La violence dans La Femme Et Le Pantin de Pierre Louys
Publié le 25/07/2012
Extrait du document

Les pulsions de vie et de mort prennent une place essentielle dans le récit et sont inextricablement liées. Les pulsions de mort, autodestructrices, sont exacerbées par le rapport sadomasochiste qui unit les deux amants et s’expriment pleinement à travers la violence de cette relation. Ainsi, le désir de mort de Concha est-il avoué et fortement érotisé. Elle invite Mateo au meurtre sans détour : « Assassine moi donc ! «[21] ; « Dis-moi que tu me tueras «[22]. Elle écrit encore à Mateo en l’invitant à venir la surprendre dans le lit d’un autre : « Tu peux me tuer là si tu veux «[23] Chez Conchita, le fantasme de mort est intimement lié au fantasme sexuel. L’idée qu’elle pourrait pousser Mateo jusqu’au meurtre participe à son excitation, la pulsion de mort se pose donc véritablement en catalyseur du désir. La pulsion autodestructrice de Concha semble prendre le pas sur sa pulsion de vie contrairement à Mateo chez qui les figures d’Eros et Thanatos, si elles se manifestent également de façon violente, semblent plus équilibrées. « Si je me suis pas tué en rentrant chez moi, c’est sans doute parce qu’au dessus de mon existence déchirée, une colère plus énergique me soutint «[24]

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Ce n'est donc pas l'amour de Mateo pour Concha qui motive son obstination à vouloir la posséder mais sa propre perversion.
Et s'il tient volontiers Conchita pour unefemme cruelle et sadique, il ne se montre pas moins extrême dans son masochisme.
Il endure de Conchita les pires affronts mais revient inlassablement vers elle.Concha, si elle revendique des intentions plus nobles de fidélité et d'amour véritable, n'est pas moins perverse.
Elle se montre volontairement incohérente, confondantà plaisir Mateo sur ses sentiments.
Le premier baiser que les deux amants échangent est révélateur de ses constantes contradictions.
Elle s'offre brutalement àMateo et se reprend immédiatement après avec la même brusquerie :« Elle devança mon geste et posa vivement elle-même sa bouche brûlante sur la mienne […] La brusquerie de sa tendresse m'affola comme un breuvage […] Elle seleva.
« Non, dit-elle.
Non.
Non.
Allez-vous-en»[11]Elle se joue de Mateo en faisant constamment succéder ses refus à ses faveurs.Tout au long du récit, elle alterne serments d'amour et trahisons dans l'unique but de faire souffrir Mateo.
Elle prend un plaisir sadique à l'humilier et à attiser sacolère.
Elle fait parti de «ces êtres exquis et féroces pour qui la volupté du mal dépasse presque celle de la chair »[12].
Elle cherche par tous les moyens à soumettreMateo à sa volonté capricieuse, à faire de lui son pantin, son esclave.Ce besoin avide de domination, cette aspiration presque pathologique à une toute puissance est caractéristique de la personnalité sadique.
Les deux amants sont prisaux pièges de leurs propres perversions, avant tout motivés par une volonté narcissique de posséder et soumettre l'autre.
Le rapport de force ne peut donc s'inscrireque dans une relation de domination et de soumission.
C'est sur cette structure sadomasochiste qu'est construite toute la relation amoureuse.
Le « scénario pervers »
Conchita laisse libre cours à son imaginaire sadique et n'hésite pas à recourir à de nombreux stratagèmes pour réaliser ses fantasmes.
Ainsi, elle va jusqu'à mettre enscène une tromperie sous les yeux de Mateo, mêlant exhibition et sadisme, en feignant de s'unir au Morenito devant lui.
La scène, organisée dans ses moindresdétails, témoigne de la grande tendance à la théâtralité de Concha, nouvelle preuve de son sadisme.
En effet, Claude Balier dans sa Psychanalyse des comportementssexuels violents : une pathologie de l'inachèvement caractérise ainsi les comportements sadiques :« Ces comportements […] ont un caractère de franche mise en scène.
C'est un jeu et le terme de « scénario pervers » convient parfaitement par sa construction et saritualisation pour le définir.
»[13]Conchita use à plusieurs reprises de ces mises en scène, véritables rituels dans lesquelles elle a recours à un tiers pour alimenter son scénario pervers et réaliser sesfantasmes de domination sur Mateo à travers une relation triangulaire.
Elle va jusqu'à tromper Mateo dans le seul but qu'il la « surprenne » avec un autre homme, elleorganise en détail le « flagrant délit », laissant la porte déverrouillée et lui laissant soigneusement l'adresse de la chambre d'hôtel avec ces mots : « Viens donc !J'aurai peut-être la chance que tu me voies pendant une étreinte »[14].
La perversion de Concha est sans borne et c'est sans le moindre scrupule qu'elle impose ce jeusadique à Mateo.
Ce dernier y participe par ailleurs activement en remplissant à chaque fois docilement le rôle que Concha lui impose.
En effet il observera jusqu'aubout, avec une fascination perverse, la scène qu'elle organise avec le Morenito.
Il se rend également à l'adresse où Concha projette de le tromper.
On voit bien que lejeu ne pourrait se construire sans sa participation, il est donc tout aussi responsable que Concha du caractère destructeur de leur relation et, s'il apparaît comme unevictime, c'est seulement car c'est lui qui prend en charge le récit.La relation de Mateo et Concha est entièrement construite sur une logique sadomasochiste mais ce n'est que tardivement que la violence morale de leurs rapports semue en violence physique.« Les aspects existentiels de la structure masochiste-sadiste précèdent ses aspects sexuels »[15]Le passage à l'acte est très tardif et la violence est très longtemps réprimée, uniquement fantasmée par Mateo.
