« La pièce change de sens et de couleur selon qu'on y pénètre par l'intrigue ou par les mots d'auteur [...] qui fonctionnent comme autant de slogans, transformant par instants la scène en tribune, revendiquant la liberté d'être, de jouir, de ‘blâmer'. Mais ces formules, par leurs conditions d'énonciation, sont ambigües, et la réconciliation finale en atténue la portée. » (Jean-Pierre de Beaumarchais, Revue d'Histoire littéraire de la France, n° spécial bicentenaire du Mariage de Figaro
Publié le 08/11/2018
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L'attitude aristocratique est ainsi mise en question : d'une part, le Comte est présenté comme un infidèle et un coureur qui, lassé des attentions de sa femme, cherche à courtiser toutes les jeunes filles du voisinage, prétendant trouver dans cette activité « un je ne sais quoi qui fait le charme » (V,7). Beaumarchais souligne ainsi le fait que le Comte pense avoir tous les droits, notamment celui du seigneur concernant le mariage de Suzanne et Figaro, grâce à sa position sociale. Il s'agit donc d'un abus de pouvoir, auquel viennent s'ajouter d'autres manigances. D'autre part, son trop plein d'orgueil est également dénoncé par son comportement brutal à l'égard de Chérubin. En effet, « libertin par ennui, jaloux par vanité » (I,4), le Comte s'empresse d'écarter le page lorsqu'il constate l'intérêt de la Comtesse.
Cependant, l'argument crucial arrive plus tard, asséné par Figaro, afin de porter le coup de grâce à l'aristocratie :
« Noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naitre, et rien de plus. » (V,3). Il s'agit ici d'une authentique contestation qu'il faut replacer dans le contexte de l'époque, dans un mouvement visant à considérer les hommes pour leur valeur, plutôt que pour leur naissance. Une autre voix s'élève dans cette démarche dénonciatrice, celle de Marceline, qui prend la parole lors de ses retrouvailles avec son fils, pour dénoncer l'injustice sociale entre les deux sexes, sous la forme d'une longue tirade. Selon elle, « Dans les rangs mêmes plus élevés, les femmes n'obtiennent [des hommes] qu'une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! » (III,16).
De plus, outre son opposition à l'arbitraire du régime en place, Le Mariage de Figaro est une pièce présentant la caricature de certains ordres particuliers de la société. L'Acte Trois, par exemple, est une véritable parodie du cadre juridique, puisqu'il imite le fonctionnement d'un tribunal afin de mettre en évidence la corruption de la justice et l'inégalité des lois, « indulgente aux grands, dure aux petits » (III,5). De même, la censure est présentée comme destructrice pour la liberté d'expression. A l'occasion d'un long monologue, Figaro livre un violent réquisitoire contre les systèmes d'autorité, indiquant notamment la difficulté pour les auteurs de promouvoir leurs opinions : « Pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. » (V,3).
L'idée d'une dénonciation qui passe par la bouche des personnages de la pièce met l'auteur au second plan, mais on sent bien que la comédie cherche parfois à faire passer des messages étrangers au simple divertissement : une intrigue badine et une touche d'humour deviennent alors des supports à la réflexion.
«
ou teintée d’ironie.
De fait, la réplique suivante prononcée par Suzanne, « Aucune des choses que tu avais
disposées, que nous attendions, mon ami, n’est pourtant arrivée ! » (IV,1), laisse penser que malgré la malice de
Figaro, ce n’est pas tant lui que le hasard qui permet aux intrigues de se dénouer.
Ainsi, la réconciliation de Figaro
avec Marceline, qui se révèle être sa mère, n’est due qu’à la révélation d’un « hiéroglyphe » en forme de spatule
tatoué sur le bras du personnage éponyme, et les deux protagonistes passent alors d’une haine réciproque à un
amour sans borne, le tout en une seule scène (III,16).
La réconciliation finale est également très théâtralisée : outre l’entrée sur scène progressive de la quasi-totalité des
personnages de la pièce, elle est le lieu du pardon de la
Comtesse envers son époux, qui apprend dans le même temps de quelle façon il a été pris à son propre jeu.
Finalement, aucune rancune ne subsiste et selon Brid’Oison, « tout fini -it par des chansons » (V,19).
