La temporalité dans Bérénice

voir et d'entendre ; ainsi en est-il de Rome, de son histoire, de ses leçons. Aujourd'hui que Rome s'impose à nouveau au regard de Titus (v. 467), l'amnésie dans laquelle lui et Bérénice s'étaient réfugiés, n'est plus possible :

[...] N'es-tu pas dans ces lieux

Où la haine des rois, avec le lait sucée, Par crainte ou par amour ne peut être effacée ?

(v. 1014-1016).

Au contraire, chacun des deux personnages se rappelle très bien qu'au moment de leur première rencontre il connaissait la loi de Rome. Ils savaient tous deux qu'ils devraient un jour y céder. Titus le dit aux vers 1021-1022 et Bérénice aux vers 1065-1066. En plus, cette loi est particulièrement indiscutable puisqu'elle est très ancienne. Sa durée garantit sa valeur. C'est ce que rappelle longuement Paulin à Titus dans la scène 2 de l'acte II. Titus lui-même le rappellera à Bérénice (v. 1158-1168) pour la convaincre.

Désormais donc, le futur ne peut plus ressembler au présent et au passé.

Le futur

Maintenant pour Titus, pour Bérénice, pour Antiochus, regarder lucidement le futur c'est justement admettre qu'il n'y a plus de durée possible, plus de lendemain pour l'état amoureux tel qu'ils l'ont vécu et partagé dans la longue période précédente; d'où l'abondance des mots ou des expressions qui clôturent le temps, les « adieu » ou les « pour la dernière fois » plusieurs fois répétés. Enfin, au vers final, ils sont prononcés vraiment pour la dernière fois par Bérénice : « Pour la dernière fois, adieu, Seigneur.» Cette fois, le silence est définitivement imposé, l'amour tel qu'on l'a vécu précédemment est terminé. La pièce s'achève.

On fera toutefois une dernière remarque. Si nous avions affaire à des personnages ordinaires, après une telle fin, peu à peu le temps aidant, l'oubli s'installerait. Arsace d'ailleurs ne manque pas de signaler à Antiochus que Bérénice pourrait oublier Titus (v. 942-943). Penser que l'oubli va faire son œuvre pourrait rendre le futur plus facile.