LA PRÉCIOSITÉ (Histoire de la littérature)
Publié le 27/11/2018
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PRÉCIOSITÉ (xviie siècle). Précieux (du latin pretiosus, de pretium, « prix ») : de grand prix, de grande valeur; ce sens propre est le seul courant aujourd’hui. Mais, dès le xve siècle, cet adjectif a été appliqué à des personnes en un sens figuré, avec un sémantisme ambigu, pouvant porter une connotation laudative (une femme précieuse est belle et vertueuse) ou péjorative (faire la précieuse, c’est être maniérée, voire d’une pruderie outrancière). Au xviie siècle, l’usage du sens figuré péjoratif domine. Mais le mot « précieux », dans son emploi substantivé, reçoit une valeur nouvelle comme dénomination revendiquée par des personnes se réclamant d’un modèle de comportement raffiné, la préciosité; bien évidemment, cette dénomination est alors retournée contre elles par leurs détracteurs. Suprême élégance ou raffinement outrancier : la notion de préciosité ne cesse d’osciller entre ces deux pôles. De plus, elle présente pour les historiens de la littérature une difficulté d’application.
Tout le monde s’accorde sur une donnée fondamentale de la préciosité : elle est une attitude caractérisée par une volonté de recherche et de raffinement dans le goût, les manières, le langage. Mais, à partir de ce noyau commun, des définitions différentes s’opposent.
La plus simple est d’ordre historique : elle désigne comme préciosité un phénomène social dont la pleine expansion se situe entre 1650 et 1660. C’est l’option retenue notamment par R. Lathuillière dans sa thèse (la Préciosité, étude historique et linguistique, 1966). L’extension du concept se borne ainsi à une courte période (même si la préciosité a, bien entendu, des antécédents et des successeurs), et, en contrepartie, sa compréhension est large : elle inclut un ensemble de comportements sociaux marqués par la convivialité mondaine, l’art de la conversation et l’idéalisation de la femme, avec des composantes linguistiques et littéraires.
Une autre option consiste à faire de la préciosité une tendance générale de l’esthétique littéraire. Son extension historique est alors très vaste : il y a un courant précieux^ qui circule à travers la littérature depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Il se caractérise par le goût de l’expression recherchée, l’effort pour « donner du prix » à l’écriture. Ainsi René Bray envisageait-il la Préciosité et les Précieux, de Thibaut de Champagne à Giraudoux (1948). La préciosité devient alors plutôt une notion de critique littéraire, et Baudelaire ou Mallarmé peuvent être de la sorte qualifiés de « précieux ».
Entre ces deux possibilités, nous choisissons celle qui cantonne la préciosité au temps fort de ce phénomène social, c’est-à-dire au milieu du xviie siècle. Elle est la plus rigoureuse (ce qui ne signifie pas la plus facile) : à trop se diluer, en effet, la notion de préciosité perd toute précision, voire toute pertinence. Or, prise en son sens strict, elle a dès le xvne siècle donné lieu à des polémiques et ambiguïtés qui exigent qu’on l’analyse et l’applique avec prudence.
Un phénomène social
Etre précieux, c’est vouloir se mettre en valeur. Au lendemain de la Fronde se répandit dans les salons parisiens un type de comportement fondé sur la recherche d’une extrême « distinction », de manières et de langage comme d’idées. Cette préciosité avait ses lieux de prédilection : des cercles fermés, accessibles à un petit nombre d’adeptes choisis, et dont le type achevé était la « ruelle ». Elle avait son mode de vie : elle était un art du loisir pratiqué par des hommes et des femmes libres ou peu chargés d’obligations professionnelles.
La ruelle. — Les cercles précieux se réunissaient souvent dans la chambre d'apparat d'une dame. Celle-ci accueillait ses hôtes installée sur son lit en costume d'intérieur très soigné. Les participants prenaient place autour d'elle, en particulier dans l'espace libre entre le lit et la cloison, nommé ruelle : d’où le nom donné à ces réunions. Leurs membres (les « alcôvistes ») conversaient sur toutes sortes de sujets — entre autres, de littérature. Le salon de Mlle de Scudéry, souvent donné comme l'exemple type du salon précieux, avait ceci de particulier qu'il rassemblait surtout des écrivains et se consacrait, plus que d’autres, à la réflexion littéraire. On pratiquait aussi des divertissements où la composition de petits poèmes, l'échange de lettres tenaient une bonne place. Le soin du mobilier et celui du costume étaient extrêmes : la préciosité participait du goût de l'apparat et de l'ostentation.
