"La Nouvelle Héloïse" de Rousseau, lettre XXII, tome 2 EXPLICATION DE TEXTE
Publié le 06/10/2018
                             
                        
Extrait du document
 
                                qu’il souhaite transmettre à sa bien aimée. Cette question des « sens trompeurs » a été évoqué auparavant par les philosophes Descartes, Condillac et Diderot notamment. Le point de vue de Diderot se rapproche de celui de Rousseau, puisqu’il expliquera dans sa Lettre sur les sourds et les muets qu’il faut se débarrasser du sens de l’ouïe pour accéder à la réalité plus profonde d’un spectacle. Rousseau a la même approche puisqu’il privilégie un « voir » métaphorique par rapport à un « voir » littéral qui serait plus près de la Julie réelle. Ainsi, Saint Preux est conscient de la confusion de ses sens et que le portrait n’est pas Julie. Mais ce portrait est tout de même son image, son reflet, et donc une partie d’elle-même. Et Saint Preux possède cette partie de Julie. Il détenait déjà son amour, il connaissait son esprit, son caractère, mais il détient maintenant son apparence physique, son corps. Saint Preux va assimiler le portrait à sa maîtresse et l’embrasser : « Ma bouche et mon cœur leur rendent le premier hommage ». Il y a donc un véritable rapprochement physique entre les deux amants permis par le talisman, même s’il n’est qu’imaginaire. Le talisman est en quelque sorte un témoignage non verbal de leur amour, une sorte d’emblème.
Le talisman permet également de diminuer la distance entre les deux amants en ravivant les souvenirs et en développant des fantasmes. Quand il reçoit le portrait de sa maîtresse, Saint Preux croit se retrouver en sa présence, comme avant. Cela lui rappelle donc le passé, le temps où ils étaient réunis (« ... et me rappeler avec ton image celle de mon bonheur passé »). Ce processus de remémoration se déclenche très vite, l’effet du talisman est quasi immédiat : selon Saint Preux, « une minute, un instant suffit ». Cette remémoration est aussi soudaine que brutale ;
 
                                «
                                                                                                                            soit mêlée d'une  si cruelle  amertume ? Avec quelle  violence  il me rappelle des  temps qui  ne sont plus !  Je crois, en
le voyant, te revoir encore ;  je crois me retrouver  à ces moments délicieux dont  le souvenir fait  maintenant  le
malheur  de ma vie  et que  le Ciel m'a donnés  ravis dans sa colère.
                                                            
                                                                                
                                                                     Hélas !  Un  instant  me désabuse,  toute la
douleur  de l'absence se ranime et s'aigrit en m'ôtant l'erreur  qui  l'a suspendue et je suis comme  ces malheureux
dont  on n'interrompt les  tourments que  pour  les  leur  rendre plus sensibles.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dieux !  Quels  torrents de flammes mes
avides
regards puisent dans cet  objet inattendu !  Ô comme  il ranime au fond  de mon  coeur tous les  mouvements
impétueux  que  ta présence y faisait  naître !  Ô Julie,  s'il  était vrai  qu'il  pût transmettre à tes  sens le délire et l'illusion
des  miens!...Mais pourquoi ne le serait-il pas  ? Pourquoi  des  impressions  que  l’âme porte  avec tant  d'activité
n'iraient -elles pas  aussi  loin qu'elle ? Ah !  Chère amante  !  où que  tu sois ,  quoi que  tu fasses au moment  où j'écris
cette lettre ,  au moment  où ton portrait reçoit tout  ce que  ton idolâtre  amant adresse à ta personne ,  ne sens-tu pas
ton charmant visage inondé  des  pleurs de l'amour &  de la tristesse ? Ne  sens-tu pas  tes  yeux, tes  joues,  ta
bouche, ton sein, pressés, comprimés, accablés  de mes ardents  baisers ? Ne  te sens-tu pas  embraser tout  entière
du feu de mes lèvres  brûlantes?.
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     Ciel !  Qu’entends-je ? Quelqu'un vient.
                                                            
                                                                                
                                                                    .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     Ah !  Serrons, cachons mon  trésor .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
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                                                                     un importun!.
                                                            
                                                                                
                                                                    .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     Maudit  soit le cruel qui  vient troubler des  transports si doux!.
                                                            
                                                                                
                                                                    .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     Puisse -t -il ne jamais aimer .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     .
                                                            
                                                                                
                                                                     ou
vivre loin de ce qu'il  aime! »
Cette lettre est  particulière :  c’est la lettre de la passion, du bonheur  partagé.
                                                            
                                                                                
                                                                     C’est  une  des  dernières lettres
joyeuses  des  deux amants  avant les  épreuves et les  drames  qu’ils  vont connaître, à savoir  les  égarements  de
Saint  Preux  chez une  prostituée,  puis la découverte  des  lettres compromettantes par la mère  de
Julie,  le décès  de celle-ci et le mariage  de Julie avec Monsieur de Wolmar.
                                                            
                                                                                
                                                                    Cette lettre permet un véritable
rapprochement des  deux amants.
                                                            
