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LA PEINTURE DES MOEURS DANS LE ROUGE ET LE NOIR DE STENDHAL

Publié le 14/03/2011

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stendhal

Si cet air de vie qui est partout dans Rouge et Noir n'était qu'une apparence, un vain prestige de l'art, l'œuvre serait depuis longtemps oubliée. Elle ne survit que grâce à la part de vérité qu'elle contient. Le tout est de chercher cette vérité là où elle est.    Est-ce dans la peinture des mœurs ? Quelquefois, non pas toujours, Stendhal a voulu être, à sa manière, un peintre d'histoire. Il a voulu fixer sur sa toile un moment de notre histoire nationale, celui auquel il appartenait, les principaux aspects de la société française aux dernières années de la Restauration, et l'action de son roman s'encadre dans trois décors, dans trois milieux sociaux différents : Verrières, le séminaire de Besançon, l'hôtel de La Môle.    Tableaux de valeur très inégale, dont le premier est de beaucoup le meilleur.

stendhal

« avoir tous contre soi.

Las de Paris et de la comédie mondaine, il s'était fixé dans un beau château qu'il possède surles bords du Rhône.

En arrivant, et pour se faire bien voir de tout le monde, il a invité à sa table ses principauxvoisins, le vicaire, les hobereaux, mais en leur déclarant qu'il ne voulait pas entendre parler de politique et n'étaitabonné à aucun journal.

— « Ce n'était pas le compte du vicaire; bientôt je suis en butte à mille demandesindiscrètes, tracasseries, etc.

Je voulais donner deux ou trois cents francs par an aux pauvres, on me les demandepour des associations pieuses, celle de Saint-Joseph, celle de la Vierge, etc.; je refuse, alors on me fait centinsultes.

J'ai la bêtise d'en être piqué.

Je ne puis plus sortir le matin pour aller jouir de la beauté de nos montagnes,sans trouver quelque ennui qui me tire de mes rêveries, et me rappelle désagréablement les hommes et leurméchanceté.

Aux processions des Rogations, par exemple, dont le chant me plaît (c'est probablement une mélodiegrecque), on ne bénit plus mes champs, parce que, dit le vicaire, ils appartiennent à un impie.

La vache d'une vieilledévote paysanne meurt, elle dit que c'est à cause du voisinage d'un étang qui appartient à moi, impie, philosophevenant de Paris, et huit jours après, je trouve mes poissons le ventre en l'air, empoisonnés avec de la chaux.

Lapaix des champs est pour moi un enfer.

Une fois que l'on m'a vu abandonné par le vicaire, chef de la congrégationdu village, et non soutenu par le capitaine en retraite, chef des libéraux, tous me sont tombés dessus, jusqu'aumaçon que je faisais vivre depuis un an, jusqu'au charron qui voulait me friponner impunément en raccommodantmes charrues.

Afin d'avoir un appui et de gagner pourtant quelques-uns de mes procès, je me fais libéral; cesdiables d'élections arrivent, on me demande ma voix...

pour un homme que je connais trop.

Je refuse, imprudenceaffreuse.

Dès ce moment, me voilà aussi les libéraux sur les bras, ma position devient intolérable.

Je crois qu'il fûtvenu dans la tête du vicaire de m'accuser d'avoir assassiné ma servante, il y aurait eu vingt témoins des deuxpartis, qui auraient juré m'avoir vu commettre le crime...

Mon château est en vente, je perds cinquante mille francs,s'il le faut, mais je suis tout joyeux, je quitte cet enfer d'hypocrisie.

» Nous sommes là tout près de Paul-Louis Courier, de ses Pétitions aux Chambres et de ses Lettres au Censeur, etStendhal, qui admirait fort le célèbre pamphlétaire, a bien pu par endroits s'inspirer de lui.

