La Fontaine: Le Vieux Chat et la Jeune Souris
Publié le 05/03/2011
Extrait du document
Une jeune Souris, de peu d'expérience, Crut fléchir un vieux Chat, implorant1 sa clémence, En payant de raisons2 le Raminagrobis3 « Laissez-moi vivre : une souris De ma taille et de ma dépense3 Est-elle à charge en ce logis ? Affamerais-je, à votre avis, L'hôte et l'hôtesse, et tout leur monde ? D'un grain de blé je me nourris ; Une noix me rend toute ronde. A présent je suis maigre ; attendez quelque temps ; Réservez ce repas à Messieurs vos enfants. « Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée. L'autre lui dit : « Tu t'es trompée ; Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours4 ? Tu gagnerais autant de parler à des sourds. Chat, et vieux, pardonner ? Cela n'arrive guères4. Selon ces lois, descends là-bas5, Meurs, et va-t-en, tout de ce pas Haranguer les Sœurs filandières5 ; Mes enfants trouveront assez d'autres repas «.
Il tint parole Et, pour ma fable, Voici le sens moral qui peut y convenir : La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir : La vieillesse est impitoyable. 1. implorant : en implorant, en payant. 2. Payer de raisons : donner des raisons, fournir des justifications. Cette expression sous-entend que l'on cherche à tromper celui qu'on « paie de raisons «. 3. Le Raminagrobis : nom emprunté à Rabelais, chez qui il désigne un magistrat. 4. Guères : orthographe ancienne du mot « guère «. 5. Les sœurs filandières : il s'agit des trois Parques qui filaient, puis coupaient le fil de la vie. Vous ferez de cette fable un commentaire composé. En vous fondant sur une analyse précise des procédés du style et de la versification, vous montrerez comment La Fontaine donne vie aux personnages et à la scène, et comment il suggère une réflexion sur les hommes et le monde.
- L'intérêt que La Fontaine porte au thème de la justice, souvent traité dans ses fables, et particulièrement au droit des faibles (Le petit poisson et le pêcheur, Le jardinier et son seigneur, La Génisse, La Chèvre et la Brebis en société avec le Lion). - Au point qu'il reprend ici, le schéma d'une fable célèbre du Livre I, « Le loup et l'agneau «. Pour le commentaire composé : annonce du plan auquel le libellé du sujet peut servir de support.
«
(pour le chat : dents et griffes acérées ; pour la souris : un seul recours, la fuite).
b) sur un plan délibérément humain, par l'âge et par la façon dont il modifie les attitudes dans la vie.
Le nom de «Raminagrobis » évoque le vieux casuiste rompu à démonter les argumentations des plaideurs.
La souris, au contraire,est « de peu d'expérience », elle est pleine d'illusions dangereuses ; et nous savons, d'avance, qu'elle échouera («crut fléchir »).
(2) Début du plaidoyer de la souris
D'abord, un impératif exprimant une supplique « laissez-moi vivre » ; il y a urgence ; pas un mot de trop ; l'essentielest de gagner du temps.
L'argument logique ne vient qu'ensuite, il est simple : elle vit de peu.
L'intérêt, lepathétique de la scène, viennent de l'angoisse perceptible.
a) Par l'absence de verbe introduisant le discours direct : il faut faire vite.
b) Par le rythme :
après l'ampleur des alexandrins, les octosyllabes traduisent la hâte ; de même que l'enjambement « une souris de mataille...
».
Tout le passage est comme haletant, suggère l'essoufflement consécutif à la fuite.
c) Par l'humilité des formules interrogatives.
(3) Suite du plaidoyer
La souris semble reprendre un peu de présence d'esprit : elle avance un seul argument, mais elle le met en valeur(redondance et surtout hyperboles : « un grain de blé...
une noix...
»).
(4) La souris retrouve son souffle
Le rythme s'assagit ; c'est le retour aux alexandrins : le premier encore fortement scindé par la césure ; le second,presque d'une seule coulée.
Avec le souffle, le sang-froid :
L'adjectif « ronde » appelle immédiatement son contraire « à présent, je suis maigre ».
L'antithèse serait simpliste sielle n'était immédiatement exploitée (« attendez, réservez »), et ce, dans deux directions, l'appel au bon sens : nepas couper son blé en herbe, (si l'on peut dire...
!) ; et la corde sentimentale avec l'allusion aux enfants...
Le toutavec une politesse presque obséquieuse : « Messieurs vos enfants ».
Tous les moyens sont bons, vu la gravité de la situation, évoquée avec une éloquente sobriété : « la sourisattrapée » (le premier sens de attrapé étant : pris dans une trappe, un piège).
(5) Réfutation du chat
La rupture de ton est frappante : sécheresse presque triviale de « l'autre » ; morgue du tutoiement (la souris elle,disait « vous »).
Les premiers mots ont le tranchant d'un couperet : « tu t'es trompée » ; chaque mot porte,martelé par l'allitération en « t ».
L'explication qui suit ne laisse aucune place à l'illusion : « Tu gagnerais...
parler àdes sourds ».
Le rythme du vers détaille (3 3 6) les deux raisons de l'implacable cruauté.
L'une animal « chat »,l'autre humaine « vieux ».
Encadré par deux fortes pauses, le mot « pardonner » prend toute sa valeur d'ironiquedérision.
(6) Suit la condamnation
Exprimée avec brutalité, sans la moindre trace de pitié.
a) Scandée par les pauses qui mettent en évidence la sentence « meurs », renforcée parla brutalité des impératifs(« descends...
meurs...
va-t-en...
»).
b) Et par l'ironie presque sadique « haranguer les sœurs filandières ».
Le chat a des lettres, mais sa culture, loin del'incliner à la mansuétude, pimente sa férocité.
Son implacable sûreté de soi n'a pas été entamée : « mes enfantstrouveront assez d'autres repas ».
Apparemment il a tranché en juriste : « selon ces lois...
» ; mais quelles sont ces lois ? sinon les siennes : « chat etvieux » ; c'est le règne de l'arbitraire.
(7) Reprise du récit
Il est sommaire et terrible dans son économie : « il tint parole ».
Au lecteur d'imaginer la cruelle conclusion.
(8) La morale.
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