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La poésie russe (Histoire de la littérature)

Publié le 15/11/2018

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LA VEINE ÉPIQUE

C'est dans l'épopée que tout commence : récits fondateurs venus de la nuit des temps, mettant en scène des héros invincibles qui portent avec eux tout l’esprit d'un peuple. Certes, la Russie n'a jamais eu son Iliade, et il faut attendre l'évangélisation et les débuts de l'alphabet cyrillique pour que quelques moines se risquent à transcrire des récits dont la vocation première n'est pas d'être lus, mais chantés. Ces transcriptions seront du reste fort tardives : ce n'est qu'au xie siècle que les bylines, des épopées populaires, auront les honneurs du parchemin.

Les exploits de Dimitri Donskoï sont au centre de la Zadonchtchina, au XIVe siècle : c'est une sorte de chanson de geste, où une psychologie rudimentaire vient appuyer un récit fondé avant tout sur l'action, la crainte de la défaite, l'ivresse de la victoire. Les vers ont ici une fonction utilitaire : ils servent à mémoriser le texte, la reprise du rythme et celle de la rime permettant aux bardes de passer d'un épisode à l'autre, entraînant avec eux un public suspendu à leurs lèvres.

Jusqu'au xviiie siècle, l'épopée est presque le seul genre poétique pratiqué en Russie, si l'on excepte les chants religieux. Elle constitue de ce fait une tradition beaucoup plus forte qu'en France, par exemple, où, après les chansons de geste, la veine épique est presque abandonnée, ne resurgissant que dans les tentatives avortées de La Franciade de Ronsard et de La Henriade de Voltaire. En Russie, il existe une mémoire de l'épopée, qui irrigue les œuvres de Pouchkine et de Lermontov, ou au XXe siècle de Maïakovski - sans parler des romans épiques de Tolstoï et de Vassili Grossman. La poésie russe, à la différence de la nôtre, n’a pas perdu l'habitude de raconter une histoire, avec des personnages et des péripéties.

TROP MÉCONNUS

 

Au contraire de Dostoïevski et Tolstoï, qui ont pu passer la barrière des langues pour s'imposer parmi les grands écrivains mondiaux, les poètes russes restent méconnus. Quand nous les connaissons, c'est à la faveur d'un malentendu : Pouchkine et Lermontov, en France, sont des prosateurs, quand en Russie ils sont avant tout considérés comme des poètes. Et les plus grands noms du XXe siècle, Blok, Tsvetaieva, Akhmatova, sont presque inconnus en Occident. Sans la légende révolutionnaire, qui se souviendrait aujourd'hui de Vladimir Maïakovski? Sans le prix Nobel, sans son exil américain, le nom de Joseph Brodsky serait tout aussi obscur. La poésie russe mérite pourtant autre chose que la vague reconnaissance des spécialistes : si elle a quelque peu tardé à trouver sa voie, de grandes œuvres ont été écrites au cours des deux derniers siècles. Toute la difficulté tient à la profonde différence qui sépare les langues slaves des langues romanes : la syntaxe, le système des temps, le vocabulaire sont si différents qu'une traduction juste, pour ne pas dire réussie, est une gageure. À quoi s'ajoute l'accent mis sur le rythme, dans une poésie russe plus proche à cet égard de l'anglaise que de la française, vouée au mètre et à la rime.

LE ROMANTISME

Il faut pourtant attendre les années 1820 pour que celle-ci prenne vraiment son envol. C'est à la faveur du romantisme, de sa passion pour la couleur locale et de sa reconnaissance des différences nationales qu'apparaissent des poètes n'ayant plus aucun complexe d'infériorité par rapport à leurs homologues européens. Pouchkine et Lermontov, auxquels il faudrait ajouter le romancier Nikolaï Gogol, sont les deux grands poètes de cette école russe qui compte parmi les plus importantes du romantisme européen.

