« La Terre n'est qu'une quenouille que filent lune et soleil Et je suis le paysage échappé de ses fuseaux »
Publié le 07/06/2015
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Jules Supervielle (1884-1960), poète, romancier et dramaturge français est auteur d'une poésie très typique, hantée par l'angoisse de l'absence et le sens du mystère. Dans ses poèmes, la rêverie personnelle atteint souvent une dimension cosmogonique. Il a une manière bien à lui de considérer l'espace et le temps. Onze poèmes de Gravitations (1925, 1932) sont rangés sous la troisième des neuf sections « Le coeur astrologue ». L'importance qu'il accorde au rêve est la seule chose qui le lie au mouvement surréaliste ayant le vent en poupe dans les années 20-30. Bosquet (1956) intitule un de ses articles « Jules Supervielle ou l'amitié cosmique ». L'étymon du cosmos originel est relié à l'ordre du monde. Dans sa signification actuelle, il est plutôt univers à l'exception de la terre. Dans d'autres disciplines, il est la terre habitée depuis l'origine. L'amitié cosmique était une philosophie présocratique très ancienne (antécédente à Socrate), empreinte de métaphysique, dont Aristote a gardé la notion des quatre éléments de base : air, eau, terre, feu. L'on dit de Paul Eluard qu'il est le poète air-feu par opposition à Supervielle qui serait plutôt le poète air-eau, faisant référence à une combinaison « alchimique » plus fluide dans l'écriture. Sa vision de l'univers est d'ailleurs d'une géométrie très aristotélicienne, qu'il parvient tout de même à muer en plus de 70 tableaux impressionnistes, de dimensions variées : « La Terre n'est qu'une quenouille que filent lune et soleil Et je suis le paysage échappé de ses fuseaux » L'univers tellement grandiose et complexe, affublé de chiffres astronomiques à l'infini, restera un grand mystère pour la Science et les physiciens reconnaissent humblement qu'il leur est définitivement 'voilé'. Pour eux, il est plus qu'une sorte de fantôme qui prendrait plaisir à cacher son identité. C'est un peu sur ce registre que nous le dépeint Jules Supervielle. Il est donc à cet égard un conciliateur des théories anciennes et des théories plus modernes. Cela accentue le sentiment de perte dans des grands espaces, espace intersidéral, espace d'idées éparses, espace intérieur, dont il va tenter de réunir les innombrables fragments. « Comme au fond d'un télescope L'homme accueille les aveux de sa pensée spacieuse » Son travail est effectivement un travail de construction, une construction quasi-transcendantale. L'on dit de lui qu'il a construit des ponts dans l'espace. En filigrane, nous détectons évidemment un questionnement existentiel car la poésie est simple, transparente et non dénuée d'inquiétudes, des gouffres d'angoisse trouvent échos en nous, modestes terriens. Il y a donc une déconstruction de l'être à reconstituer, ce à quoi nous sommes invités également. Alain Bosquet note à propos de Gravitations : « Drame du doute ? Angoisse de l'homme devant le néant ? Présages funestes ? Apocalypse qui mène à la destruction de la vie même ? » Sans doute. Il continue : « Assurément mais débarrassés de leurs cris, de leur rage, de tout ce qui dans la tristesse peut être panique. "Un sac de ciel sur la tête", Jules Supervielle apprivoise la terreur [...] Dès lors, les pires menaces sont en sa compagnie de vrais enchantements ». Notre analyse de ces propos permettra d'approfondir quelques extraits corroborant cette appréciation. Et, tout en fouillant, peut-être détecterons-nous d'autres interprétations de sens que nous ne manquerons pas de mettre au jour, souhaitant de tout notre esprit ne pas déchanter. Amitié cosmique D'où a bien pu naitre la rêverie astrale de Supervielle ? Il paraitrait, d'après C. Sénéchal, qu'après la lecture d'un livre intitulé Le ciel (1921), aux éditions Hachette, faisant état de dernières découvertes astronomiques, notre poète aurait obéi à une irrésistible impulsion d'écrire Gravitations en 1925. Néanmoins, dans ses poèmes précédents, ce genre de rêverie s'ébauchait. Le cosmos étant toute chose existante, dans son sens le plus large, on peut réellement parler d'amitié avec le cosmos, manifestée par ce naturaliste poète, pétri d'humilité devant tant de beauté et d'organisation, au ciel comme sur la terre. Toutes sortes d'animaux, en particulier des quadrupèdes, errent dans son univers qu'il créé fantasmagorique : « les bêtes de mon enfance et de la Création... ». Il fait du ciel et de la terre un TOUT fonctionnant comme de grands vases communicants où les frontières physiques sont annihilées (idem « Les murailles intérieures »). Il est un passeur, il nous ménage