La mise en cause du langage dans Fin De Partie de Samuel Beckett
Publié le 19/09/2011
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Ainsi, la langue de Beckett est une langue malade et suicidaire, dont le signifiant et le signifié ont volé en éclat et dont toute valeur dramaturgique s’est vue annulée par elle-même. Alors, quelle est la fonction du langage dans Fin de Partie ? Que nous apprend-il sur les personnages ? Cette attente d’une langue «vraisemblable« qu’une personne réelle ou ayant réellement existé pourrait prononcer, est typique du théâtre classique. Bien évidement, Beckett pulvérise cette langue «naturaliste«, les répliques de chacun des personnages ne connotent aucun milieu social particulier, aucune période historique précise, ni aucun espace géographique (bien que le «lac de Côme« soit cité, la langue de Nagg ne traduit pas d’accent milanais particulier). La langue de Hamm, Clov, Nell et Nagg est une langue de nulle part et de partout. Celle-ci est impersonnelle et floue : elle est la langue de tout le monde et de personne. L’auteur irlandais se joue de son spectateur en composant un français à la fois usuel et contemporain mais également obscur et parfois hermétique.

«
raconteur» (p.35).
Néanmoins, par ce procédé de «théâtre dans le théâtre», Beckett parvient à remettre enquestion cette parole théâtralisée : « Je raconte mal.
(...) Je raconte cette histoire de plus en plus mal.
» (p.35).
Àtravers cette autocritique, Beckett met en cause le langage théâtral.
Mais le dramaturge va encore plus loin,lorsqu’au milieu de sa pièce il détruit le bien-fondé de la parole théâtrale par elle-même, quand Hamm doit s’yprendre à quatre reprises pour ouvrir son récit (à partir de la page 68) : par ce balbutiement, Hamm nous ouvre lesarcanes de la répétition théâtrale ainsi que celles de l’élaboration littéraire, en montrant à son spectateur quel’expression dramatique est tout sauf quotidienne et réaliste, elle n’est que pure création.
Après avoir détruit le Beaupar le symbole du tableau retourné, le Juste par la désespérante situation de ses personnages, Beckett finit paranéantir l’idée du Vrai, essence du théâtre, dans la mise en lumière des propres failles de l’art dramatique et afortiori, du langage.Ainsi, la langue de Beckett est une langue malade et suicidaire, dont le signifiant et le signifié ont volé en éclat etdont toute valeur dramaturgique s’est vue annulée par elle-même.
Alors, quelle est la fonction du langage dans Finde Partie ? Que nous apprend-il sur les personnages ? Cette attente d’une langue «vraisemblable» qu’une personneréelle ou ayant réellement existé pourrait prononcer, est typique du théâtre classique.
Bien évidement, Beckettpulvérise cette langue «naturaliste», les répliques de chacun des personnages ne connotent aucun milieu socialparticulier, aucune période historique précise, ni aucun espace géographique (bien que le «lac de Côme» soit cité, lalangue de Nagg ne traduit pas d’accent milanais particulier).
La langue de Hamm, Clov, Nell et Nagg est une languede nulle part et de partout.
Celle-ci est impersonnelle et floue : elle est la langue de tout le monde et de personne.L’auteur irlandais se joue de son spectateur en composant un français à la fois usuel et contemporain maiségalement obscur et parfois hermétique.
En effet, dans nombre de ses dialogues, Beckett, plus que suggestif,devient elliptique.
Des informations manquent à la compréhension des certains dialogues et incitent donc lespectateur à faire de nombreuses hypothèses sur le sens réel des échanges verbaux des personnages.
Cetteobscurité sémantique se retrouve à de nombreux moments de l’oeuvre, comme dans le passage suivant l’histoire dufou racontée par Hamm (p.61).
Il conclut son récit par la phrase «Il faisait de la peinture.», Clov ajouteimmédiatement : «Il y a des choses terribles.» puis Hamm rétorque implacablement «Non non, il n’y en a plustellement.».