Elle se développa dans les milieux privilégiés : une fraction de la noblesse et, surtout, la frange de la bourgeoisie en voie d’accéder à la noblesse. De là, elle se diffusa aussi bien dans la haute aristocratie que dans la moyenne bourgeoisie. Elle fut un phénomène avant tout citadin, et même parisien : la capitale concentre la plupart des ruelles que citent les témoignages de l’époque. Ce modèle se répandit en province, et l’on trouve mention de cercles précieux dans les principales villes, avec des foyers particulièrement actifs à Aix, à Lyon et à Grenoble.
Ce ne fut jamais un phénomène de grande ampleur. Même au temps de sa plus grande expansion, il ne concerne que quelques centaines d’authentiques précieux : Somaize en cite moins de 800 (encore a-t-il tendance à embrigader tout mondain un peu renommé...).
De plus, aucun de ses traits n’était vraiment nouveau. Les salons avaient des modèles prestigieux, en particulier l’Hôtel de Rambouillet — même si, après la Fronde, il est sur son déclin. La civilité mondaine s’était affinée depuis une génération, autour du type de l’« honnête homme ». Le désir d’une langue châtiée animait un courant puriste dont les malherbiens avaient été les initiateurs. Faut-il alors ne voir dans la préciosité qu’une mode, un snobisme? D’autant que ce phénomène limité manque d’unité, par sa nature même : fondé sur des réunions de petits groupes, de coteries, le monde précieux est parcouru de querelles et rivalités de personnes ou de chapelles. N’est-ce donc rien qu’un mouvement vibrion-naire dans une petite fraction de la société mondaine? La violence des polémiques qu’il a déclenchées, le fait qu’il présente les traits d’une idéologie structurée, l’ampleur de ses retombées montrent qu’il ne faut pas juger de son importance seulement d'après le nombre réduit des participants.
L'idéologie précieuse et le féminisme
La préciosité postule la noblesse : pas forcément celle de la naissance, mais celle du cœur, de l’esprit et des manières. Elle en fait un idéal de détachement des intérêts matériels, en récupère les traditions d'héroïsme et de courtoisie, l’assimile à une garantie du bon goût. Tout ce qui est bourgeois est méprisable : l’expression « être du dernier bourgeois » date de là, comme marque infamante d’une attitude qui n'échappe pas au « commun ». Elle postule aussi le parisianisme : la province ne mérite que dédain, et ses beaux esprits rêvent de la capitale.
Elle exige aussi un modèle de civilité qui raffine sur celui de l’« honnête homme ». La galanterie y est à l’honneur ainsi que le « bel esprit », que la Prétieuse ou le Mystère des ruelles de l’abbé de Pure définit comme « prompt, vif, brillant, fécond ».
Surtout, elle met en valeur la femme. Les cercles précieux s’organisent autour des femmes réputées pour leur talent littéraire (Mlle de Scudéry), leur haute noblesse (Mlle de Montpensier) ou la qualité de leur esprit (Mme de La Suze). La préciosité ne comporte pas seulement une importante dimension féminine : elle est féministe.
Les précieuses défendent une conception de l’amour où le respect de la femme joue un rôle essentiel : celle-ci n’est plus une proie à saisir, mais une divinité qu’on honore; la « Carte de Tendre » insérée dans Clélie, plus qu’un jeu de salon, est l’indice d'une réflexion sur la psychologie amoureuse et sur un code des sentiments. Dans le même mouvement, les précieuses s’insurgent contre une conception du mariage qui met l’épouse à la merci de son mari et ne tient aucun compte de ses sentiments : la Prétieuse se fait l’écho de conversations sur ce sujet et contient des plaidoyers pour le mariage « à l’essai », voire l’union libre.
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citadin,
et même parisien : la capitale concentre la plu
part des ruelles que citent les témoignages de l'époque.