des passages, en particulier, un passage entre deux milieux. Ce n'est pas sans rappeler la vision de Jacob dans la Bible (Genèse XXVIII, 12) ; faisant un rêve, il voit une échelle placée sur la terre, atteignant les cieux les plus lointains et des anges montent et descendent sur elle, anecdote que Saint Jean re citera et commentera au 1er siècle (I, 51) dans le sens d'une réconciliation cieux-terre. Supervielle imagine même un échange de pensées entre les deux éléments qu'il anime à la façon d'un conte (« défendant aux étoiles de pousser un seul cri... Qu'on reconnait à quelque petit cillement » ; « Une étoile tire de l'arc »), comme dans son poème Sans murs, les derniers vers : « La mer dans un coin du globe compte, recompte ses vagues Et prétend en avoir plus qu'il n'est d'étoiles au ciel ». Ce Sans Murs était, de son propre aveu, le premier titre qui lui était venu à l'esprit avant Gravitations, expliquant qu'il voulait, à son insu d'abord, écrire à la fois des poèmes d'intérieur et d'extérieur ; « désir d'abattre les murailles et pourtant de laisser aux espaces infinis un goût profond d'intimité ». De fait, le rêve supervillien en général cherche avant tout dans sa poésie un centre autour duquel gravitent des hésitations et des questionnements infinis. « La gravitation poétique repose ici sur des mouvements antagonistes et complémentaires d'intimisation et d'expansion, de descente et d'élévation, de projection et d'introjection » . Gravitations au pluriel parce que dépassant le réel et l'univers matériel mais avec une même régularité circulaire. Drame du doute ? Doute dans la syntaxe : Le doute se perçoit au coeur du langage : le poète n'apportera pas de réponse définitive à ses troublantes questions, comme exprimé aussi dans d'autres recueils qui traduisent son état d'esprit : « Les lettres s'effaçaient seules au tableau noir S'il vous arrivait d'ouvrir des livres sur des rayons Voilà qu'ils apparaissaient avec leur texte changé » A la recherche d'un sens, la grammaire textuelle semble souvent préférer la relation de cause à effet à la simple juxtaposition des propositions. Le texte recourt donc fréquemment aux connecteurs marquant la cause ou la conséquence comme par exemple dans le Miroir des morts (5ème section), les deux alexandrins suivis chacun...
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espace d’idées éparses, espace intérieur, dont il va tenter de réunir les innombrables
fragments.
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Son travail est effectivement un travail de construction, une construction quasi-
transcendantale.
L’on dit de lui qu’il a construit des ponts dans l’espace 5
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En filigrane, nous
détectons évidemment un questionnement existentiel car la poésie est simple, transparente et
non dénuée d’inquiétudes, des gouffres d’angoisse trouvent échos en nous, modestes terriens.
Il y a donc une déconstruction de l’être à reconstituer, ce à quoi nous sommes invités
également.
Alain Bosquet note à propos de Gravitations : « Drame du doute ? Angoisse de l’homme devant le
néant ? Présages funestes ? Apocalypse qui mène à la destruction de la vie même ? » Sans doute.
Il
continue : « Assurément mais débarrassés de leurs cris, de leur rage, de tout ce qui dans la tristesse
peut être panique.
“Un sac de ciel sur la tête”, Jules Supervielle apprivoise la terreur […] Dès lors, les
pires menaces sont en sa compagnie de vrais enchantements ».
Notre analyse de ces propos permettra d’approfondir quelques extraits corroborant cette
appréciation.
Et, tout en fouillant, peut-être détecterons-nous d’autres interprétations de sens
que nous ne manquerons pas de mettre au jour, souhaitant de tout notre esprit ne pas
déchanter.
I.
Amitié cosmique
D’où a bien pu naitre la rêverie astrale de Supervielle ? Il paraitrait, d’après C.
Sénéchal 6
, qu’après la lecture d’un livre intitulé Le ciel (1921), aux éditions
Hachette, faisant état de dernières découvertes astronomiques, notre poète aurait
obéi à une irrésistible impulsion d’écrire Gravitations en 1925.
Néanmoins, dans
ses poèmes précédents, ce genre de rêverie s’ébauchait.
Le cosmos étant toute chose existante, dans son sens le plus large, on peut
réellement parler d’amitié avec le cosmos, manifestée par ce naturaliste poète,
pétri d’humilité devant tant de beauté et d’organisation, au ciel comme sur la
terre.
Toutes sortes d’animaux, en particulier des quadrupèdes, errent dans son
55 Cf .
Rilke (son ami).
66 Sénéchal, Chr., 1939, Jules Supervielle, poète de l'univers intérieur , éd.
Flory, Paris, p.
144.
2.
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