Quel est le sens réel de cet échange ? Que veut dire Hamm lorsqu’il place l’activité du peintre, déjàénoncée une page plus tôt, comme conclusion de l’épisode ? Différentes hypothèses viennent à l’esprit duspectateur : l’activité du peintre est-elle due à sa folie ? Ou au contraire, son art n’était-il pas une lutte contre safolie ? Ou bien encore, cet instinct artistique échappe-t-il totalement à Hamm si bien qu’il prend pour lui un aspectexplicatif et justificatif de la totalité de l’épisode ? Finalement, ce «peintre fou» n’est-il pas une parabole de lasituation présente de Hamm ? Et que penser de la réplique de Clov ; quelles sont les choses terribles qu’il désigne :l’apocalypse entrevue par le fou ? La folie elle-même ? Ou bien, n’ironise-t-il pas sur la vacuité de l’acte de peindredans ce monde apocalyptique ? Suggère-t-il par cette ironie que l’art est une chose «terrible» en soi, dans cecontexte de fin du monde ? Finalement, le spectateur à la recherche naturelle d’un sens, restera sans doute frustrétout le long de la pièce car il n’obtiendra pas de réponse univoque ; surtout lorsque Beckett précise qu’il esttotalement vain de vouloir trouver quelque symbole derrière le texte.
Alors à l’image de ses personnages, le langage chez Beckett est un objet en constante décrépitude.
Face à la «belle langue » d’un Claudel, Beckett offre à son spectateur une langue ignorant les règles grammaticales, dont lesmots eux-mêmes sont déconstruits et dont l’aspect théâtral est tourné en dérision.
Ce langage ne nous apprendrien de précis sur la situation des personnages, et au contraire tend à toujours nous éloigner plus de la réellesignification de chacune des répliques.
La « faillite du langage » chez Beckett est alors avant tout une « faillite dusens ».
Si plus rien n’a de sens dans un monde insensé, de quel droit les mots pourraient-ils échapper à la règle ?
De cet échec du sens, résulte une certaine « mécanique du langage » chez ces différents personnages.
Le langageest un ennemi car il ne sait plus signifier.
Pour lutter contre l'indicible ou pire, l’introduction du silence, Hamm et Clovfavorisent un langage irrationnel, quitte à ne plus se comprendre eux-mêmes.
C’est la naissance au théâtre del’incommunicabilité entre les êtres, comme aspect fondamental de la relation à Autrui.Comme nous l’avons vu précédemment, le signifié des mots est équivoque : il est sans cesse éclaté par Beckett, cequi mène le spectateur à s’interroger constamment sur la sens véritable de chacune des répliques.
Néanmoins, lespectateur n’est pas le seul à ne «pas comprendre» ; les personnages eux-mêmes n’arrive pas à saisir le sens desmots :Nagg.
— Qu’est-ce qu’il a dit ?Nell.
—C’est peut-être une petite veine.Nagg.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? (Un temps.) Ça ne veut rien dire.Cet extrait de la page 33 témoigne de l'incompréhension mutuelle, ici celle d’un père pour son fils.
Chacun s’enlisedans son système de penser et n’arrive pas à accéder à celui de l’autre, si bien que l’autre est toujours ignoré,supprimé, voire néantisé au profit de sa propre personne.
Ainsi, après cette incompréhension, Nagg enchaîne sur «Jevais te raconter l’histoire du tailleur ».
Au demeurant, Nagg et Nell sont les figures même de l’incommunicabilité : ilssont d’abord presque sourds.
Mais surtout, dans l’épisode du tailleur, Nell refuse d’entendre une histoire qu’elleconnaît déjà par coeur tandis que Nagg l’ignore effrontément et la raconte tout de même, pour lui.
À la fin de sonhistoire, Hamm le fait taire violemment : « assez ! » (p.36).
Cet épisode témoigne de la situation dans laquelle vit cetrio familial : chacun parle pour soi, pour entendre sa propre voix, et ne peut supporter d’entendre celle de l’autre.Cet enlisement dans l’égocentrisme se retrouve à la page 17 :Hamm.
— Tu n’en a pas assez ?Clov.
— Si! (Un temps.) De quoi ?Les personnages s’écoutent entre eux, mais ne tentent plus de se comprendre.
Si le signifié tend peu à peu à seperdre, Hamm et Clov posent en permanence des interrogations sur le sens des mots.
Celles-ci sont stériles etvaines car dans leur monde, tout bon sens a disparu :.
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