La fin du roman: Le Rouge et le Noir de Stendhal
Publié le 22/01/2020
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bien éduqués qui voudraient partir à l’assaut de la société. Bref, il contribue à écraser les nouveaux Julien Sorel.
Bien entendu, ce « changement de camp » objectif s’est accompagné d’une transformation morale. On peut mettre deux scènes en parallèle. L’une se situe tout au début du roman (p. 58), Julien a du mal à contenir son indignation devant le respect dont on entoure M. Valenod : « Un homme qui évidemment a doublé et triplé sa fortune, depuis qu’il administre le bien des pauvres ! Je parierais qu’il gagne même sur les fonds destinés aux enfants trouvés, à ces pauvres dont la misère est encore plus sacrée que celle des autres ! Ah ! Monstres I Monstres ! » Des larmes de généreuse indignation lui viennent aux yeux, il s’assimile à ces enfants trouvés. Or, dans la deuxième partie du roman, nous le voyons réclamer cette place de directeur du dépôt de mendicité pour son père, qu’il juge le plus fieffé des coquins ! Il fait également attribuer le bureau de loterie de Verrières à un vieil imbécile réactionnaire, alors qu’il avait été demandé par M. Gros, célèbre géomètre et homme généreux. Il a bien un recul devant sa propre turpitude, mais il se reprend : « Ce n’est rien, se dit-il; il faudra en venir à bien d’autres injustices si je veux parvenir » (p. 329). Ailleurs, il conclut cyniquement qu’une position sociale plus élevée rendrait ses « coquineries » « moins ignobles ».
Ainsi donc, le lieutenant de La Vernaye n’est plus, apparemment, l’ardent Julien du début. « Mon roman est fini, et à moi seul tout le mérite » s’écrie-t-il avec orgueil (p. 508). Oui, son roman est fini, l’arriviste est « arrivé », et Stendhal aurait pu arrêter là son livre, laissant à sa brillante carrière un héros qui s’est trahi lui-même; Julien serait un Rasti-gnac bourgeois, Le rouge une sorte de leçon de cynisme.
COUP DE THÉÂTRE :
LE CRIME DE JULIEN ET SES INTERPRÉTATIONS
Or, au moment où tout est gagné, voilà que tout est perdu ! Le marquis de La Mole reçoit de Mme de Rénal une lettre dénonçant Julien comme un vil hypocrite qui cherche à « disposer du maître de la maison .et de sa fortune » en séduisant femme ou fille. Furieux de cette catastrophe imprévue, qui le frappe en plein triomphe, Julien se précipite à Ver
«
tiré l'épée contre un manant, a été reprise à propos par
M.
de La Mole, et va être accréditée par ses soins.
La recon
naissance implicite de sa haute naissance est acceptée par
le puissant abbé de Frilair -moyennant le règlement du
procès qui l'opposait à M.
de La Mole.
Voici donc Julien
anobli, aussi bien dans l'opinion publique que sur les papiers
officiels.
Mais l'essentiel est que Julien se mette à croire
lui-même à cette histoire : « Serait-il bien possible que je
fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos
montagnes par le terrible Napoléon? A chaque instant
cette idée lui semblait moins improbable" (p.
510).
Luiqui
était animé, au début du roman, du « feu sacré avec lequel
on se fait un nom" (p.
102) en accepte un tout fait du père de
la jeune fille qu'il a séduite.
Noble, époux d'une femme
noble, il va fonder une dynastie, et se projette déjà sur
l'enfant à naître -qui ne saurait être qu'un fils, puisqu'il
doit être le double fortuné de Julien.
En apprenant qu'il est
le chevalier de La Vernaye, " sa joie fut sans bornes.
On
peut se la figurer par l'ambition de toute sa vie, et par la
passion qu'il avait maintenant pour son fils )> (p.
508).
On
mesure la trahison de classe de Julien : il se rêve de sang
noble.
Corollairement, son dieu tutélaire, son modèle,
Napoléon, " l'homme envoyé de Dieu pour les jeunes Fran
çais ''> est devenu « ce terrible Napoléon "' terme dont se
servent ses ennemis, les aristocrates.
Objectivement, en
acceptant la mission secrète que lui confie M.
de La Mole,
quand il est l'émissaire de la conspiration ultra, il travaille
contre les " deux cent mille jeunes gens appartenant à la
petite-bourgeoisie )) et désireux de sortir de leur médiocrité,
dont il faisait partie autrefois.
Il s'étonne que les conspira
teurs ultra parlent franchement devant lui :.
»
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