Quand Aleksandr Sergueievitch Pouchkine (1799-1837) meurt dans un duel, âgé d'à peine trente-huit ans, il laisse derrière lui une œuvre importante, au sein de laquelle surnage un chef-d'œuvre : le roman en vers Eugène Onéguine (18231830), vaste fresque sur la trahison, qui peint un héros solitaire et désespéré. Si les thèmes sont romantiques, il faut noter que l'écriture de Pouchkine est, elle, d'une limpidité qui pourrait la faire confondre avec l'esthétique classique. Mais son romantisme se joue moins dans les audaces de la versification que dans la fierté avec laquelle il utilise le russe, laissant de côté toute référence aux langues romanes pour développer la valeur poétique d'une langue que les élites pétersbourgeoises et moscovites, volontiers francophones à l'époque, considèrent encore comme barbare.

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« populaires de Russie.

Engagé dans le mouvement politique qui aboutit à l'abolition du servage dans les années 1860, Nekrassov chante la beauté du peuple russe, entre exaltation nationaliste et sentimentalisme social.

Il est le principal représentant d'une école dite réaliste, promouvant à la suite des romantiques une conception de la poésie engagée dans le siècle.

D'une tout autre allure est l'écriture poétique qui se fait jour au tournant 1900, quand le mouvement symboliste venu de France et de Belgique trouve en Russie l'une de ses terres d'élection.

Il s'agit au départ de se dégager du réalisme, de ses thèmes prosaïques et de son sentimentalisme, et, plus largement, de se dégager de l'histoire, pour se consacrer à l'objet même de la poésie selon les symbolistes : la quête de l'essence.

Aleksandr Aleksandrovitch Blok (1880-1921) est sans aucun doute le plus important poète de cette école, liée à ses débuts aux élites raffinées de Saint­ Pétersbourg et que les caprices de l'histoire vont amener à accompagner les premiers pas de la révolution, se rapprochant du siècle et des masses populaires.

A la belle dame (1904) exprime encore l'idéalisme d'un poète narrant ses épousailles avec la sagesse; très vite, un certain pessimisme prend le pas sur l'optimisme naïf des débuts et, à la façon d'un Péguy, Blok donne à son idéal des traits patriotiques.

Le destin du peuple russe est au cœur des grands poèmes composés pendant les années révolutionnaires : Les Douze (1918) explicite sa conception de la révolution, Les Scythes (1918) revisite le passé national en célébrant la différence russe, dans une tonalité très anti-occidentale.

Avec Vladislav Felitsianovitch Khodassevitch (1886-1939), on entre dans la génération des exilés, de ceux qui vivront leurs dernières années en Europe occidentale ou aux États-Unis.

Après avoir donné quelques recueils passés inaperçus, il ne rencontre véritablement son public qu'en 1921, avec La Voie du grain.

La Lourde Lyre (1923), qui parait à Paris, est considérée comme son œuvre la plus importante : du symbolisme, il retient la recherche du sens mais se détourne des raffinements mélodiques de Blok, au profit d'une écriture plus limpide.

i!fjiiiii!;ibiii Si les symbolistes voient leur écriture bouleversée par l'irruption de la révolution, ils n'en restent pas moins marqués par l'esthétique raffinée de l'avant-guerre.

La génération qui suit, dominée par la personnalité charismatique de Maïakovski, développe une esthétique beaucoup plus violente, à l'unisson d'une époque de bruit et de fureur.

Vladimir Vladimirovitch Maïakovski (1893-1930) est le principal représentant du futurisme russe, inspiré de l'école fondée par l'Italien Marinetti dans les années 1910.

Dès 1915, Le Nuage en pantalon fait surgir dans le paysage littéraire moscovite les images frappantes des avant-gardes européennes: raccourcis audacieux, ruptures de rythme, syntaxe heurtée et lyrisme déchaîné font de ce long poème une sorte de manifeste de la modernité, donnée comme une libération révolutionnaire de l'écriture.

Maïakovski accueille avec joie le changement de régime et, pendant près d'une dizaine d'années, il va faire figure de poète officiel, avant que la censure stalinienne ne commence à faire peser son poids de conservatisme sur le petit monde des lettres russes.

