LA SALE Antoine de (Histoire de la littérature)
Publié le 10/01/2019
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LA SALE Antoine de (1385-1460?). Fils d’un chef de bande provençal, Antoine de La Sale a vécu essentiellement dans l’entourage des princes : page en Anjou, secrétaire de Louis III, qu’il accompagne en voyage, il prend du service en 1434 chez le roi René et devient précepteur de Jean de Calabre. C’est vers cette époque que se situe son voyage en Italie, dont nous retrouvons les échos dans la Salade. Louis de Luxembourg l’aura auprès de lui à partir de 1448.
Le pédagogue et le compilateur
C’est dans le cadre d’un projet didactique, et peut-être d’un travail de pré-humaniste, qu’il faut replacer ces recueils composites d’exemples, de souvenirs des Anciens ou d'histoires vécues que sont la Salade (1441) et la Sale (1451). Le premier texte, écrit « pour eschever oysiveté », comporte un récit troublant, fondé sur une légende rattachée au Monte délia Sibilla, du lac de Pilate et du chevalier égaré chez une Vénus souterraine. L’intérêt de ce mélange de tradition classique et de folklore est de construire un mythe expressif d'une mentalité : le chevalier allemand entre dans le royaume de l’âge d’or, mais ce monde souterrain enchanté est aux mains du diable, les fées s’y transforment en vipères et en crapauds; à son retour, pris de remords, le chevalier demande l’absolution au pape qui la lui refuse; il revient alors à la grotte pour y disparaître. Ici, le lien entre les fantasmes de la liberté sexuelle et les croyances occultes est net. Le reste de l’œuvre se compose

«
la
Salade.
Louis de Luxembourg l'aura auprès de lui à
partir de 1448.
Le pédagogue et le compilateur
C'est dans le cadre d'un projet didactique, et peut-être
d'un travail de pré-humaniste, qu'il faut replacer ces
recueils composites d'exemples, de souvenirs des
Anciens ou d'histoires vécues que sont la Salade (1441)
et la Sale ( 145 1).
Le premier texte, écrit « pour esche ver
oysiveté », comporte un récit troublant, fondé sur une
légende rattachée au Monte della Sibilla, du lac de Pilate
et du chevalier égaré chez une Vénus souterraine.
L' inté
rêt de ce mélange de tradition classique et de folklore est
de construire un mythe expressif d'une mentalité : le
chevalier allemand entre dans le royaume de l'âge d'or,
mais ce monde souterrain enchanté est aux mains du
diable, les fées s'y transforment en vipères et en cra
pauds; à son retour, pris de remords, le chevalier
demande l'absolution au pape qui la lui refuse; il revient
alors à la grotte pour y disparaître.
Ici, le lien entre les
fantasmes de la liberté sexuelle et les croyances occultes
est net.
Le reste de l'œuvre se compose d'anecdotes de
voyage (excursion aux îles Lipari), de réflexions sur la
généalogie et la chronique des royaumes de Sicile et
d'Aragon.
sur des questions de protocole ou d'organisa
tion de la guerre.
Le Réconfort de M111' de Fresne ( 1457-
1458), consolation à une mère qui a perdu son fils, après
la croisade de Ceuta, tente de renouveler un genre figé
par l'insertion de véritables nouvelles (histoire de la
dame qui doit choisir entre le salut de son fils otage chez
1 'ennemi et 1' honneur guerrier du mari).
Des anciens
tournois etfaicts d'armes (1459) donne à La Sale l'occa
sion de déployer ses connaissances dans le domaine de
l'héraldique et de la cérémonie aristocratique.
ffi Le Petil Jehan de Saintré (1456), «premier
roman moderne »?
C'est ainsi que J.
Kristeva qualifie l'œuvre par
laquelle La Sale s'est rendu célèbre.
C'est l'histoire d'un
page de treize ans, « debonnaire et gracieux >>,qui suscite
l'intérêt d'une jeune veuve, la dame des Belles
Cousines, laquelle, dans une relation ambiguë, tente de
faire son éducation courtoise.
Elle se prend au jeu -
parfois sadique-de l'humiliation et de la provocation,
à travers des dialogues savamment ironiques, où elle
s'offre tandis que le jeune homme ne comprend pas que
la dame dont elle parle est son initiatrice.
Elle lui ensei
gne ainsi l'art d'aimer et de servir, et celui de paraître.
Avec l'argent qu'elle lui distribue largement, Jehan
monte rapidement à la cour du roi, devient valet tran
chant, puis possède lui-même valets et chevaux.
La
faveur du roi lui est acquise.
Pendant seize ans se pour
suit une idylle secrète, dans laquelle chacun donne le
change aux autres et peut-être à 1' autre.
