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LA PLACE DE « ROUGE ET NOIR » DE STENDHAL DANS L'HISTOIRE DU ROMAN FRANÇAIS

Publié le 14/03/2011

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     « Depuis plus d'une année, raconte Romain Colomb, l'ami et le premier biographe de Stendhal, je voyais sur sa table un manuscrit portant en gros caractères sur la couverture le mot Julien : nous ne nous en étions jamais entretenus. Un matin de mai 1830, il s'interrompit brusquement au milieu d'une conversation et me dit : « Si nous l'appelions le Rouge et le Noir ? « Ne comprenant rien à cette apostrophe tout à fait étrangère au sujet de notre causerie, je le prie de me l'expliquer. Lui, suivant son idée, réplique: « Oui, il faut l'appeler le Rouge et le Noir. « Et saisissant le manuscrit il substitue ce titre à celui de Julien. « — L'ouvrage était donc commencé, semble-t-il, dès les premiers mois de 1829; le fait est, en tout cas, que le Journal de la librairie en annonça la publication prochaine le 15 novembre 1830, et qu'il parut avec la date de 1831.

   C'est une grande date. Qu'on me permette, pour en bien marquer l'importance, de redire ici brièvement ce que j'ai dit ailleurs, et de rappeler par quelles phases, par quels états successifs le roman avait passé jusqu'alors en France.   

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« René.

Le contre-coup de la Révolution est partout dans leurs œuvres; l'image de la France républicaine ou impérialeen est presque complètement absente. Ils ne sont pas de grands observateurs, ils ne sont pas non plus de grands inventeurs.

Le roman tels qu'ils leconçoivent est d'une lecture assez monotone.

Il est une éternelle histoire d'amour contrarié dont l'action et lesincidents se répètent d'un volume à l'autre.

Entre Delphine et Corinne, entre Adèle de Sénange, Claire d9Albe etValérie, entre Mathilde et le Dernier Abencérage, il y a plus que des analogies, il y a presque identité de donnée.

Lamonotonie semblerait plus grande encore, si l'on comparait les épisodes qui viennent se rattacher à l'action centrale.En faut-il un exemple ? Une des pages jadis les plus admirées dans la Valérie de Mme de Krüdener est celle oùGustave de Linar voit sa bien-aimée danser la danse du châle à l'ambassade d'Espagne.

Avec même art et mêmegrâce l'héroïne danse une polonaise dans Delphine, une tarentelle dans Corinne, un quadrille dans Edouard, unmenuet dans Eugène de Rothelin; et à chaque fois les spectateurs font cercle, montent sur des chaises pour lacontempler, applaudissent lorsqu'elle a fini; à chaque fois le héros du roman sent que son cœur est pris et qu'il aimeà jamais.

Il semble que Mmes de Krüdener, de Staël, de Duras, de Souza, aient cédé l'une après l'autre au plaisir dese revoir et de se peindre à l'âge de leurs triomphes mondains, à l'âge où elles étaient les reines du bal.

Commedanseuses des bals d'antan pour qui depuis si longtemps les violons se sont tus, je n'ai garde de me moquer d'elles.Mais il se voit assez qu'elles avaient peine en composant leurs romans à imaginer des situations nouvelles. On ne peut davantage prétendre que ces romanciers ou romancières soient de grands créateurs de vivants.

Leurspersonnages de second plan, Léonce de Mondoville ou Oswald, Amélie, Cymodocée ou Ellénore, ne sont que desautomates ou d'aériennes visions.

Une seule figure se détache, plus poétique que réelle, la leur, sous le nom deDelphine ou de Corinne, de René, d'Obermann, d'Adolphe. Car ils ne peuvent ou ne daignent exprimer que leur moi; leur art est au plus bas degré subjectif, et, plus nettementd'année en année, tel est bien le caractère essentiel qui s'accuse dans leurs écrits.