Comprenant peu à peu qu'il n'a plus sa place dans le monde qui commence, il se suicide en 1930.

150000 000 (1920), Octobre (1927) sont les deux principaux moments d'une œuvre militante, célébrant la geste révolutionnaire dans une langue poétique totalement neuve, empruntant au langage populaire sa rudesse un peu naïve pour faire éclater les codes convenus d'un siècle et demi de poésie lettrée.

!:épopée, une fois de plus, est au centre de ce ressourcement spectaculaire.

Elle est au cœur de l'œuvre de Velimir Khlebnikov (1885-1922), que sa trajectoire fulgurante a pu faire comparer à Pouchkine et à Lermontov.

La Nuit avant les soviets (1921) est sans doute l'œuvre la plus violente de la poésie russe, exaltant dans une langue pleine de bruit et de fureur le grand mouvement qui va secouer le monde.

Marqué lui aussi par le futurisme et l'influence de Maïakovski, Boris Leonidovitch Pasternak (1890-1960) fait lui aussi ses débuts comme poète.

Ma sœur la vie (1922) et La Seconde Naissance (1931) célèbrent la régénération de l'homme, non pas à la façon ubuesque de Khlebnikov, mais sur le mode de l'adhésion lyrique.

Se détachant peu à peu d'un régime soviétique de moins en moins révolutionnaire et de plus en plus dictatorial, Boris Pasternak évolue vers un lyrisme plus personnel (Espace terrestre, 1945), avant de renoncer à l'écriture poétique pour se consacrer à Dodeur Jivago (1957), grand roman qui lui vaudra le Nobel en 1958.

Sergueï Essenine (1895-1925) connaît lui aussi une vie brève et intense.

Si son premier recueil Radounitsa (1916) chante la campagne russe et ses personnages hauts en couleur, la révolution le conduit à se recentrer sur le monde urbain.

Son écriture se rapproche alors des avant-gardes européennes, et notamment de l'expressionnisme allemand :La Confession d'un voyou (1920), Pougatchev (1922), Moscou des Cabarets (1923) expriment une fascination communicative pour les bas-fonds.

Cinq ans avant Maïakovski, il réalise que le nouveau régime ne permet pas la liberté de la création artistique.

Il se suicide en 1925.

UNE POÉSIE RÉSISTANTE Entre 1920 et 1930, la rencontre féconde qui s'était opérée entre la poésie et la révolution va se muer en déception.

Une poésie officielle, POÉSIE ET RÉVOLUTION La révolution d'Octobre a été pour la poésie russe comme une seconde naissance.

Certes, l'URSS se révélera assez vite comme l'un des régimes les plus hostiles à la poésie, mais, pendant quelques années, c'est un véritable feu d'artifice.

Les poètes symbolistes, à l'écriture épuisée, trouvent une nouvelle jeunesse : la génération qui a eu vingt ans avant 1914 -les Mandelstam, Pasternak, Tsvetaïeva, Akhmatova, Essenine­ donne le meilleur d'elle-même, et avec Maïakovski apparaît la plus grande figure de poète révolutionnaire du siècle :une véritable légende, encore auréolée par son suicide.

Tout est dit, pourtan� dès 1925 :la mort de Khlebnikov, le suicide d'Essenine referment une fenêtre qui, pendant près d'une dizaine d'années, a fait de la Russie l'épicentre poétique de la planète.

JOSEPH BRODSKY lors d'un procès où il se voit accuser de« parasitisme».

Non qu'il ait l'étoffe d'un opposant : son écriture est légère, ironique, mais il ne se coule pas dans le modèle moral et social de l'URSS de l'époque.

Condamné en 1964 à sept ans de camp, il est libéré deux ans plus tard et expulsé en 1972.

Traversant l'Europe avant de se fixer aux États-Unis, dont il devient citoyen en 1987, il approfondit ses thèmes, donnant des cycles de poèmes sur les lieux qu'il aime, comme Venise.

