, j'éprouve un indicible dégoût pour.

tout ce qui change et finit, et une soif inextinguible de l'éternel, de l'absolu.

Avec lui je pour­ rais m'écrier, en toute sincérité : «Je cherche un bien inconnu dont l'ins­ tinct me poursuit.

Est-ce ma faute, si je trouve partout des bornes, si ce qui est fini n'a pour moi aucune valeur?» Je me sens isolé parmi la foule, « vaste désert d'hommes ».

Si je me réfugie dans la nature, aux .

heures de la désespérance, elle s'avère impuissante à me consoler et m'oppose une superbe indifférence.

Las, horriblement las de tout et de moi-même, j'éprouve comme le frère d'Amélie, une jouissance morbide à exaspérer mes chagrins;. »

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