C'est la mise en scène de Concha avec le Morenito quicrée une rupture et permet le passage du fantasme à la réalisation.C'est ce qui fait éclater la « colère amassée jour à jour depuis plus de quatorze mois »[16] de Mateo, et lui permet d'enfin libérer sa pulsion destructrice par laviolence physique.
Le passage à l'acte de Mateo renverse tout à fait les rôles dans la relation sadomasochiste, renversement très courant que Freud qualifie de« retournement de la pulsion »[17].
On assiste alors à une mutation du rapport de force.
Concha se soumet alors à Mateo et quitte le rôle de persécuteur pour celui devictime.
Parallèlement, Mateo endosse le rôle de bourreau longtemps fantasmé et parvient enfin à assouvir le désir qui le taraude depuis plus d'un an : posséderConcha.
La passion agressive qui unit les amants apparaît ici dans toute sa dimension pulsionnelle.
II.
Roman de la passion, roman des pulsions
La passion destructrice que Pierre Loüys dépeint dans son roman est d'une grande violence et semble véritablement animée par des élans pulsionnels.Jérôme-Antoine Rony décrit les passions agressives comme un « réveil sans frein des instincts sexuels sous leur forme la plus élémentaire et la plus brutale »[18].C'est précisément ce type de passion réveillant des pulsions primitives dont Concha et Mateo font l'expérience dans La femme et le pantin.Ils sont entraînés dans un jeu pervers et dangereux par des instincts qui les dépassent.
Freud insiste sur le fait que « L'excitation pulsionnelle ne vient pas du mondeextérieur mais de l'organisme lui-même »[19], ce qui exclut toute possibilité de lui échapper.
Elle s'apparente au « besoin »[20], ce qui explique l'impuissance deConcha et Mateo face à leurs pulsions.
Eros et Thanatos
Les pulsions de vie et de mort prennent une place essentielle dans le récit et sont inextricablement liées.
Les pulsions de mort, autodestructrices, sont exacerbées parle rapport sadomasochiste qui unit les deux amants et s'expriment pleinement à travers la violence de cette relation.
Ainsi, le désir de mort de Concha est-il avoué etfortement érotisé.
Elle invite Mateo au meurtre sans détour : « Assassine moi donc ! »[21] ; « Dis-moi que tu me tueras »[22].
Elle écrit encore à Mateo en l'invitant àvenir la surprendre dans le lit d'un autre : « Tu peux me tuer là si tu veux »[23]Chez Conchita, le fantasme de mort est intimement lié au fantasme sexuel.
L'idée qu'elle pourrait pousser Mateo jusqu'au meurtre participe à son excitation, lapulsion de mort se pose donc véritablement en catalyseur du désir.La pulsion autodestructrice de Concha semble prendre le pas sur sa pulsion de vie contrairement à Mateo chez qui les figures d'Eros et Thanatos, si elles semanifestent également de façon violente, semblent plus équilibrées.« Si je me suis pas tué en rentrant chez moi, c'est sans doute parce qu'au dessus de mon existence déchirée, une colère plus énergique me soutint »[24]Les pulsions de vie et de mort semblent s'affronter ici avec une grande force mais c'est la pulsion d'autoconservation qui l'emporte.Ces pulsions sont sujettes aux mêmes destins que les tendances sadiques et masochistes et peuvent donc facilement subir le même « retournement ».
Destruction et autodestruction
Ainsi les pulsions autodestructrices des deux amants se muent-elles facilement en pulsions destructrices.
Les limites entre envie de mort et envie de meurtre sontsouvent floues et l'une appelle constamment l'autre.Mateo est aux prises dès le départ avec une pulsion presque irrépressible d'assassiner Concha : « Je doutais un instant si je l'étranglerais »[25].Il est effrayé par la force de cette pulsion destructrice, si grande qu'il doute de pouvoir la contenir : « J'avais peur de la tuer »[26].
Ce n'est qu'au prix d'un effortpresque insoutenable qu'il parvient à réprimer ces instincts primitifs : « La regarder dix secondes et me jurer que je ne l'assassinerai pas, c'était tout ceque ma volonté avait pu faire »[27].«Je l'étreignis, ne sachant moi-même si je voulais l'étouffer ou la ravir à quelqu'un d'imaginaire »[28]Son désir de la tuer s'apparente à une volonté de la posséder tout entière, de la ravir au monde pour mieux se l'approprier.Concha cherche de son côté par tous les moyens à détruire Mateo et s'étonne de l'échec de sa mise en scène d'une cruauté extrême :« J'étais venue […] savoir comment tu étais mort.
Je pensais que tu m'aimais davantage et que tu te serais tué dans la nuit »[29]Elle trouverait dans le suicide de Mateo la preuve irréfutable de son amour pour elle.
Chacun aspire donc à un absolu à travers cette violence, absolu d'un amourinconditionnel pour Concha, possession absolue de l'autre pour Mateo.Ils se complaisent tous les deux dans cette illusion d'un amour qui irait jusqu'à la mort, auquel il n'est pas humainement possible de survivre tant il est puissant.Concha dit d'ailleurs à Mateo «Si tu me quittes, je serai comme morte.»[30].
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