La poésie américaines (Histoire de la littérature)
Publié le 15/11/2018
Extrait du document
Emily Dickinson (1830-1886) est, à sa façon, l'opposé exact de Whitman, et sans aucun doute avec lui la voix la plus importante du XIXe siècle américain. Là où l’auteur des Feuilles d'herbe déploie son lyrisme sur le mode épique de la conquête des grands espaces, Emily Dickinson vit dans l'espace étroit d'une petite chambre une existence tout entière marquée par le sentiment du confinement Célibataire chantant la passion, vibrant d'une émotion contenue qui se concentre quelquefois jusqu'à la fulguration mystique, elle donne des poèmes aussi brefs que denses, écrits en secret et conservés à l'abri des regards. Là où Whitman rugit, multiplie les éditions et les lectures publiques, Emily Dickinson ne publie de son vivant que sept poèmes. Sur le plan formel, la tradition des hymnes protestants est sa référence de base, mais elle s'accorde des libertés qui donnent à son vers une étonnante modernité.
INTENSITÉ ET MOUVEMENT
C'est à l'ombre de la métropole anglaise que s'est développée une poésie américaine longtemps marquée par un profond complexe d'infériorité. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir apparaître des œuvres significatives, avant l'explosion créative du XXe. Hésitant entre la grande tradition lettrée européenne et l'exploration de voies plus originales, la poésie américaine a tardé à reconnaître son territoire, ce nouveau monde littéraire que l'énergie d'un Walt Whitman et les images hallucinées des beatniks animent de leur rythme inédit. Entre introspection et chant de la terre, fascination pour la morale et rapport puissant à la nature, la vie américaine a donné naissance à une écriture intense, en perpétuel mouvement. S'il a fallu attendre l'époque contemporaine pour renouer le fil de la tradition indienne, c'est aussi que l'histoire de cette poésie est indissociable d’une errance géographique, qui voit nombre de poètes lorgner vers Londres et vers Paris avant de trouver leurs marques.
UNE LANGUE ET UN LIEU
Pour les générations d'immigrants venus peupler les États-Unis, pour les indigènes refoulés aux marges de leur propre terre, l'anglais est une langue étrangère, dont on apprend à user pour communiquer entre communautés, mais qui n'est conçue bien souvent que comme un trait d'union. Le souvenir des autres langues européennes, la persistance de cultures familiales hantées par le souvenir des origines, la faible densité démographique de ce pays-continent expliquent la très lente émergence d'une culture littéraire véritablement américaine. Jusqu'à la fin du xviiie siècle, dans le contexte d'un rapport colonial avec la métropole britannique, les seules productions littéraires locales sont religieuses, et, dans le domaine strictement poétique, ce sont des psaumes et des hymnes. Une poésie populaire, sous forme de chansons, se hasarde timidement dans l'espace littéraire; mais, outre qu'elle ne connaît pas les honneurs de la publication, cette poésie rustique ne saurait prétendre à une quelconque valeur littéraire. Il faut attendre la fin du XXe siècle pour reconnaître une culture dans les vers mal dégrossis du blues et des pionniers. L’Amérique ne se perçoit pas alors comme le centre du monde, mais comme une de ses marges les plus éloignées. Une culture de l'action se développe, dans laquelle les activités poètes américains littéraires n'ont quasi aucune place. Et là où, sur le modèle européen, on leur reconnaît quelque légitimité, en l'occurrence sur la côte Est, les lettrés vivent à l'ombre de l'Europe. Une langue d'emprunt, un lieu qui n'existe pas, une tradition à inventer : ces traits qui, dans le monde moderne, signeront la force d'une poésie de tous les possibles, excluent l'idée même d'une littérature dans le monde classique.
LES PIONNIERS
L'indépendance politique, acquise à la fin du xviiie siècle, se joue dans la rédaction de textes fondamentaux, la Constitution ou le Bill of Rights. Elle permet aussi à l'Amérique de se détacher de l'Europe pour se recentrer; en termes littéraires, à devenir non seulement un thème romanesque, mais aussi un sujet de discours. À prendre la parole, en somme.
Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882) devient très jeune l'incarnation de cette voix nouvelle d'un pays qui se découvre. À la vérité, son œuvre sentimentale, volontiers didactique et souvent moralisante, n’a plus guère d'intérêt pour les lecteurs contemporains. Mais s’il est considéré comme un classique en son pays, c'est parce que, le tout premier, il donne voix à une mythologie américaine. Voix de la nuit (1839), son premier recueil, le fait connaître d'un public bourgeois et conservateur qui se reconnaît dans ses idées et dans sa cadence mesurée. Ballades et autres poèmes (1841), qui comprend un «Squelette en armure» d'inspiration romantique, le rend célèbre; il est dès lors l'écrivain de l'Amérique et entreprend les Poèmes sur l'esclavage (1842), qui préludent à une américanisation de ses thèmes. Trois longs poèmes narratifs, Évangéline (1847), Le Chant de Hiawatha (1855) et Miles Standish (1858) constituent le faîte d'une œuvre littéraire traitant pour la première fois de l'intérieur son histoire et ses mythes.
«
elle
crée un style inspiré du cubisme et
dont le principal ressort est la
répétition.
Son vers le plus célèbre.
"A rose isa rose isa rose» («Une rose
est une rose est une rose»), constitue
ainsi une véritable destruction de la
logique de la langue, dont l'enjeu est
de briser la syntaxe pour retrouver, avec
la saveur des mots, celle du monde.
Son cadet
Ezra
Pound
(1885-1972) se
fait très vite
connaître
comme
critique et,
dès l'âge
de vingt
trois ans, il s'exile à Londres, avant de
s'installer à Paris au début des années
1920.
A Lume Spento (1908) précède
un ensemble de traductions qui fait de
leur auteur un passeur entre les
différentes cultures.
Sa grande œuvre
de la maturité, Los Cantos (1919-1957),
est une tentative de retour aux sources
communes des grandes cultures
mondiales.
Si Pound est
indiscutablement un auteur savan�
il se situe néanmoins au cœur d'un
mouvement littéraire tentant de
dépasser la culture, de revisiter le
concept même de culture pour se
détacher des traditions et conventions,
et ainsi parvenir à une appréhension
plus juste de la réalité.
Un autre exilé, Thomas Stearns Eliot
(1888-1965), plus connu sous le nom
de T.S.
Eliot, va choisir de s'installer
définitivement en Europe, adoptant
la nationalité anglaise peu avant la
Seconde Guerre mondiale.
Son poème
le plus connu, La Terre Caste (1922),
déplore la misère existentielle d'une
époque ayant perdu tout sens spirituel.
Eliot fait de cette misère, dont
l'Amérique est à ses yeux la terre
d'élection, le ressort d'une écriture
visant à restaurer du sens, par un
travail d'approfondissement de la
tradition culturelle.
En cela, il se sépare
LA POÉSIE AMÉRINDIENNE
Les traditions poétiques orales des
tribus indiennes, longtemps négligées,
ont fini au XX' siècle par émerger dans
l'espace poétique, et la vogue
universitaire des études amérindiennes,
depuis une vingtaine d'années.
a
contribué à faire apparaître des voix
originales.
Parmi elles, on peut
notamment citer Diane Burns (née en
1957), qui met en valeur le métissage
de ses origines : son père appartenant
à la tribu Chemehuev, l'une des plus
riches tribus amérindiennes, et sa mère,
un pur produit de l'université
américaine, à celle des Anishinabe.
La poésie amérindienne s'affirme ainsi
non pas comme une entreprise
folklorique, mais comme l'une des voies
offertes à la modernité littéraire.
des
autres grands exilés, et l'on a pu
dire de son œuvre qu'elle faisait entrer
la poésie dans le giron de l'université.
Robet1 Frost
(1874-1963) a
en commun
avec Eliot un
exil anglais,
mais ses
options
littéraires sont
à l'opposé.
Adoptant
volontiers
la pose du poète-paysan, il affirme
s'inspirer de la tradition lakiste, des
poètes romantiques anglais; mais dans
le choix d'une langue simple, rugueuse,
presque parlée, il apporte une
expérience proprement américaine,
contribuant à renouveler le langage
poétique contemporain.
Son vers
énergique, "musclé», pour reprendre
l'expression de certains critiques, est
tout entier animé de l'idée d'un travail,
d'un rapport conflictuel avec la terre.
Ses œuvres les plus belles datent de sa
période américaine :Au nord de Boston
(1914), New Hampshire (1923).
IUJh\!.fdGiii En Amérique même, des poètes
apparaissent qui bénéficient plus
indirectement de l'expérience
européenne.
