Devoir de Philosophie

La Statue de sel, Albert Memmi Commentaire composé du chapitre VIII : « Ginou »

Publié le 16/08/2012

Extrait du document

La catégorie des jeunes filles familières à laquelle s’oppose clairement celle des inaccessibles que nous venons d’observer, est constituée par les voisines et les parentes du narrateur. Ce sont l’ensemble des jeunes filles qui auraient accepté Alexandre mais qui pourtant le laissaient indifférent. L’auteur en dresse alors un portrait péjoratif, exagéré, qui tend vers la caricature et attaque de très nombreux aspects et traits de caractère de ces jeunes filles : « Mes voisines, mes parentes se fardaient mal, trop, avaient les cheveux roussis par des indéfrisables bon marché, portaient des robes ma coupées, plus longues devant que derrière, aux couleurs voyantes, surchargées de parements, plis et fanfreluches, qui en faisaient des ballots mal ficelés. « (p. 195) Dans un premier temps, il s’attaque donc à l’aspect physique de ces femmes, les décrivant comme exagérément maquillées et habillées ; il ressort d’ailleurs de cette description un effet de saturation qui s’oppose nettement à la description faite des jeunes filles bourgeoises que nous venons de voir où tout semble être fait dans la mesure et la sobriété : elles se maquillent « avec discrétion «, sentent « le parfum léger «, etc.…  Le narrateur ne se contente toutefois pas de critiquer l’allure des jeunes filles qui lui sont si « familières «, il en dresse un portrait intellectuel et moral sévère : « Femelle à destinée ménagère, leur ignorance, leur inculture me coupaient définitivement d’elles. « (p. 195) De plus, le narrateur semble également éprouver une sorte de pitié à leur égard : « J’avais beau les excuser, les plaindre, je m’ennuyais en leur compagnie. « (p. 195)

« Ginou, il se sent également fier d'avoir enfin touché une jeune fille après avoir tenté de l'embrasser, il se sent maintenant un peu comme les autres garçons quisemblent avoir de l'expérience dans ce domaine : « Je me sentais fier d'une promotion nouvelle, une accession dans un monde d'initiés.

» (p.207)Ce chapitre permet également de mettre en relief l'exclusion du narrateur, malgré tous ses efforts pour s'intégrer au milieu bourgeois.

Quand il parle des ces joliesbourgeoises inaccessibles, Alexandre parle « des autres », celles différentes de ces parentes et voisines, mais aussi celles qui lui sont étrangères, qui sont extérieurs àson monde.

Il dit se sentir « coupé d'elles » à cause de sa pauvreté.

« Cette vie à l'écart de la compagnie féminine ne fut pas une des moindres causes qui donnèrent àma jeunesse cette austérité maladive, étouffante, dont j'étais fier.

» (p.196) Le narrateur n'est guère familier de l'univers féminin puisqu'il a toujours fui les jeunesfilles issues de son milieu (« Il m'aurait été impossible d'embrasser une fille de mon milieu.

» (p.195)) et qu'il considérait jusqu'alors les jeunes filles de milieu aisécomme inaccessibles.

De plus, même lorsque les amis de Ginou, tous bourgeois, lui montrent du respect et de la considération, le narrateur se sent à étroit et mis enmarge, comme s'il lui était impossible de trouver sa place : « Les autres me témoignaient les même égards qui me laissaient sur ma faim.

Malgré mes satisfactions devanité, sans me l'avouer, j'aurais préféré une égalité affectueuse à cette révérence intellectuelle qui m'excluait.

» (p.

199) À cela s'ajoute aussi le fait que Ginou tendquelque fois à maintenir voire à renforcer cette sensation d'exclusion puisque son comportement lorsqu'elle est en présence de ses amis et du narrateur contribue àmarquer un fossé entre ces deux mondes : « Dès que nous étions en groupe, Ginou ne faisait plus attention à moi.

Elle reprenait ses jeux, ses agaceries, ses allusionsaux menus faits de l'existence bourgeoise, qui me la rendaient étrangère.

Me détachant d'elle, de ses camarades, je me demandais s'il m'était possible de courtiser cettefille si différente de moi, si semblable à eux.

» (p.201-202) Ginou pose également une barrière sociale claire entre elle et Alexandre : ils doivent tous deux attendrequ'Alexandre soit devenu médecin, donc qu'il se soit élevé socialement, pour pouvoir se montrer ouvertement ensemble, Ginou doit en effet maintenir « saréputation » : « Elle me demanda de ne rien dire à personne, absolument personne.

Nous devions attendre que je sois médecin, ses parents n'accepteraient jamais ungendre sans situation.

» (p.

208) Bien qu'elle semble être admirative de son intelligence, il semblerait que Ginou ressente également quelque honte à avoir unerelation avec un jeune homme issu d'un milieu différent car modeste.

Ici, ce qui confirme la crise identitaire du narrateur est avant tout le fait qu'il soit d'accord aveccette volonté de Ginou : « Je répondis avec gravité qu'elle avait raison […] » (p.

209), il considère ici le fait d'être rejeté en tant que tel comme normal (« […] celamême la prouvait sensée.

» (p.209)). Nous cherchions donc à montrer comment le déchirement né de l'origine sociale et culturelle du narrateur transparaissait au travers de sa vision des femmes.

Lemilieu des jeunes filles bourgeoises, auquel aspire le narrateur, est ici représenté par le personnage de Ginou et perçu par Alexandre comme un ensemble de jeunesfilles inaccessibles puisqu'elles sont « les autres », celles qui s'opposent aux « familières », parentes et voisines d'Alexandre avec qui il a grandi et qu'il se plaît àcaricaturer.

Son attirance pour ces jeunes filles bourgeoises semble en réalité être née de cette opposition.

Ginou, elle, est le stéréotype parfait de l'idée que se fait lenarrateur de la jeune bourgeoise, il l'idéalise : elle est belle, a de l'éducation, et surtout, elle est issue d'un milieu aisé ! C'est d'ailleurs cette différence d'origine socialequi constitue le principal fossé séparant les deux personnages.

Cette vision bipolaire du monde féminin que se fait le narrateur montre bien le déchirement, la ruptureintérieur de celui-ci : il rejette ses origines et souhaite intégrer ce milieu bourgeois représenté par Ginou mais se sent toujours mis en marge.

Il est incessammentpartagé entre un sentiment d'humilité et de fierté, mais surtout, il se sent toujours à l'écart, incapable de trouver sa place dans cette relation et dans cet univers.Ce chapitre du roman peut être mis en perspective avec le chapitre intitulé « Le quartier », dans la troisième et dernière partie du roman, où le narrateur nous raconteses premières expériences sexuelles dans un quartier de prostitution : il y brosse là un portrait de la femme et des expériences de l'amour plutôt trivial qui trancheassez nettement avec ce chapitre « Ginou » qui véhicule lui une certaine vision de l'idéal féminin…. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles