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La fenêtre éclairée: Un amour de Swann de Proust (commentaire)

Publié le 28/09/2018

Extrait du document

amour

La fenêtre éclairée

II y avait à peu près une heure et demie qu’il l’avait quittée, il ressortit, prit un fiacre et se fit arrêter tout près de chez elle, dans une petite rue perpendiculaire à celle sur laquelle donnait, derrière, son hôtel et où il allait quelquefois frapper à la fenêtre de sa chambre à coucher pour qu’elle vînt lui ouvrir; il descendit de voiture, tout était désert et noir dans ce quartier, il n’eut que quelques pas à faire à pied et déboucha presque devant chez elle. Parmi l’obscurité de toutes les fenêtres éteintes depuis longtemps dans la rue, il en vit une seule d’où débordait - entre les volets qui en pressaient la pulpe mystérieuse et dorée - la lumière qui remplissait la chambre et qui, tant d’autres soirs, du plus loin qu’il l’apercevait en arrivant dans la rue, le réjouissait et lui annonçait: « elle est là qui t’attend » et qui maintenant le torturait en lui disant: « elle est là avec celui qu’elle attendait ». Il voulait savoir qui; il se glissa le long du mur jusqu’à la fenêtre, mais entre les lames obliques des volets il ne pouvait rien voir; il entendait seulement dans le silence de la nuit le murmure d’une conversation.

 

Certes, il souffrait de voir cette lumière dans l’atmosphère d’or de laquelle se mouvait derrière le châssis le couple invisible et détesté, d’entendre ce murmure qui révélait la présence de celui qui était venu après son départ, la fausseté d’Odette, le bonheur qu’elle était en train de goûter avec lui. Et pourtant il était content d’être venu: le tourment qui l’avait forcé de sortir de chez lui avait perdu de son acuité en perdant de son vague, maintenant que l’autre vie d’Odette, dont il avait eu, à ce moment-là, le brusque et impuissant soupçon, il la tenait là, éclairée en plein par la lampe, prisonnière sans le savoir dans cette chambre où, quand il le voudrait, il entrerait la surprendre et la capturer; ou plutôt il allait frapper aux volets comme il faisait souvent quand il venait très tard; ainsi du moins, Odette apprendrait qu’il avait su, qu’il avait vu la lumière et entendu la causerie, et lui, qui tout à l’heure, se la représentait comme se riant avec l’autre de ses illusions, maintenant, c’était eux qu’il voyait, confiants dans leur erreur, trompés en somme par lui qu’ils croyaient bien loin d’ici et qui, lui, savait déjà qu’il allait frapper aux volets. Et peut-être, ce qu’il ressentait en ce moment de presque agréable, c’était autre chose aussi que l’apaisement d’un doute et d’une douleur: un plaisir de l’intelligence.

 

Folio, pp. 116-117

Mouvement

 

Tout le texte est construit autour d’un renversement. Au long du premier paragraphe, Swann se convainc, douloureusement, de sa disgrâce: tandis qu’il se rapproche de la fenêtre, il perçoit des indices - lumière, murmures - qui l’amènent à imaginer ce qui se passe dans la pièce. Dans le second paragraphe, un travail mental lui permet de convertir le désarroi sentimental qu’il ressent en satisfaction intellectuelle et de regagner sur ceux par lesquels il se sentait trompé une supériorité morale : il est désormais celui qui sait, et qui va démasquer les coupables.

amour

« saient la pulpe mystérieuse et dorée -la lumière qui remplissait la chambre et qui, tant d'autres soirs, du plus loin qu'il l'apercevait en arrivant dans la rue, le réjouissait et lui annonçait: « elle est là qui t'attend » et qui maintenant le torturait en lui disant: « elle est là avec celui qu'elle attendait >>.

Il voulait savoir qui; il se glissa le long du mur jusqu'à la fenêtre, mais entre les lames obliques des volets il ne pouvait rien voir; il entendait seulement dans le silence de la nuit le mur­ mure conversation.

Certes, il souffrait de voir cette lumière dans l'atmo­ sphère d'or de laquelle se mouvait derrière le châssis le couple invisible et détesté, d'entendre ce murmure qui révélait la présence de celui qui était venu après son départ, la fausseté le bonheur qu'elle était en train de goûter avec lui.

Et pourtant il était content d'être venu: le tourment qui l'avait forcé de sortir de chez lui avait perdu de son acuité en perdant de son vague, maintenant que l'autre vie d'Odette, dont il a vait eu, à ce moment-là, le brus que et impuissant soupçon, il la tenait là, éclairée en plein par la lampe, prisonnière sans le savoir dans cette chambre où, quand ille voudrait, il entrerait la surprendre et la cap­ turer; ou plutôt il allait frapper aux volets comme il faisait souvent quand il venait très tard; ainsi du moins, Odette apprendrait qu'il avait su, qu'il avait vu la lumière et entendu la causerie, et lui, qui tout à l'heure, se la représentait comme se riant avec l'autre de ses illusions, maintenant, c'était eux qu'il voyait, confiants dans leur erreur, trompés en somme par lui qu'ils croyaient bien loin d'ici et qui, lui, savait déjà qu'il allait frapper aux volets.

Et peut-être, ce qu'il res­ sentait en ce moment de presque agréable, c'était autre chose aussi que l'apaisement d'un doute et d'une dou­ leur: un plaisir de l'intelligence.

Folio, pp.

116-117 Situation du texte Depuis qu'Odette a introduit le comte de Porcheville chez les Verdurin, Swann se sent fiévreux et préoc­ cupé.

Un soir où la jeune femme l'a renvoyé un peu plus sèchement que de coutume, il est assailli par le Métaphore ! 1 et métonymie l 1 Deux figures de 1 style principales interviennent dans i for mation des 1 images littéraires.

On définit couram ment la métaphore comme une compa raison sans comme, sans terme compa � ra tif : deux objets sont immédiatement rapp rochés, iden tifiés l'un à l'autre; alors qu'ils sont éloignés dans la réalité , l'œil du poète ou de l'écri vain sait discerner entre eux une ressemblance.

Ainsi, une analogie entre la brûlure du feu et l'ardeur des sen timents permettait aux amoureux du Grand Siècle de déclarer leur flamme.

Dans le cas de la métonymie, un mot vient aussi se su bstituer à un autre, non pas parce qu'il y aura it une ressemblance entre les objets qu'ils désig nent, mais parce qu'un certain rapport de proxi mi té, spatial ou log ique, les unit.

Lorsqu'on se pro pose d'aller >, on désigne le liquide par son contenant; lorsqu'on loue votre. »

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