Pound lance ainsi en 1912
le premier mouvement poétique
spécifiquement américain, l'imagisme;
Le Jardin près de la mer (1916), de
Hildo Doolittle (1886-1961), en est
l'œuvre la plus représentative.
" H.D.
»,
pseudonyme littéraire de Hilda
Doolittle.
s'intéresse aux mouvements
de l'âme, volontiers saisis à travers des
mythes et des images divines.
Autre figure importante, parmi les
imagistes :Amy Lowell (1874-1925).
Cette femme de caractère, retirée dans
sa maison de campagne pour mieux
terroriser ses éditeurs, mène une action
vigoureuse en faveur du vers libre
(Coupole aux verres multicolores, 1912),
associé à l'ambition d'une expression
authentique et puissante des voix du
monde : la poésie doit être à l'unisson
de ces voix, et non se conformer à des
conventions dont les modèles culturels
et sociaux renvoient à ce qu'il y a de plus
éloigné de la vraie vie.
Certes,
un certain nombre d7magistes
sont passés par l'Europe, et notamment
par Paris.
Mais ils n'ont trouvé dans les
avant-gardes européennes qu'une
confirmation à leurs intuitions, une sorte
de caution culturelle au travail qu'ils
entreprennent.
Le paradoxe de ce travail.
qui signe précisément la modernité de
l'imagisme, est qu'il s'agit d'une
contradiction portée à la culture; que
cette contradiction soit le fait d'écrivains
cultivés, qu'elle cherche sa légitimité
dans une Europe qui incarne la culture,
ne l'empêche pas d'être violente.
Les
jeunes poètes imagistes redécouvrent en
fait une américanité littéraire nourrie aux
grands espaces, à la rudesse de
l'expérience, à l'imperfection de la
langue; à des défauts, en somme, qui
sont non seulement assumés, mais
encore constituent le ressort d'une
énergie littéraire vite reconnue.
William Cor/os Williams (1883-
1963) est de ceux qui poussent le plus
loin cette revendication d'américanité.
Vite reconnu comme un égal par Pound
et Eliot, il se sépare d'eux dans le choix
d'un lieu : il restera fidèle à l'Amérique,
défendant les "conditions locales,
pour en faire un espace nécessaire de
la modernité.
Il envisage ainsi l'exil
anglais d'Eliot comme une régression :
dans Au grain d'Amérique (1925), il
commence à explorer les possibilités
offertes par le contact entre les mondes
occidental et indien.
Il rejoint ainsi les
recherches d'Ezra Pound, tout en
ancrant sa pratique poétique dans son
expérience personnelle et locale.
Paterson (1946), sans doute son chef
d'œuvre, est ainsi le portrait d'une ville
et, au-delà, celui d'une civilisation,
présentée sous forme d'un immense
collage qui a pu faire penser au roman
Manhattan Transfer (1925), de John
Dos Passos.
Williams apporte ainsi la
preuve que l'espace américain, dans la
modernité de son expérience urbaine,
offre des possibilités nouvelles à
l'écriture poétique.
Son contemporain Wallace Stevens
(1879-1955), qui crée la revue Poetry
en 1914, choisit de même de vivre dans
le monde réel : il fait une très belle
carrière dans les assurances, jusqu'à
devenir vice-président d'un grand
groupe, la Hartford lnsurance
Company ...
C'est en 1923 que paraît son
premier recueil important,
Harmonium, qui sera suivi de
nombreux titres, où se détache
L'Homme à la guitare bleue (1937).
Les vers d'Edward Estlin Cummings
(1894-1962) -qui préférait que l'on
écrive son nom "e.e.
cummings » -sont
d'une modernité provocante dans leur
forme, inspirée du jazz et de ses
ruptures de rythme.
Cummings aime
les effets de surprise, aussi bien dans
les images que dans les idées, et ne
répugne pas à une certaine violence.
L'Énorme chambrée (1922), récit d'un
internement en France, et Font 5
(1923), sous-entendu «2 + 2 font 5»,
inaugurent une œuvre faisant de la
langue un lieu d'ignorance, le poète
cherchant moins à connaître le monde
ou à l'exprimer qu'à explorer la solitude
de l'esprit humain, irrémédiablement
éloigné du sensible.