Quand i 1 en a
l'âge, Jehan se lance dans les joutes et les fastes de la
chevalerie, que l'auteur évoque avec complaisance et
compétence.
Mais un jour, Jehan reprend sa liberté et
quitte la dame, qui en tombe malade et s'éloigne de la
Cour.
A la campagne, elle rencontre Damp Abbé, fils de
bourgeois, âgé de trente-cinq ans, qui multiplie pour elle
dîners, parties de chasse, séances de confession et mes
ses.
Le roman bascule : l'effet de la bonne chère, le
désespoir font naître un « nouvel feu d'amours » pour
cet « homme dissolut ».
Jehan sera vaincu à la lutte par
ce bellâtre qui sait faire jouer ses muscles, mais il se
vengera sur son propre terrain, infligeant une cuisante
défaite à l'abbé à qui il a fait revêtir une armure.
Mais
l'abbé, ses blessures guéries, continuera à voir la dame.
Un roman courtois ou aoticourtois?
La leçon d'amour est, dès le début, équivoque, et le
dévolu jeté par la dame sur cet adolescent fragile qu'elle veut
initier ou déniaiser relève autant d'un appel du désir
que de la tradition de l'éducation courtoise qui fait de la
dame la dépositaire de l'échelle des valeurs éthiques et
sociales.
Cette veuve qui donne des conseils de maîtrise
de soi et de maintien ne résistera pas aux promesses
chamelles d'un abbé plongé dans la matière, gras et
papelard.
Secret, fidélité, obéissance inconditionnelle,
tous ces ingrédients de la situation romanesque classique
sont là, mais inversés, car c'est la femme qui prend
l'initiative, et, qui plus est, par l'argent et les cadeaux.
Jehan serait-il retenu autant par les écus que par les
baisers? .Il y a là un écart entre la façade et le déchaîne
ment souterrain d'une sensualité- liberté de la femme
qui met mal à l'aise-, entre le code et la réalité, que
nous retrouvons au niveau du style même, d'abord de
façon imperceptible, puis de plus en plus nettement dans
le mélange de vocabulaire courtois et grivois de la der
nière partie : « Les yeulx, archiers de cuer, peu a peu,
commencerent J'ung des cueurs à l'aultre traire (tirer) »,
mais «les pieds commencerent de peu a peu l'ung l'aul
tre toucher », ajoute l'auteur ...
Un roman aristocratique?
La prouesse, la description des prestiges d'une cheva
lerie en déclin tiennent une grande place dans ce roman
d'éducation.
Mais le noble est vaincu honteusement par
le plébéien, dont la sensualité peu sublimée triomphe
aisément de la dame.
Et pourtant, La Sale a traité avec
prédilection la vengeance sur le grossier personnage, qui
se retrouve avec la langue et la joue percées, et sur la
dame, qui perd sa ceinture bleue.
La mise en roman
Plusieurs traditions d'écriture se recoupent ici.
L'his
toire de Jehan n'est pas sans rappeler les biographies
héroïques et les chroniques.
Mais le roman s'en est
emparé, introduisant la galanterie.
La chronique se fait
roman par l'amour, prend un tour humoristique par l'ab
sence de merveilleux et la présence d'une réalité que
nous sommes invités à lire autant entre les lignes que
dans l'accumulation concrète des descriptions.
L'ironie
est partout et dessine une constante figure de feinte.
Après avoir ramené l'histoire au roman, La Sale ramène
le roman à la nouvelle, à ce registre du conte dans lequel
domine la femme sensuelle et rusée.
Le jeu de l'écriture
nous empêche de prendre le texte au sérieux, d'y voir,
par exemple, une satire de l'aristocratie et de ses artifi
ces.
Mais cette œuvre reste typique d'un imaginaire de
la chevalerie fînissante, dans lequel se mêlent la
prouesse, la cérémonie, l'amour, la violence et la
sensualité.
BIBLIOGRAPHIE Le Perir Jehan de Saintré.
éd.
J.
Misrahi et C.A.
Knudson.
Genève, Droz, 2• éd.
1967; le Paradis de la reine Sibylle, éd.
D.
Poirion, trad.
F.
Mora Lebrun, Stock, 1983; le Resconjort, éd.
1.
Hill, Exeter U.P., 1979.
A consulter.
-A.
Cov ill e, le Petit Jehan de Sainrré.
Paris,
Droz, 1937; F.
Desonay, Antoine de La Sale, aventureux et péda
gogue, Liège, 1960; M.
Perret, « l'lnvraisemblable Vérité.
Témo ig na ge fantastique dans deux romans du xtv• et du xv< siè
c le, Mélusine et le Paradis de la Reine Sibylle », Europe, n° 654,
oct.
1963; J.
Kristeva, le Texte du roman, La Haye-Paris, Mou
t on , 1974..
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