LA RÉCONCILIATION - Tristan et Yseut de Béroul

Dieu et le droit

Ogrin lui-même accepte la casuistique * quelque peu hypocrite du philtre : alors qu'il sait très bien quelles étaient les relations des amants, il est le premier à suggérer à Tristan les termes du serment qu'il doit prêter à Marc, tenant compte de l'argument de l'irresponsabilité que lui expose Yseut, et appliquant l'adage 11 qui veut la fin veut les moyens ». On voit donc dans le texte de Béroul un homme de Dieu qui couvre de son autorité l'adultère dont il est parfaitement conscient, et s'emploie même à procurer à la pécheresse robes et parures dignes de son rang : Yseut est rendue à Marc avec une pompe solennelle, pas du tout comme une pénitente.

C'est d'une part que l'argument du philtre innocente en effet les amants, et d'autre part que la religion chrétienne s'oppose avant tout au scandale : en vivant en exil dans la forêt, en marge de la société, Tristan etYseut constituent un objet de scandale, ils remettent en cause les fondements mêmes du pacte social. Pour cette raison, il est préférable qu'ils soient réintégrés dans le monde féodal où ils ont leur place : un royaume sans reine ne peut fonctionner comme il convient, et Tristan aussi bien qu'Yseut en sont très conscients. Quelles que soient les fautes de la reine, elle a été légitimement épousée, devant le peuple et les barons, comme tout le monde ne cesse de le rappeler à Marc. L'Église met tout son poids dans la balance en faveur du lien matrimonial : le roi est vivement invité à reprendre sa femme, coupable ou innocente, parce qu'elle est sa femme, et que ce lien est indissoluble.