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La mise en cause du langage dans Fin de Partie de Samuel Beckett

Publié le 18/02/2012

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   Fin de Partie, seconde pièce de Samuel Beckett, est montée au Royal Court Theatre de Londres par Roger Blin dans un contexte particulier : les années 50. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cette entrée dans la seconde partie du XXè siècle est un tournant pour toutes les formes de création. En effet, il semblerait que l’Art ait atteint un achèvement total, avec le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch et l’ « Écran Noir « de Duras de 30 minutes dans l’Homme Atlantique, l’insoutenable silence de 4:33 de John Cage ou encore avec l’éloge de la page blanche chez Mallarmé suivi plus tard du Degré Zéro de l’écriture de Barthes et de La littérature et le droit à la mort de Maurice Blanchot entre autres. La peinture, le cinéma, la musique et la littérature, semblent avoir fait chacun l’expérience esthétique de l’auto-destruction. Dans cette atmosphère artistiquement suicidaire, Samuel Beckett ne propose pas une simple mise à mort inféconde de l’art dramatique mais bien une remise en cause profonde et viscérale du langage-même. 

Ainsi, nous tenterons de comprendre par quels procédés et à quelle fin Beckett     mène-t-il à bien dans Fin de Partie l’assassinat d’un langage en crise.

Pour se faire, nous étudierons comment l’auteur concrétise cette «faillite du langage« qui entraine une incommunicabilité frappante entre ses personnages pour finalement se demander si les ruines de ce langage ne constituent pas un salut pour les hommes.

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« déjà la fin, tout comme les premières paroles de Clov dites en fixant le public : «fini, c’est fini, ça va finir, ça vapeut-être finir» (p.13).

Dès les premières répliques, le spectateur est déjà conscient que la pièce qu’il voit n’estqu’un dénouement dénué d’élément dramatique, comme le rappelle Hamm à la page 89, « La fin est dans lecommencement et cependant on continue.

» La parole chez Beckett ne fait pas avancer l’action (au sens théâtraldu terme) car la pièce en est dénuée.

C’est le paradoxe intrinsèque au leitmotiv «ça avance» : le «ça» ici nerenvoie à rien de tangible, pourtant Hamm, avatar du spectateur immobile sur son fauteuil, est le témoin d’une non-action qui piétine.

Ainsi la parole devient le média de l’aveu de sa propre inutilité dramaturgique.

Si le langage en soiperd tout intérêt théâtral, Beckett procède-t-il tout de même à une théâtralisation du langage ? Fin de partie est composée, à la manière d’une sonate, de plusieurs thèmes récurrents («exposition» en terme musical) entrecoupésde «développement» sous la forme d’épisodes, d’ «histoires» que (se) content les différents personnages de lapièce.

Chacune de ces narrations (l’histoire du fou p.

60-61, l’histoire du mendiant p68-73 puis p.78-81, le roman deHamm p.81 ...) est théâtralisée par les personnages, comme le montre les didascalies à propos du jeu de Nagg dansl’épisode du tailleur : « il prend un visage d’Anglais, reprend le sien » (p.34) ou « voix de tailleur » et « voix de raconteur » (p.35).

Néanmoins, par ce procédé de «théâtre dans le théâtre», Beckett parvient à remettre en question cette parole théâtralisée : « Je raconte mal.

(...) Je raconte cette histoire de plus en plus mal.

» (p.35).

Àtravers cette autocritique, Beckett met en cause le langage théâtral.

Mais le dramaturge va encore plus loin,lorsqu’au milieu de sa pièce il détruit le bien-fondé de la parole théâtrale par elle-même, quand Hamm doit s’yprendre à quatre reprises pour ouvrir son récit (à partir de la page 68) : par ce balbutiement, Hamm nous ouvre lesarcanes de la répétition théâtrale ainsi que celles de l’élaboration littéraire, en montrant à son spectateur quel’expression dramatique est tout sauf quotidienne et réaliste, elle n’est que pure création.

Après avoir détruit le Beaupar le symbole du tableau retourné, le Juste par la désespérante situation de ses personnages, Beckett finirt paranéantir l’idée du Vrai, essence du théâtre, dans la mise en lumière des propres failles de l’art dramatique et afortiori, du langage. Ainsi, la langue de Beckett est une langue malade et suicidaire, dont le signifiant et le signifié ont volé en éclat etdont toute valeur dramaturgique s’est vue annulée par elle-même.