Par la suite, du fait de la fin heureuse attribuée à cette aventure, il a été dit du Mariage de Figaro qu’il s’agissait de
« Présenter, de l’extérieur, une aventure drôle comme un vaudeville, de l’intérieur, une histoire vraie et qui pourrait
tourner au drame ».
On observe en effet chez Beaumarchais une volonté de faire passer un message par-delà le
simple comique, donnant ainsi au texte une portée plus profonde.
De fait, de nombreuses traces laissent au lecteur ou spectateur la possibilité d’envisager la présence de l’auteur
dans l’œuvre.
Chez Beaumarchais en particulier, cela est assez facilement palpable, puisqu’il lui arrive de
dépasser sa position de dramaturge, par exemple pour jouer les metteurs en scène.
Le nombre d’indications
scéniques, ainsi que l’attention qu’il porte à l’habillement des personnages, témoignent de son implication.
Les didascalies initiales des différents actes sont ainsi très longues et riches de détails, à l’image de celle-ci : « Le
théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcôve, une estrade au-devant.
La porte pour
entrer s’ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite, celle d’un cabinet à
la première coulisse à gauche.
Une porte dans le fond, va chez les femmes.
Une fenêtre s’ouvre de l’autre côté »
(II,1).
De même, on remarque l’intégration de certains éléments de la vie de Beaumarchais dans la pièce, comme
lorsque le Comte dit : « le Roi m’a nommé son ambassadeur à Londres » (I,8), alors qu’on sait que l’auteur lui -
même y a été.
A cela s’ajoute un réalisme travaillé, car les différents personnages sont tous représentatifs d’un
ordre social.
Ils ont aussi tous un passé, qui les lie entre eux le plus souvent, et une volonté de réaliser leurs
projets personnels.
Cependant, la partie la plus importante de l’attention de Beaumarchais va au contenu de l’œuvre.
Pour l’auteur,
comme il l’écrit dans sa préface, il s’agit avant tout de « se compromet[tre] avec le public, pour l’amuser, ou pour
l’instruire ».
Le théâtre se transforme alors : il n’est plus seulement un lieu de divertissement mondain, mais il
devient la source d’une réflexion distillée par l’auteur dans Le Mariage de Figaro.
Les personnages sont alors le
masque de l’auteur, au même titre qu’on dirait d’Arlequin qu’il s’agit d’une représentation imagée la Commedia
Dell’arte, par son costume, et son jeu scénique.
L’influence du dramaturge sur son œuvre est toutefois nuancée par le paradoxe de l’énonciation au théâtre.
En
effet, il s’agit d’un genre dans lequel l’auteur est totalement
effacé, dans la mesure où il est absent de l’histoire comme de la scène.
Seuls les personnages de la pièce ont
l’occasion de s’exprimer.
De fait, il est parfois surprenant de noter la présence de remarques ou réflexions qui font
entendre la voix de l’auteur à travers celles des différents protagonistes.
Ces observations peuvent prendre la
forme de simples maximes, comme la suivante, tirée du Mariage de Figaro : « Ce n’est rien d’entreprendre une
chose dangereuse, mais d’échapper au péril en la menant à bien » (I,1), mais sont également plus construites par
moments, allant même jusqu’à se transformer en critique virulente.
La querelle qui s’exprime dans la pièce, entre le maître et le valet, est représentative d’une certaine image de la
société du XVIIIe siècle.
Cependant, on constate que Beaumarchais prend le parti de Figaro, se servant de la
maîtrise du langage de ce dernier pour prendre au dépourvu les autres personnages, et livrer une vision de son
époque.
Cette fustigation de l’ordre politique et social ne sera pas bien accueillie par la critique et dans les
premiers temps, l’œuvre en apparence anodine sera condamnée par la censure royale.
Dans ce sens, la pièce de
Beaumarchais confirme l’idée d’une littérature qui illustre et commente la société, dénonçant les injustices.
Il ne
s’agit plus seulement de présenter les détournements, mais de
convaincre le spectateur ou lecteur d’un dysfonctionnement, si bien que l’auteur évoque même l’idée d’une
« disconvenance sociale » nécessaire à l’écriture.
Dans Le Mariage de Figaro, cela correspond au droit de
cuissage que le maître envisage d’exercer sur la jeune mariée, et auquel viennent s’agréger les principales
péripéties de la pièce..
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