Qu'ils chantent leurs rêves etleurs souffrances à la façon de Chateaubriand et de Mme de Staël, ou qu'ils s'analysent avec une froide curiosité àla façon de Benjamin Constant, l'histoire qu'ils nous content est la leur, à peine transposée ; s'ils ne nous livrent pasles faits de leur biographie, ils se plaisent du moins à établir devant nous les subtils tourments dont leur vie moraleest faite.

Le vers de Sainte-Beuve : Lamartine ignorant qui ne sait que son âme, s'appliquerait à chacun d'eux, à condition d'en effacer l'intention un peu railleuse et méprisante, car, ce n'est pasrien que de « savoir son âme ». Par ce côté de leur talent, ils dérivent de Jean-Jacques, et vont même plus loin que lui dans l'étude et l'exhibition dumoi.

Jean-Jacques a écrit un roman et puis, un autre jour, ses Confessions.

Leurs confessions à eux sont leursromans, et ils nous font pénétrer fort avant, plus parfois qu'il ne conviendrait et que nous ne le souhaiterions, dansle secret de leur cœur.

La forme qu'ils emploient est celle du récit personnel, du journal intime; ou s'ils reviennent detemps à autre, dans Valérie, dans Obermann, au roman par lettres que Richardson et Rousseau avaient mis envogue, les lettres qu'ils nous présentent étant en général d'une seule et même personne, l'ensemble du recueilconstitue en fait une autre sorte de journal confidentiel. Il est vrai, du reste, que, tout en étant subjectives, leurs œuvres ne sont pas entièrement dépourvues designification générale.

Si elles ne peignent pas la vie extérieure de leur époque, elles en traduisent un peu certainesfaçons de sentir.

Ce qui se manifeste en eux, c'est un mal dont ils ne souffrent pas seuls; c'est une maladie de lavolonté et de la sensibilité qui a fait assez de victimes pour s'être appelée quelques années plus tard « la maladie dusiècle ».

Ils sont les premiers interprètes du désarroi que la tempête révolutionnaire et vingt ans de guerreeuropéenne avaient jeté dans les âmes; ils ont donné la première formule de presque tous les sentiments qui allaientfournir à nos quatre grands poètes romantiques la matière de leurs plus beaux chants.

Là est l'originalité du romanau commencement du XIXe siècle ; mais là aussi est son erreur.

Il a pour un instant cessé d'être lui-même pour seconfondre avec le lyrisme. Aux dernières années de la Restauration, il commence à s'en dégager peu à peu et à reprendre terre.

D'une part, en1820, Lamartine publie ses Méditations, et dès lors ce désarroi, ce besoin de s'épancher, ces vagues aspirations,ces rêveries sans fin, ces désespoirs sans cause, qui avaient envahi le roman, vont trouver leur vrai moyend'expression dans la poésie.

D'autre part, le prodigieux succès de Walter Scott vient inviter nos romanciers às'abstraire d'eux-mêmes pour s'intégrer à la vie de l'humanité et voici paraître chez nous, à la fin de la Restauration,d'innombrables romans historiques. Si oublié qu'il soit, Walter Scott n'en a pas moins joué à son époque un rôle important.

Il y avait en lui l'étoffe d'unexcellent réaliste, d'un peintre de mœurs presque égal à Dickens et qui mène à Dickens, qui mène même à Balzac, etdont celui-ci, au début de sa carrière, a reçu plus d'une utile leçon.

Dans maint chapitre de Waverley, de GuyMannering, de Rob Roy, de l'Antiquaire, il a peint avec la plus aimable sincérité ce que ses yeux avaient pu voirautour de lui; il a peint la vie de l'Ecosse telle qu'elle était à la fin du XVIIIe siècle et aux premières années dunouveau siècle; il en a décrit l'immuable décor fait de landes, de forêts, de lacs et de montagnes, les coutumes etles costumes, les types si accentués et si variés, depuis le gentilhomme campagnard ou le bel esprit de salonjusqu'au petit bourgeois et au boutiquier, jusqu'aux paysans, aux pêcheurs et aux bonnes commères de la ville ou duvillage.

Mais ces dons d'observation, ces heureux instincts qui étaient en lui, qui s'en souvient de nos jours ? Nous. »

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