La structure du roman Jacques le fataliste de Diderot
Publié le 08/01/2020
                            
                        
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                                chemin les amène à séjourner dans la région où demeurent les parents nourriciers de l’enfant (fils naturel du chevalier de Saint-Ouin), le maître saisit cette occasion pour leur rendre visite : « Ce n’est pas loin de l’endroit où nous allons; et je profite de la circonstance pour payer à ces gens ce qui leur est dû, le retirer, et le mettre en métier» (p. 315-316). Les «affaires» constituent donc le but premier, principal, du voyage; la mise en apprentissage du bâtard2 en est le but secondaire et occasionnel.
2. Mais, dans la manière de les présenter, Diderot inverse ces raisons. Il ne fait pas du but premier (les «affaires») le sujet principal de son roman. Son refus obstiné et ironique d’indiquer la nature de ces «affaires» dépouille le but premier du voyage de toute consistance et de tout intérêt pour le lecteur. Leur importance s’amoindrit d’autant plus que leur règlement ne termine pas le roman. Le fait que le roman se poursuivre encore pendant une bonne dizaine de pages a pour conséquence que le but secondaire du voyage (la mise en apprentissage du bâtard) devient, pour le lecteur, le but principal. Diderot inverse ainsi l’ordre des priorités : ce que le maître considère comme essentiel devient (pour le lecteur) le moins important. Cette inversion des priorités nous avertit de ne pas prendre ce voyage pour l’objet principal du roman.
LA VIE ET LES AMOURS DE JACQUES
Sur Jacques, sa vie et ses amours, Diderot fournit en revanche beaucoup plus de détails. La difficulté tient, là encore, à la manière dont il présente les faits. D’un côté, il dilate le temps du récit : de brefs épisodes de la vie de Jacques sont amplement racontés, tandis que de longues périodes sont résumées en quelques lignes : les douze premières années de l’enfance de Jacques occupent à peine deux pages (p. 153-154), alors que son initiation sexuelle est évoquée pendant vingt et une pages (p. 239 à 260).
2. Bâtard (mot devenu péjoratif) : enfant que son père naturel n’a pas officiellement reconnu.
LES INTERVENTIONS DE DIDEROT
Alors que dans un roman traditionnel (comme par exemple ceux de Balzac, de Flaubert ou de Zola), l’auteur prend grand soin de se dissimuler derrière ses personnages, Diderot multiplie les interventions à la première personne. On peut ranger ces interventions en quatre grandes catégories.
• Première catégorie : Diderot intervient pour cautionner ou non tel ou tel épisode du récit. Il se porte ainsi garant de l’exactitude des propos rapportés : «Telle fut à la lettre la conversation du chirurgien, de l'hôte et de l’hôtesse» (p. 71). Ou encore il atteste l’authenticité de l’histoire de Mme de La Pommeraye : «Je le sais par les voies les plus sûres», écrit-il (p. 198). Mais, à l’inverse, Diderot refuse de démêler le faux du vrai quand il déclare par exemple à son lecteur : «Soyez circonspect si vous ne voulez pas prendre dans cet entretien de Jacques et de son maître le vrai pour le faux, le faux pour le vrai. Vous voilà bien averti, et je m'en lave les mains» (p. 99). Toute cette série d’interventions a donc
                                «
                                                                                                                            1 La 	date 	et 	la 	destination 	géographique 	
Blessé 	au 	genou 	lors 	de 	la bataille 	de 	Fontenoy, 	qui 	eut 	lieu 	le 	
11 	mai 	17 45, 	Jacques 	affirme 	boiter 	depuis 	"vingt 	ans» 	(p.
                                                            
                                                                                
                                                                    	397).
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	
voyage 	est 	donc 	censé 	se 	dérouler 	en 	1765.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Il est 	plus 	difficile 	de 	préciser 	où 	se 	rendent 	Jacques 	et son 	maître, 	
parce 	que 	Diderot 	prend 	un 	malin 	plaisir 	à désorienter 	ses 	lecteurs 	et 	
refuse 	de 	dire 	tout 	net 	où 	vont 	ses 	personnages.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	nom 	de 	la ville 	de 	
Conches 	(p.
                                                            
                                                                                
                                                                    	63 	et 	67) 	permet 	toutefois 	de 	penser 	qu'il 	s'agit 	de 	
Conches-en-Ouche, 	en Normandie, 	région 	que 	Diderot 	connaissait 	bien.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
1 Les 	épisodes 	du 	voyage 	
Force 	est 	de 	reconnaître 	que 	ce 	voyage 	est 	très 	peu 	intéressant.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Pendant 	les 	neuf 	jours 	qu'il 	dure, 	il ne 	se 	produit 	aucun 	événement 	
marquant.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Les 	principaux 	épisodes 	en 	sont 	les 	suivants 	: la rencontre 	
d'un 	chirurgien 	et 	la 	halte 	dans 	l'auberge 	aux 	brigands 	(voir 	Je 	
résumé 	de 	la 2e journée); 	le passage 	d'un 	convoi 	funèbre 	et d'une 	
troupe 	armée 	(4e 	journée); 	la récupération 	de 	la montre 	oubliée 	et de 	
la bourse 	perdue; 	les 	fantaisies 	du 	cheval 	du 	bourreau 	(4e 	journée); 	
puis, 	de 	nouveau, 	une 	halte, 	très 	longue 	cette 	fois, 	dans 	une 	auberge 	
(5e, 	5e et 7• journées).
                                                            
                                                                        
                                                                    	Il ne 	s'agit 	en 	définitive 	que 	de 	mésaventures 	
sans 	grande 	importance.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Si Jacques 	le Fataliste 	est 	un 	roman 	de 	la 	
route, 	du 	voyage, 	ce 	n'est 	en 	aucun 	cas 	un 	roman 	d'aventures.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
1 Les 	raisons 	du 	voyage 	
Pour 	ne 	pas 	se 	perdre 	dans 	les 	méandres 	du 	roman, 	il faut 	distin	
guer 	deux 	choses: 	premièrement, 	ce 	qui, 	dans 	l'esprit 	du 	maître 	de 	
Jacques, 	justifie 	le 	voyage 	et, 	deuxièmement, 	la 	manière 	dont 	
Diderot 	narrateur 	présente 	les 	raisons 	du 	maître.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
1.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans 	l'esprit 	du 	maître, 	le voyage 	a un 	double 	objet.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	maître 	
de 	Jacques 	voyage 	d'abord 	pour 	"affaires 	1 "· 	Puis, 	comme 	leur 	
1.
                                                            
                                                                                
                                                                    Diderot 	écrit 	: "Est-ce 	que 	le maître 	de Jacques 	disait 	ses 	affaires 	à tout 	le monde? 	[ ...
                                                            
                                                                                
                                                                    ]Se 	terminèrent-elles 	bien, 	se terminèrent-elles 	mal? 	C'est 	ce que 	j'ignore 	encore" 	(p.
                                                            
                                                                                
                                                                    316).
                                                            
                                                                                
                                                                    	
PROBLÉMATIQUES 	ESSENTIELLES 	45.
                                                                                                                    »
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