Mais il avait assez souventséjourné à Grenoble ou dans les campagnes environnantes pour apporter sa part d'observations personnelles, et cepiquant tableau, qui n'est pas sans analogie avec le Curé de Tours, a bien sa valeur documentaire. * * * La seule description matérielle qui tienne plus de cinq ou six lignes, la plus frappante de toutes est celle duséminaire. On se rappelle le chapitre des Misérables où Victor Hugo dresse devant nous la morne façade du Petit-Picpus, et oùil nous introduit par un étroit escalier, par de longs corridors déserts, dans une petite salle blanchie à la chaux etmeublée seulement de deux vieilles chaises; on se rappelle l'impression de mystère et d'effroi qui se dégage de lasilencieuse demeure.

Qu'on se reporte aux pages de Rouge et Noir que j'ai citées, et où nous voyons Julien chemineren frissonnant à travers des escaliers et des couloirs non moins silencieux, non moins déserts, non moins mornes,jusqu'à la chambre presque sans meubles de l'abbé Pirard.

Je ne vais pas prétendre que le pouvoir d'évocation soit lemême que chez Hugo; ces pages cependant sont saisissantes, et elles suffiraient à prouver que Stendhal pouvait,quand il lui plaisait, être un grand peintre des choses. Mais une fois le seuil franchi, une fois entrés dans la cour, nous nous demandons où nous sommes.

Dans un repairede malandrins, dans un pénitencier ou dans un asile d'aliénés ? Des jeunes gens qui se promènent là, les uns sontdes demi-fous, sujets aux visions, et qui ne sortent de l'infirmerie que pour y rentrer presque aussitôt ; les autressont des « êtres grossiers » qui vivent dans F attente du repas quotidien, et l'espoir des jours de fête où ils aurontde la choucroute avec des saucisses.

Leur maître, l'abbé Castanède, flatte leurs bas instincts en leur faisantentrevoir dans l'avenir quelque paroisse campagnarde où le casuel se paiera en nature, et où les œufs, le beurrefrais, les chapons gras abonderont sur leur table.

En attendant, ils se jalousent les uns les autres.

Si parmi eux s'estfourvoyé quelque jeune homme intelligent et de bonnes manières, il est à leurs yeux un étranger, un ennemi.

Ils secoalisent contre lui, le mettent en quarantaine ou le harcèlent de leurs amers sarcasmes, et telle est leur brutalitéqu'il en est réduit à s'armer d'un compas de fer pour se défendre en cas de besoin.

Ils n'ont aucune cultureintellectuelle, et récitent du latin sans le comprendre.

Toute leur science consiste à savoir que pour obtenir unebonne cure, il faut plaire à l'évêché et à la Compagnie de Jésus. Voilà un séminaire bien différent de ceux qui allaient, à peu de temps de là, abriter la première jeunesse d'ErnestRenan, et qu'il nous a décrits dans ses Souvenirs.

Il ne saurait, j'imagine, être suspect d'une indulgence excessive àl'égard de l'Eglise qu'il a si vite quittée pour en combattre ardemment les doctrines; mais il avait la largeur d'espritqui manque à Stendhal.

Avec quelle reconnaissance, quel tendre respect, quel charme il nous parle de ses premiersmaîtres, et des saintes demeures où il a d'abord vécu ! Le petit collège ecclésiastique de Tréguier lui réapparaîtcomme un délicieux séjour d'innocence, « où il a eu le bonheur de connaître la vertu absolue.

» — « La règle desmœurs était le point sur lequel ces bons prêtres insistaient le plus...

Au lendemain de la Révolution de 1830,l'éducation que je reçus fut celle qui se donnait, il y a deux cents ans, dans les sociétés religieuses les plusaustères.

Elle n'en était pas plus mauvaise pour cela; c'était la forte et sobre éducation, très pieuse, mais très peujésuitique, qui forma les générations de l'ancienne France, et d'où l'on sortait à la fois si sérieux et si chrétien.

Labase de ces anciennes éducations était une sévère morale, tenue pour inséparable de la pratique religieuse.

» Mêmeaccent lorsque ensuite il nous fait pénétrer aux séminaires de Saint-Nicolas du Chardonnet, d'Issy et de Saint-Sulpice: « J'ai vu à Saint-Sulpice, associés à des idées étroites, je l'avoue, les miracles que nos races peuvent. »

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