LACLOS Pierre Ambroise Choderlos de : sa vie et son oeuvre
Publié le 08/01/2019
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Un officier au-dessus de tout soupçon
LACLOS Pierre Ambroise Choderlos de (1741-1803). Le scandale qui, en son temps et presque jusqu’au nôtre, entoura Laclos et les Liaisons dangereuses a aujourd’hui disparu. Restent deux énigmes : celle d’un écrivain amateur, produisant presque à son premier essai un chef-d’œuvre d’analyse psychologique et d’élaboration narrative; et surtout celle d’un roman par lettres à la signification ambiguë, prétendant condamner le libertinage du xvme siècle tout en l'incarnant dans la fascinante figure de Mine de Merteuil, une « Ève satanique » (Baudelaire); s’attachant moins peut-être à décrire l’affrontement du libertin et de la société que le dérèglement généralisé des principes de l’un et de l’autre. Bref, un roman dont « les ouvertures vers des interprétations opposées » (T. Todorov) ajoutent à un érotisme elliptique le plaisir plus moderne encore d’un incertain dialogue entre le texte et le lecteur.
La vie de Laclos ne livre guère le secret de son chef-d’œuvre. Officier de carrière, il écrit peu, et la tradition rousseauiste, dont il paraît se réclamer dans ses lettres ou ses rares ouvrages, ne s’exprime que de biais dans les Liaisons dangereuses. Né à Amiens dans une famille de petite noblesse, il choisit l'armée par vocation et l’artillerie par nécessité : c’est une arme « technique », et l’on n’y regarde pas de trop près à la naissance. A partir de 1763, la France est en paix, et Laclos, qui sort de l’École militaire de La Fère, doit subir une triste vie de garnison : Toul, Strasbourg, Grenoble — où, d’après une tradition accréditée par Stendhal, se seraient trouvés les modèles réels des Liaisons —, Besançon, Valence. Une carrière sans histoire, avec pour seule évasion des poèmes galants (les Désirs contrariés, les Souvenirs), des contes érotiques (la Procession, le Bon Choix), généralement publiés dans l'Almanach des Muses. Son Ernest ine, opéra-comique tiré d'un roman « sensible » de Mme Riccoboni, joué à la Comédie-Italienne, connaît un échec immédiat (1777).
LACLOS Pierre Ambroise Choderlos de (1741-1803). Le scandale qui, en son temps et presque jusqu’au nôtre, entoura Laclos et les Liaisons dangereuses a aujourd’hui disparu. Restent deux énigmes : celle d’un écrivain amateur, produisant presque à son premier essai un chef-d’œuvre d’analyse psychologique et d’élaboration narrative; et surtout celle d’un roman par lettres à la signification ambiguë, prétendant condamner le libertinage du xviiie siècle tout en l'incarnant dans la fascinante figure de Mme de Merteuil, une « Ève satanique » (Baudelaire); s’attachant moins peut-être à décrire l’affrontement du libertin et de la société que le dérèglement généralisé des principes de l’un et de l’autre. Bref, un roman dont « les ouvertures vers des interprétations opposées » (T. Todorov) ajoutent à un érotisme elliptique le plaisir plus moderne encore d’un incertain dialogue entre le texte et le lecteur.

«
rie
française de Naples, il meurt de la dysenterie à
Tarente, cette même année.
Depuis longtemps (cf.
ses Observations du général
Laclos sur le roman théâtral de M.
Lacretelle aîné,
1803), il songeait à un nouveau roman qui, à l'image du
Fils naturel de Louis Lacretelle ( 1802), eOt été.
cette
fois, «le roman des liaisons heureuses >> (L.
Versini).
Le roman par lui-même
Au siècle de Clarisse Harlowe et de la Nouvelle
Héloïse, le choix par Laclos de la forme épistolaire n'a
rien d'original.
Mais les Liaisons dangereuses vont plus
loin, en conférant à ceue forme une nécessité impliquée
par le contenu même du récit.
Car la lettre se donne ici
comme un élément constitutif de la stratégie libertine;
elle permet de nouer eL d'entretenir une « liaison>> que
le code social interdit d'établir au niveau de la parole, et
d'investir ainsi peu à peu l'« esprit» de la victime dési
gnée :« Vous m'entourez de votre idée plus que vous ne
le faisiez de "otre personne >> (lenre 66, Mme de Tourvel
à Valmont).