Ce modèle se répandit en province, et l'on trouve men
tion de cercles précieux dans les principales villes, avec
des foyers particulièrement actifs à Aix, à Lyon et à
Grenoble.
Ce ne fut jamais un phénomène de grande ampleur.
Même au temps de sa plus grande expansion, il ne
concerne que quelques centaines d'authentiques pré
cieux : Somaize en cite moins de 800 (encore a-t-il ten
dance à embrigader tout mondain un peu renommé ...
).
De plus, aucun de ses traits n'était vraiment nouveau.
Les salons avaient des modèles prestigieux, en particu
lier l'Hôtel de Rambouillet -même si, après la Fronde,
il est sur son déclin.
La civilité mondaine s'était affinée
depuis une génération, autour du type de l'>.
Le désir d'une langue châtiée animait un cou
rant puriste dont les malherbiens avaient été les initia
teurs.
Faut-il alors ne voir dans la préciosité qu'une
mode, un snobisme? D'autant que ce phénomène limité
manque d'unité, par sa nature même: fondé sur des réu
nions de petits groupes, de coteries, le monde précieux
est parcouru de querelles et rivalités de personnes ou de
chapelles.
N'est-ce donc rien qu'un mouvement vibrion
naire dans une petite fraction de la société mondaine? La
violence des polémiques qu' i 1 a déclenchées, le fait qu'il
présente les traits d'une idéologie structurée, l'ampleur
de ses retombees montrent qu'il ne faut pas juger de
son imponance seulement d'après le nombre réduit des
participants.
L'idéo logie précieuse et le féminisme
La préciosité postule la noblesse : pas forcément celle
de la naissance, mais celle du cœur, de l'esprit et des
manières.
Elle en fait un idéal de détachement des inté
rêts matériels, en récupère les traditions d'héroïsme et
de courtoisie, r assimile à une garantie du bon goût.
Tout
ce qui est bourgeois est méprisable : l'expression «être
du dernier bourgeois>> date de là, comme marque infa
mante d'une attitude qui n'échappe pas au «commun >>.
Elle postule au>si le parisianisme : la province ne mérite
que dédain, et ses beaux esprits rêvent de la capitale.
Elle exige aussi un modèle de civilité qui raffine sur
celui de 1' « honnête homme ».
La galanterie y est à
l'honneur ainsi que le «bel esprit », que la Prétieuse ou
le Mystère des ruelles de l'abbé de Pure définit comme
« prompt, vif, brillant, fécond ».
Surtout, elle met en valeur la femme.
Les cercles pré
cieux s'organisent autour des femmes réputées pour leur
talent littéraire (M lle de
Scudéry), leur haute noblesse
(Mlle de Montpensier) ou la qualité de leur esprit (Mme
de La Suze).
La préciosité ne comporte pas seulement
une importante dimension féminine : elle est féministe.
Les précieuses défendent une conception de l'amour
où le respect de la femme joue un rôle essentiel : celle-ci
n'est plus une proie à saisir, mais une divinité qu'on
honore; la « Carte de Tendre » insérée dans Clélie, plus
qu'un jeu de 1>alon, est l'indice d'une réflexion sur la
psychologie amoureuse et sur un code des sentiments.
Dans Je même mouvement, les précieuses s'insurgent
contre une conception du mariage qui met J'épouse à
la merci de son mari et ne tient aucun compte de ses
sentiments : la Prétieuse se fait l'écho de conversations
sur ce sujet et contient des plaidoyers pour le mariage
«à l'essai », voire J'union libre.
C'est que les précieuses, dans une tradition qui a ses
sources dans la courtoisie, le néoplatonisme, et que l'Hô
tel de Rambouillet avait illustrée, conçoivent l'amour
comme le rapprochement de deux esprits.
Les réalités
charnelles sont, sinon refusées, du moins remises à un
futur lointain, tandis que le soupirant doit manifester une
longue assiduité, récompensée seulement par des
marques d'intérêt rares et platoniques.
Le code amou
reux aboutit ainsi à une célébration de la femme -et à
sa paradoxale désincarnation : on se meurt volontiers
d'amour pour une beauté, sans pour autant pouvoir exi
ger d'en jouir dans l'acte sexuel.
La Guirlande de Julie.