                                                                                
                                                                    On  peut  presque  dire  que  leur  passion atteint son  paroxysme.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pourtant on sent
déjà que  cet  amour est  placé sous le signe du malheur  et de la séparation,  du détachement et de l’absence.
                                                            
                                                                                
                                                                    C’est
un amour qui  ne se vit pas, ou par portrait interposé.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le rapprochement des  deux amants  est  complètement  virtuel
et fantasmé.
                                                            
                                                                                
                                                                    La lettre de Saint  Preux  est  enflammée  et Julie le fera remarquer  dans sa réponse  («  Ce  même feu
qui  brillait  jadis dans tes  yeux se fait  sentir dans ta dernière  lettre…  ») et elle lui  répondra  de façon tout  aussi
passionnée.
                                                            
                                                                                
                                                                    On  remarque  la force de leur  amour, ainsi que  les  conséquences de cette passion  :  le plaisir  et la
souffrance.
                                                            
                                                                        
                                                                     Le rapprochement de Julie et de Saint  Preux  se ressent  d’abord  dans l’écriture de la lettre elle-même.
Saint  Preux  raconte  dans le début de la lettre son  parcours pour  récupérer  le paquet et revenir dans sa chambre
pour  l’ouvrir  :  il narre  ces évènements au passé  («  Je tenais  donc ce paquet… »), donnant  l’impression  que  ces
évènements sont lointains,  et moins  importants  puisqu’ils précèdent l’action principale, la découverte  du talisman.
Or, dans notre  extrait,  Saint  Preux  raconte  ses actes au présent,  bien qu’ils  appartiennent au passé  :  « Le voile est
déchiré…  je te vois…  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    La narration  est
simultanée, autrement dit le narrateur semble raconter  l’histoire  au moment  où elle se produit.
                                                            
                                                                                
                                                                     Ce  procédé
stylistique permet de donner l’illusion d’une écriture  sur le vif,  comme  si Saint  Preux  retranscrivait ce qui  se passait
«  en temps réel  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi, cela lui  permet de se rapprocher de sa destinataire, de lui  donner le pouvoir  de connaître
précisément ce que  fait  son  amant en son  absence, et donc de diminuer la distance entre  eux.
                                                            
                                                                                
                                                                    Julie peut  tout
savoir,  presque  comme  si elle avait été présente.
                                                            
                                                                                
                                                                    Saint  Preux  veut lui  faire  partager ce moment  exceptionnel  pour
lui  en l’actualisant, et lui  faire  sentir la force de son  amour.
                                                            
                                                                                
                                                                    La lettre est  ainsi le moyen  pour  les  deux amants  de
conserver leur  lien, d’entretenir  leur  passion, et le style d’écriture est  important puisqu’il  y participe également.
Le rapprochement entre  les  deux amants  se fait  également  par l’intermédiaire du talisman.
                                                            
                                                                                
                                                                     En effet, c’est un objet
qui  appartenait  à Julie et qu’elle envoie  à celui qu’elle aime.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le talisman créé  ainsi un lien entre  les  deux, comme  le
font  les  lettres qu’ils  s’envoient.
                                                            
                                                                                
                                                                    Saint  Preux  est  heureux  de recevoir cet  objet et pressé  de l’ouvrir, non  seulement
parce qu’il est  curieux, mais aussi  parce qu’il lui  vient de Julie.
                                                            
                                                                                
                                                                     On  remarque  son  empressement  :  « J’arrive enfin,
je vole, je m’enferme dans ma chambre, je m’asseye hors  d’haleine,  je porte  une  main tremblante sur le cachet.
                                                            
                                                                                
                                                                     ».
Il y a une  accélération dans la phrase qui  est  due  aux  propositions juxtaposées  et qui  met  bien en évidence  la hâte
de Saint  Preux.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il finit par ouvrir le paquet et découvrir la surprise  :  le portrait de Julie.
                                                            
                                                                                
                                                                     En voyant  ce portrait, Saint
Preux  a l’impression  de voir  Julie  (« Julie  !...
                                                            
                                                                                
                                                                    ô ma Julie  !  le voile est  déchiré...
                                                            
                                                                                
                                                                    je te vois...).
                                                            
                                                                                
                                                                    Une isotopie de la
vision parcoure  l’extrait («  voir », «  revoir  », « mes yeux  »…), nous montrant  l’importance de la vue.
                                                            
                                                                                
                                                                    Saint  Preux  se
laisse aller à la contemplation, à l’ivresse  que  lui  procure ce spectacle  :  « Charmes adorés,  encore une  fois vous
aurez enchanté mes yeux  ! ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais il est  en fait  victime d’une illusion des  sens  :  sa vue  le trompe.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il semble ne s’en
rendre compte  qu’un peu  après.
                                                            
                                                                                
                                                                    «  Je crois, en le voyant, te revoir encore  » :  Saint  Preux  réalise  qu’il ne voit pas
Julie mais qu’il croit la voir, que  ce n’est qu’un leurre.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il évoquera par la suite «  le délire et l’illusion » de ses sens,.
                                                                                                                    »
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