Cependant l'ambition explicite du libertin
n'est pas seulement de conquérir mais de perdre sa vic
time, de « publier>> sa déchéance et celle de la morale
qu'elle prétendait défendre en produisant dans le public.
sur le >, la lettre d'amour qui en portera
témoignage : > (lettre 20, Mme de Mer
teuil à Valmont).
Or, dans les Liaisons dangereuses,
cette stratégie échoue: la lettre d'amour de Mme de Tour
vel n'arrivera jamais (Laclos J'avait rédigée, puis à juste
titre supprimée), sinon sous la forme d'un délire épisto
laire (lettre 156) dicté au moment de sa mort par la
Présidente, qui échappera ainsi de justesse à la ; où, d'un château à l'autre.
chacun évolue en des décors identiques, qu'il est par
conséquent inutile de détailler.
Effacement qui valorise
le seul objet digne d'attention.
car toujours il se désire
el se renouvelle : la lettre.
De même se trouve soulignée
la distance qui sépare les correspondants au détriment
des lieux où ils se trouvent : distance «psychologique»
et nullement topographique, car on franchit comme un
trait les quelques lieues qui séparent de Paris le château
de Mme de Rosemonde.
lequel à l'inverse peut se disten
dre pour donner lieu à un échange de lettres : Valmont
et Mm• de Tourvel s'y écrivent d'une chambre à l'autre
(lettre 40).
Dans cet espace aussi réel qu'un échiquier,
seule compte la position des «pièces», leur capacité de
prendre ou d'être prises; d'où ces métaphores guerrières
fréquentes chez les libertins («une victoire complète,
achetée par une campagne pénible, et décidée par de savantes
manœuvres>> , lettre 125, Valmont à Mme de
Merteuil), qui sont celles aussi du joueur.
U pourrait toutefois sembler paradoxal de confier à la
lettre, écriture solitaire, la fonction de rendre compte
d'une vie sociale essentiellement orale, fondée sur la
conversation mondaine et la vie de salon.
Mais ce n'est
là pour Laclos qu'un paraître ritualisé, ce «grand théâ
tre »dont parle Mm• de Merteuil, tandis que le moi vérita
ble ne se donne à voir que dans le secret de ses lettres;
surtout le moi du libertin, que l'hypocrisie sociale
contraint à dissimuler.
Dédoublement vécu à son plus
haut degré par ces Valmont et Merteuil qui échangent
une correspondance scandaleuse tout en jouant pour la
galerie les amoureux et les prudes et qui empruntent aux
livres le naturel qui leur manque : «Je lis un chapitre du
Sopha, une lettre d'Héloïse et deux contes de La Fon
taine pour recorder les différents tons que je voulais
prendre » (Mm< de Merteuil à Valmont, Jeure 10).
Ce qui
leur confère une redoutable supériorité sur ces > (Mme de Merteuil à Valmont,
leure 113).
Face à la subtilité de ces analyses, la naïveté
de Cécile, marquée par le retour obsessionnel du mot
« bien >> («je vous aime bien ».
«je suis bien malheu
reu e », etc.) et le «je » mal assuré de M"'• de Tourvel
assaillie par des interrogations douloureuses : «Cet
empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserve
rai sur mes actions [ .
..
].
Ne vaut-il pas mieux pour tous
deux faire cesser cet état de trouble et d'anxiété?» (à
Valmont, leure 90).
Infériorité encore soulignée par la
juxtaposition des lettres portant sur un événement identi
que.
La bonne œuvre de Valmont racontée par celui-ci à
M'"" de Merteuil apparaît comme ce qu'elle est : une
manœuvre tactique (lellre 21), alors que Mme de Tourvel
la prend pour argent comptant (lettre 22).
Les Liaisons
apparaissent ainsi comme un récit à deux voix : d'un
côté 1 'illusion, de 1 'autre la vérité que détiennent les
seuls libertins et qui est comme le signe de leur pouvoir
sur le monde.
La transgression généralisée
, proclame Mm• de Merteuil dans
sa grande lettre autobiographique (lettre 81 ).
« Quelle
femme pourrait avouer être en correspondance avec
vous? >> demande Mme de Tourvel à Valmont (lettre 43).
La lettre est donc une transgression à la règle, tant celle
des libertins que celle des gens honnêtes, causant finale
ment la perte des uns et des autres.
L'accumulation d'une
correspondance explosive entre Valmont et M"'• de Mer
teuil instaure entre eux un véritable équilibre de la ter
reur : une fois celui-ci rompu, Valmont sera tué en duel
par Danceny (.
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