Ce n'est pas l'homme d'un livre :ses différents recueils sont composés de pièces disparates, réunies par une même inspiration mêlant la culture la plus exigeante à un sentiment aigu de la crudité des choses (Vertumme, 1987).

Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1987 .

Malade, fatigué, il meurt en 1996.

plein fouet.

Anna Akhmatova (1889- 1966) est la principale représentante d'une école poétique originale : l'acméisme.

Son enjeu est d'atteindre, par la brièveté du poème et l'usage d'images frappantes, une parole dont l'intensité constituera un choc pour le lecteur.

Il s'agit aussi, face au raffinement futuriste, de revenir à plus de clarté et d'équilibre.

C'est une poésie de la révélation, tentant comme celle de Mandelstam de dire le monde, de le faire ressentir à un homme moderne que sa conscience a progressivement détourné de la réalité.

Célèbre dès son premier recueil (Le Soir, 1912), Anna Akhmatova accompagne le mouvement révolutionnaire avec plus de f------------_, détachement que les symbolistes et célébration lyrique des réussites du régime, de la morale soviétique et de la vie aux champs, va accompagner le développement de l'esthétique officielle du régime, le réalisme socialiste.

De vrais grands poètes marquent pourtant le xX' siècle soviétique.

Le premier est Ossip Emilievitch Mandelstam (1891-1938).

Sans revenir au réalisme, rejeté aussi bien par les futuristes que par les symbolistes, son œuvre représente une tentative de retour à une simplicité et à une justesse moins littéraires.

Dire le monde : tel serait le projet d'une poésie dont La Pierre (1913) et Tristia (1922) sont les deux principaux jalons.

Loin de toute idéologie, de toute esthétisation de la parole, Mandelstam envisage la poésie comme un refuge, un lieu de justesse où se joue une communion avec les choses et avec les êtres, loin du fracas de l'histoire.

Mais lui-même ne parviendra pas à échapper à son époque : opposant au stalinisme, Ossip Mandelstam meurt dans un camp en Sibérie.

!:histoire, les deux grandes poétesses de l'époque vont elles aussi la subir de autres futuristes; Anno domini MCMXXI (1922) renvoie à une perception de l'histoire bien différente, la poétesse recentrant son écriture sur l'idée de destin et sur la souffrance humaine.

Empêchée de publier pendant les années staliniennes, elle donnera un tardif Requiem (1963) qui atteste le retour progressif d'une inspiration classique.

Marina Ivanovna Tsvetaïeva (1892- 1941) est presque sa contemporaine.

À dix-huit ans, elle fait des débuts remarqués avec L'Album du soir (1910).

Pendant la révolution, elle prend le parti des Blancs avec Le Camp des cygnes (1917), mais son poème Sur le cheval rouge (1921) témoigne d'une fascination pour l'épopée révolutionnaire.

Après plusieurs décennies à l'étranger, elle revient à Moscou en 1939, sans doute la pire époque du stalinisme :ses proches exilés, sa propre vie menacée, elle se suicide en 1941.

Que reste-t-il alors aux poètes? Les générations suivantes seront vouées au silence, interdites de publication : depuis près de quarante ans, les poètes russes vivent dans l'obscurité.

Quelques noms émergent pourtant.

levgueni Aleksandrovitch !evtouchenko (né en Sibérie en 1933) exprime les aspirations à la liberté dans la période de déstalinisation (La Troisième Neige, Babi far).

Outre Joseph Brodsky (1940- 1996), on peut citer Vladimir Vysotski (1938-1980), poète, acteur, chanteur, compositeur-interprète toléré par les autorités, et dont tous les Russes connaissent encore la voix rauque.

Solitaire et révolté, il bénéficiera d'une reconnaissance tardive en 1987, sous Gorbatchev, quand les autorités lui décerneront à titre posthume le prix d'État de l'URSS.

La même année, Brodsky reçoit le Nobel.

Mais il est depuis dix ans citoyen américain.. »

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