Alors, quelle est la fonction du langage dans Fin de Partie ? Que nous apprend-il sur les personnages ? Cette attente d’une langue «vraisemblable» qu’une personne réelle ou ayant réellement existé pourrait prononcer, est typique du théâtre classique.

Bien évidement, Beckettpulvérise cette langue «naturaliste», les répliques de chacun des personnages ne connotent aucun milieu socialparticulier, aucune période historique précise, ni aucun espace géographique (bien que le «lac de Côme» soit cité, lalangue de Nagg ne traduit pas d’accent milanais particulier).

La langue de Hamm, Clov, Nell et Nagg est une languede nulle part et de partout.

Celle-ci est impersonnelle et floue : elle est la langue de tout le monde et de personne.L’auteur irlandais se joue de son spectateur en composant un français à la fois usuel et contemporain maiségalement obscur et parfois hermétique.

En effet, dans nombre de ses dialogues, Beckett, plus que suggestif,devient elliptique.

Des informations manquent à la compréhension des certains dialogues et incitent donc lespectateur à faire de nombreuses hypothèses sur le sens réel des échanges verbaux des personnages.

Cetteobscurité sémantique se retrouve à de nombreux moments de l’oeuvre, comme dans le passage suivant l’histoire dufou racontée par Hamm (p.61).

Il conclut son récit par la phrase «Il faisait de la peinture.», Clov ajouteimmédiatement : «Il y a des choses terribles.» puis Hamm rétorque implacablement «Non non, il n’y en a plustellement.».

Quel est le sens réel de cet échange ? Que veut dire Hamm lorsqu’il place l’activité du peintre, déjàénoncée une page plus tôt, comme conclusion de l’épisode ? Différentes hypothèses viennent à l’esprit duspectateur : l’activité du peintre est-elle due à sa folie ? Ou au contraire, son art n’était-il pas une lutte contre safolie ? Ou bien encore, cet instinct artistique échappe-t-il totalement à Hamm si bien qu’il prend pour lui un aspectexplicatif et justificatif de la totalité de l’épisode ? Finalement, ce «peintre fou» n’est-il pas une parabole de lasituation présente de Hamm ? Et que penser de la réplique de Clov ; quelles sont les choses terribles qu’il désigne :l’apocalypse entrevue par le fou ? La folie elle-même ? Ou bien, n’ironise-t-il pas sur la vacuité de l’acte de peindredans ce monde apocalyptique ? Suggère-t-il par cette ironie que l’art est une chose «terrible» en soi, dans cecontexte de fin du monde ? Finalement, le spectateur à la recherche naturelle d’un sens, restera sans doute frustrétout le long de la pièce car il n’obtiendra pas de réponse univoque ; surtout lorsque Beckett précise qu’il esttotalement vain de vouloir trouver quelque symbole derrière le texte. Alors à l’image de ses personnages, le langage chez Beckett est un objet en constante décrépitude.

Face à la «belle langue » d’un Claudel, Beckett offre à son spectateur une langue ignorant les règles grammaticales, dont lesmots eux-mêmes sont déconstruits et dont l’aspect théâtral est tourné en dérision.

Ce langage ne nous apprendrien de précis sur la situation des personnages, et au contraire tend à toujours nous éloigner plus de la réellesignification de chacune des répliques.

La « faillite du langage » chez Beckett est alors avant tout une « faillite dusens ».

Si plus rien n’a de sens dans un monde insensé, de quel droit les mots pourraient-ils échapper à la règle ? De cet échec du sens, résulte une certaine « mécanique du langage » chez ces différents personnages.

Le langageest un ennemi car il ne sait plus signifier.

Pour lutter contre l'indicible ou pire, l’introduction du silence, Hamm et Clovfavorisent un langage irrationnel, quitte à ne plus se comprendre eux-mêmes.

C’est la naissance au théâtre del’incommunicabilité entre les êtres, comme aspect fondamental de la relation à Autrui. Comme nous l’avons vu précédemment, le signifié des mots est équivoque : il est sans cesse éclaté par Beckett, cequi mène le spectateur à s’interroger constamment sur la sens véritable de chacune des répliques.

Néanmoins, le. »

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