LA FONTAINE ET LA FABLE
Publié le 20/05/2011
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La Fontaine trouve dans la Fable le cadre qui lui convient.
— Mais, dans tous ces genres La Fontaine ne pouvaitdonner sa complète mesure.
Il lui en fallait un qui fût à peine déterminé, et qui, en même temps, embrassât tous lesautres.
Il trouva la fable.
— La fable est un conte : or, La Fontaine est narrateur exquis, formé à l'école des vieuxtrouvères du XIVe siècle, et des Italiens; — la fable est une comédie : La Fontaine sait observer et peindre lesridicules, entrer dans les caractères, prêter à chacun le langage de sa condition; — la fable comporte un décorformé par la description de la nature : La Fontaine connaît et aime la nature; — la fable permet des réflexionspersonnelles, et par conséquent la poésie individuelle et lyrique, exclue des autres genres : La Fontaine, rêveur,capricieux, mélancolique, y pourra nous confier ses impressions et ses voeux; — enfin la fable demande une morale :La Fontaine, épicurien, bonhomme, ironique témoin des devoirs sociaux, nous dira ce qu'il pense des hommes àpropos des bêtes.Comment La Fontaine transforme la Fable.
— Voyons donc comment il transforme la fable ésopique pour lui donnercette étendue et cette richesse, et pour s'y trouver à l'aise.1° II se soucie peu d'inventer les sujets : « Son originalité, a dit Sainte-Beuve, est dans la manière, non dans lamatière.
»2° Il trouve chez Ésope, Phèdre, Pilpay, etc., les éléments d'un petit drame, et il le perfectionne : — a) enorganisant l'intrigue, dont l'exposition, les péripéties, le noeud, le dénouement, sont admirablement liés.
— b) Il luidonne souvent un petit décor, très sobre, mais très suggestif et que nous n'avons pas de peine à compléter.
— c) Ily précise, avec une étonnante sûreté, le caractère de ses personnages.
Chacun d'eux est vivant, a son allure, saphysionomie, ses gestes et son langage.
— d) La Fontaine, comme Molière, n'a pas un style ; il laisse parler lerenard, le loup, le lion, le financier, le savetier, la laitière, selon le caractère et la condition qu'ils représentent.
—Tels sont les éléments essentiels du drame chez La Fontaine.
Ajoutons ici qu'il faut également entendre la définitionqu'il donne de ses fables, « une ample comédie à cent actes divers », dans un sens plus étendu, — comme laComédie humaine de Balzac.3° La Fontaine connaît les animaux; il les aime, et il proteste contre la théorie de Descartes qui ne veut voir en euxque des machines (Discours à Mme de la Sablière).
— Il les a analysés, non en savant, mais comme l'ont fait de touttemps les enfants et les gens du peuple : son génie consiste à les avoir observés, peints d'après nature, et à leuravoir prêté des sentiments toujours d'accord avec leur physique.4° La Fontaine a le sentiment de la nature.
Ces animaux, il les a vus aller et courir dans les bois, sur les prés, dansl'eau du fleuve ou du ruisseau.
Souvent aussi La Fontaine se laisse aller à la rêverie : O fortuné séjour, 6 champsaimés des dieux I...
C'est par là qu'il est un lyrique, au sens le plus large du mot.5° Il peint dans ses fables toutes les conditions sociales, tantôt sous la figure des animaux (le lion est le roi, lerenard le courtisan, etc.), tantôt sans aucune transposition (le savetier, les paysans, le meunier, le curé,l'astrologue...); car il y a beaucoup de contes parmi les fables.
— On peut tirer de La Fontaine, comme de Molière etde La Bruyère, toute une galerie de portraits du XVIIe siècle, et il n'en est guère de plus variée ni de plus complète;mais ce sont en même temps des caractères humains, qui resteront toujours vrais.La morale de La Fontaine.
— La Fontaine n'a évidemment pas entrepris ses fables pour donner des leçons à sescontemporains; son indulgente philosophie ne peut lui suggérer l'idée de dogmatiser.
Mais, enfin, il écrit des fables ;la tradition veut que la fable ait une moralité, et il ne prétend pas s'y soustraire.
Dans sa préface de 1668, il insistesur l'utilité de l'apologue, lequel se compose de deux parties : le corps qui est le récit, et l'âme qui est la moralité.C'est nous dire, très habilement, que nous ferons bien de ne pas attendre que l'auteur ait exprimé la leçon qu'ilprétend tirer de la fable; mais que cette leçon circule en quelque sorte dans tout le récit et s'en dégage d'elle-même.
— La Fontaine enseignera, comme la vie, la morale de l'expérience.
Il nous apprendra que la présomption, lavanité, l'orgueil, la dureté du coeur, la prodigalité, l'avarice, etc., poussent l'homme à méconnaître les conditionsnaturelles ou sociales de la vie.
« Il se faut entr'aider, c'est la loi de nature.
» « On a souvent besoin d'un plus petitque soi.
» « On hasarde de perdre, en voulant trop gagner.
» « En toute chose, il faut considérer la fin.
» « Ne nousassocions qu'avec nos égaux », etc.
Il nous prévient contre toutes les puissances, la cour, la justice, les gens definance, etc.
— Il nous donne une leçon générale de modération et d'intelligente bonté.Et maintenant, disons que cette morale est incomplète, que le nom même de morale ne lui convient qu'à demi,qu'elle n'apprend ni le dévouement, ni le sacrifice, ni aucune de ces vertus dont il faut que l'homme soit épris pourêtre vraiment grand.
La Fontaine écrivain.
— La Fontaine est, avec Molière, et plus encore que lui, l'écrivain classique le plus riche et leplus varié.
Il sait prendre tous les tons.
Il est grave et presque sublime, tantôt sérieusement, tantôt à la façonhéroï-comique.
Il est simple et ironique, amusé autant qu'amusant, dans la plupart de ses fables.
Dans chaquegenre, sa langue est d'une remarquable propriété.
De là, un vocabulaire plus étendu que celui d'aucun autre écrivainde son temps.
C'est justement cette variété et cette richesse qui ont préservé La Fontaine, au XIXe siècle, contreles critiques; son réalisme a plu, comme plaisait son lyrisme.
Mais il est bien classique, par la mesure et par l'unité.— Versificateur, La Fontaine a prouvé qu'il connaissait les moindre secrets du métier.
Ce n'est rien de dire qu'il a uséde tous les genres de vers; son mérite est de les avoir appropriés à son sujet.
Le vers libre était la forme obligéed'un genre où l'on passait de la description au dialogue, de la satire à la morale, du comique au lyrisme.Pourquoi Boileau omet la fable dans l'Art poétique, — On a prétendu que Boileau pouvait craindre de déplaire à LouisXIV s'il parlait, dans son Art poétique, de la Fable, représentée par un écrivain que le Roi tenait pour suspect.
Cetteraison ne saurait être admise.
La vérité est que Boileau donne exclusivement les règles des genres poétiques, c'est-à-dire de ceux qui devaient être écrits en vers.
Aussi ne trouve-t-on dans son ouvrage ni le Conte, ni l' Épître, ni legenre didactique, ni la Fable, qui peuvent user de la prose comme de la poésie.
Ajoutons que Boileau ne cite pourmodèles que des anciens, ou des contemporains morts à l'époque où il écrit.Mais disons surtout que rien, ni dans la vie ni dans l'oeuvre de Boileau, ne saurait nous autoriser à lui attribuer unelâcheté d'autant plus vile que La Fontaine était pour lui un ami sûr et confiant..
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