« La solitude, ses agréments, son utilité, ses dangers ».

« Encore s'ils étaient moins seuls, leur attitude pourrait se justifier dans une certaine mesure.

Mais il n'en est rien.

L'être qui s'ennuie avec lui-même s'ennuie avec les autres.

Où qu'il aille, il reste seul.

" Il n'est pas bon que l'homme soit seul » lit-on aux premières pages de la Bible.

Pourtant, un philosophe a écrit : " Chaque fois que je suis allé parmi les hommes, j'en suis revenu moins homme » ou quelque chose de ce genre.

Or il n'y a pas contradiction entre les deux apophtegmes (1).

Peut-on soutenir que se perdre parmi les camarades de travail, fréquenter les habitants de son ensemble immobilier, attirer chez soi les figurants du petit écran favorise la communication des idées dont on fait aujourd'hui une panacée? On peut être solitaire au milieu d'une foule.

A voir et à entendre les personnes interviewées à l'improviste dans une rue de nos villes sur un événement d'actua­ lité, on s'aperçoit à quel point nos concitoyens ont peu à dire, presque rien, du moins de leur propre fonds.

Et dans les autres pays, il en va de même.

A l'inverse, l'isolé, l'artisan des villages, le paysan resté à sa terre, étonne toujours par la profonde et originale sagesse de ses propos.

Il est accoutumé à vivre presque seul, à penser par lui-même et il ne s'en plaint pas.

C'est la source de sa joie.

Il n'est certes pas mauvais d'échanger avec d'autres, pensées et sentiments.

Encore faut-il que le dialogue soit de quelque utilité.

Cela arrive entre personnes post des connaissances ou des émotions à partager, un peu de soi à donner.

Celui qui a pris l'habitude de se recueillir, ne filt-ce qu'un instant dans sa jour­ née, qui s'est réservé une certaine distance avec les choses de la vie, celui-là peut communiquer véritablement avec autrui; A l'in­ verse de l'angoissé qui se roule dans la mase pour oublier et ne rencontre souvent qu'une nouvelle solitude plus désespérante, l'homme qui sait se garder au milieu du carrousel de l'existence pose la maîtrise néc esire à l'action, peut seul offrir à ses contemporains ce qu'ils réclament d'attention et d'amour.

Croit-on pouvoir évacuer ses inquiétudes en se livrant au nombre? L'illusion d'un moment met parfois un écran devant vos yeux, mais il est si fragile qu'il se déchire à la première agres­ sion.

L'addition de mille angoisses ne donne pas une sérénité, alors qu'un seul ancrage de paix résiste à dix assauts.

( 1) c'est -à-dire: entre deux pensées.. »