La séduction de Dom Juan, jeu de pouvoir discursif chez Molière, ou la tragédie de la noblesse
Publié le 05/10/2013
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2 sont la vengeance et le respect de la parole donnée, mais non la soumission à une loi sociale,
politique, religieuse ou morale.
La séduction de Dom Juan consistera donc essentiellement à
jouer des pouvoirs de son paraître nobiliaire pour restaurer un désordre ancien, pour ferrailler
contre un ordre social qui tente de le soumettre à un discours moral ou religieux supposé
supérieur.
Et pour ce faire, puisqu’elle est de nature guerrière, sa séduction pourra se ramener
à un certain nombre de stratégies.
Première stratégie : l’esquive hautaine
Le noble comme le guerrier n’a pas à se justifier, à répondre aux injonctions d’un
quelconque discours moralisant ou prescriptif.
C’est bien entendu surtout le cas lorsque ce
discours est tenu par son valet.
Face à Sganarelle, Dom Juan usera, soit de la menace
marquant sa supériorité sociale, soit le plus souvent d’une pirouette stratégique lui permettant
de ne pas répondre aux questions que son valet lui pose.
Certes, à la scène 2 de l’acte 1 il
explique d’abord son goût pour les femmes par une mise en parallèle de la conquête
amoureuse avec la conquête militaire, dans la tirade à laquelle j’ai déjà fait allusion.
Mais
outre qu’il s’agit de la seule tirade dans laquelle Dom Juan semble expliquer plus que justifier
son comportement, cette tirade, dans la deuxième scène de la pièce, joue surtout un rôle
programmatique, nécessaire pour la compréhension du personnage par le public.
Et de plus on
n’a pas assez souligné que lorsqu’il s’aperçoit qu’il s’est laissé aller à répondre aux questions
de son valet, Dom Juan s’empresse soudain de pousser son raisonnement jusqu’à l’absurde, en
terminant sur :
...je me sens un cœur à aimer toute la terre, et comme Alexandre, je souhaiterais
qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
Cette démesure toute guerrière peut être lue surtout comme une manière pour Dom Juan
de parodier son propre discours, et d’annuler de ce fait qu’il ait pu le tenir.
L’incompréhension de cette fin par Sganarelle, qui introduit ainsi une complicité à ses
dépends entre Dom Juan et le public de courtisans qui est celui de la pièce, montre d’ailleurs
que la pirouette a réussi.
C’est cependant surtout avec Elvire, à la scène suivante, que cette esquive hautaine sera
pratiquée deux fois.
La première lorsque Dom Juan le fuyard renverra Elvire à Sganarelle
(« Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis parti »), ce qui constitue d’abord en
guise de réponse une monumentale gifle sociale à cette femme de la noblesse, et la seconde,
sur laquelle je reviendrai, lorsqu’il fait mine de lui répondre en lui tenant le discours religieux.
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