IUJ#@i:{i La génération suivante va poursuivre
cette quête avant-gardiste d'un
nouveau langage poétique en trouvant
des ressources dans l'usage intensif des
drogues hallucinogènes.
t:espace
poétique américain se déplace alors
d'est en ouest, et singulièrement vers
une Californie devenue dès les années
1950 le lieu de toutes les expériences.
William Bu"oughs (1914-1997)
nu (1959), qui inaugure une série de
textes expérimentaux fondés sur le
principe du cut-up : des fragments
de textes découpés au hasard sont
réarrangés en poème, selon une
technique inspirée de la peinture et
qui n'est pas sans lien avec les
expérimentations de Gertrude Stein et
des premiers modernistes américains.
Allen Ginsberg (1926-1997) est une
autre figure clé de la «Beat
generation».
Sa lecture de Howl (1955),
dans une galerie de San Francisco,
lance le concept de «performance», la
poésie n'étant plus envisagée comme un
texte mais comme un geste, inscrit
dans une représentation et dont la
valeur est aussi sociale et politique.
Reality Sandwiches (1963) donnera des
«tranches de réalité» assemblées sur le
modèle du collage.
t:influence du jazz,
celle d'artistes du pop art tels
Rauschenberg et Andy Warhol, donnent
à l'écriture poétique de Ginsberg la
valeur d'une véritable réflexion, au sens
optique du terme, du monde moderne.
La civilisation industrielle, considérée
avec répulsion, donne en même temps
ses modèles à une expérience littéraire
envisagée comme un recyclage de
déchets ou comme une production
presque automatique.
Le poète, ici,
n'est plus que le vecteur d'une
opération le dépassant.
C'est ainsi à une complète
reconstruction de la notion d'auteur
que conduit l'expérience des beatniks.
Même si elle n'est pas exempte
d'impasses (la question se pose ainsi
de la lisibilité de certains textes), cette
expérience constitue une étape
indépassable de la modernité
mondiale, et la poésie américaine se
situe cette fois-ci au centre du jeu.
IJ.fiiMoj,]JM!iiJI Les générations suivantes vont se
trouver prises dans le reflux d'une
expérience si intense qu'elle ne pouvait
durer éternellement; dès les années
1970, Ginsberg revient à une plus
grande simplicité, délaissant peu à peu
les audaces formelles.
Parmi les poètes apparus depuis les
années 1970, plusieurs tendances se
font jour.
Un C.K.
Williams (né en
1936) part ainsi du constat d'ignorance
qui se faisait jour dans les œuvres de
Cummings pour développer une poésie
du monde réel renouant avec une
prosodie harmonieuse, mais s'articulant
sur l'idée d'un divorce avec le monde
sensible; rupture que l'écriture se voit
chargée de réparer (Avec ignorance,
1977; Chair et Sang, 1993).
Paul Auster (né en 1947), très connu
comme
Nonterre
(1972), qui renouent avec une double
tradition : française, via l'influence
revendiquée de Mallarmé, et
américaine, avec celle de T.S.
Eliot.
latk Hirshman (né en 1933), enfin,
s'affirme comme l'un des héritiers
les plus fidèles de la Beat generation,
même si, épousant le mouvement de
son époque, il parle davantage de la
street generation, qui met la poésie
au service du combat politique, en
défendant les exclus de la société
américaine : sans-abri, chômeurs,
exclus ...
La parution d'un livre de
poèmes choisis, J'ai su que j'avais un
fr ère (1999), a permis de mesurer
l'énergie de cette voix poétique
envisageant le texte non plus comme
une percée solitaire, mais comme un
lieu de rencontre avec ses lecteurs..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Que ce soit dans le domaine du roman, de l'autobiographie, du théâtre ou de la poésie, la littérature fait souvent de larges emprunts à l'Histoire : Corneille fait revivre dans ses pièces des héros romains, Mme de La Fayette nous dépeint dans La Princesse de Clèves une fresque de la Cour d'Henri II, Ronsard, d'Aubigné, Hugo, et bien d'autres rehaussent parfois leur lyrisme de souvenirs ou de témoignages historiques ; en vous appuyant sur des exemples précis tirés de vos lectures, vous
- LA POÉSIE (Histoire de la littérature)
- La poésie russe (Histoire de la littérature)
- Grand oral du bac : La poésie espagnol(Histoire de la littérature)
- La poésie - Histoire de la littérature