-C'est en 1633, semble-t-il,
qu'un habitué de l'Hôtel de Rambouillet proposa de former
une « couronne de fleurs »-de rhétoriq ue s·entend -où
seraient chantés les mérites divers de Julie d'Ange nnes
{1607-1671 ).
la fille de Catherine de Vivonne.
l'hôtesse des
l ie ux.
Chacun y alla de sa bagat elle poétique et le duc de
Montausier ( 161 0·1690) put ainsi offrir en présent de nou
vel an à celle qu'il aimait «précieusement » un manuscri t
calligraphié sur velin par Nicolas Jarry et relié de maroquin
rouge.
Cette Guirlande, œuvre de 19 poète s.
comporte 76
madrigaux form ant un bouqu et de 29 fleurs où l'on remar
que • la Ros e » d'Habut de Cerisy, • la Vio le tt e • de Desma·
rets de Saint-Sorlin, «le Lys " de Tallemant des Réaux.
,, la
Pensée » de Colletet.
« le Pavot» de Georges de Scudéry ..
et « la Flambe »-au nom si chargé de sens -de Montau
sier lui-même.
Julie dut apprécier sa Guirlande, car elle
accepta peu après le mariage.
Mais la patience de Mon tau ·
sier avait duré ...
14 ans!
La précieuse selon l'abbé de Pure.
-{C"est le person·
nage de Géname -anagram me de Ménage- qui parle) :
«La Prétieuse n·est point la fille de son p ère ni de sa mère
[ ..
.
].
Elle n'est pas non plus l'ouvrage de la nature sensible
et matérielle; elle est un extrait de l'esprit.
un précis de
raison.
Cet esprit et cette raison est le germe qui les pro·
duit.
mais.
comme la perle vient de l'Orient et se forme
dans des coquilles.
ainsi la Prétieuse se forme dans la
Ruelle par la culture de dons suprêmes que le ciel a versés
dans son âme.
Il y en a de baroques [au sens premier :
irrégulières].
qui ne sont pas si belles que les autres, mais
qui ne laissent pas d'être aussi fines et de surprendre les
yeux et d'être d'aussi bon débit que les autre s "·
Certes, au milieu du XVIIe siècle, le retour au calme
politique, la raréfaction relative des guerres, le dévelop
pement de l'instruction et de la vie de société favori
saient un tel mouvement.
Mais les mœurs restaient rudes,
tant dans le peuple que chez les privilégiés.
Le fémi
nisme précieux était un acte d'avant-garde : les critiques
l'assaillirent bientôt de toutes parts.
Jointes aux querelles
qui opposaient les coteries de ce milieu, elles forment un
inextricable écheveau de polémiques et de caricatures.
Tous les auteurs du temps s'accordent à souligner l'am
biguïté du phénomène; aucun ne parvient à en donner
une définition conséquente.
Plusieurs opèrent des dis
tinctions entre diverses catégories : il y a des précieuses
prudes et des coquettes, des sincères et des fausses ...
On reprocha aux précieuses leur duplicité, les accusant
d'afficher des amours platoniques pour mieux jouir en
secret d'amours solidement charnelles.
On les accusa
aussi de se révolter contre les maris pour mieux pouvoir
s'entourer d'amants.
La satire populaire s'en prit à ces
femmes coupables d'être à la fois savantes et indépen
dantes et fit florès avec le personnage de Lustucru
(« l'eusses-tu-cru >>),« opérateur céphalique », ôtant aux
précieuses et à leurs imitatrices leur cerveau encombré
d'idées folles : grandiose décervelage ubuesque avant la
lettre, et qui fit la fortune des marchands d'estampes.
Par
ces polémiques, la préciosité était érigée en symbole,
mais aussi complètement dénaturée.
Les précieux et les écrivains
La préciosité n'est ni une école ni une doctrine litté
raire.
Mais les précieux se sont vivement intéressés à la
littérature.
Parmi les marques de distinction, le savoir
tenait une bonne place : non Je savoir pédantesque, mais
les connaissances touchant aux ouvrages en vogue, per
mettant de briller dans la conversation, servant, en un
mot, au savoir-vivre et au savoir-plaire.
La littérature se
trouvait ainsi mise en avant comme preuve de la délica-.
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