La fêlure originelle ou l'enfance de Baudelaire
Publié le 07/09/2013
Extrait du document

Le gouffre
Charles Baudelaire est né à Paris le 9 avril 1821. La mort de
son père, François Baudelaire, le 10 février 1827, alors que le
futur poète n'a que six ans, le remariage de sa mère avec le
commandant Aupick, le 8 novembre 1828, vont marquer profondément
sa sensibilité. Très attaché à sa mère, il semble
que l'enfant ait ressenti cette union comme une trahison. A
vrai dire, la révolte de Baudelaire contre son beau-père ne se
manifestera que plus tard, à l'âge adulte. Mais la violence
avec laquelle il rompra alors avec l'ordre familial prend sans
nul doute ses racines dans ce traumatisme subi à un moment
d'autant plus crucial que la mort du père avait, un temps trop
bref, enlevé tout obstacle à un amour maternel qui lui était
alors accordé sans partage. Lui-même n'a jamais laissé aucune
ambiguïté sur ce sujet, comme sa correspondance en
témoigne: «J'étais toujours vivant en toi, écrira-t-il plus tard à
sa mère, tu étais toujours vivante en moi. «
Il serait simpliste d'expliquer sa vocation de poète par cette
blessure, mais comment nier l'incidence d'une situation ressentie
par lui comme un abandon sur son oeuvre, sur sa vision
du monde.
Nul doute que l'incurable nostalgie du paradis perdu qui
retentit dans ses plus beaux vers provient de cette faille. On
ne peut dissocier sa création poétique de ce déchirement
existentiel auquel elle devra son intensité, son frémissement
et aussi sa fragilité, sa relativité. Le travail souterrain qui a
suivi cette brusque révélation de sa solitude et de sa singularité,
bien qu'il n'explique en rien son éveil à la poésie, et
encore moins son génie poétique, entrera certainement pour
beaucoup dans sa volonté d'être poète. Par là même, les
traces indélébiles que laissera dans son âme cette expérience
précoce d'un délaissement éprouvé comme une véritable «déréliction
«, forgeront la fondamentale ambiguïté de son attitude
envers la vie, envers le monde et surtout envers le
langage. On peut même identifier l'éveil en lui de la vocation
poétique à ce passage du délaissement à la déréliction, mot
chargé de connotations bibliques, qui désigne l'état d'abandon
de l'homme par Dieu. Le sentiment de déréliction est
celui-là même éprouvé par le Christ au jardin des Oliviers,
quand il reprocha à son père de l'avoir abandonné. La déréliction,
c'est le désespoir de l'âme laissée à elle-même, de
l'âme qui se sent exclue de la grâce divine.
L'usage poétique de la parole est scellé par cet agrandissement
de la destinée individuelle en drame universel, cosmique,
le drame de l'humanité déchue.
La prise de parole
On peut donc parler de «prise de parole« du poète, comme
on parle de prise d'un sacrement. Le sacrement d'une
épreuve imposée par Dieu, comme le furent celles de Job ou
d'Abraham. Cette acceptation de son destin, et cette volonté
d'y voir une expérience exemplaire ne sont pas vécues par
Baudelaire comme un signe d'élection mais bien plutôt
comme la confirmation de son indignité.
Ce qui était considéré auparavant comme la marque d'une
élévation devient, à partir de Baudelaire, celle d'un abaissement.
A cette coïncidence entre une histoire personnelle et le
mythe chrétien s'ajoute, en effet, la conjonction entre les
particularités d'une destinée vouée à l'échec et le sort qui est
fait désormais au poète dans la société. Pour la première fois,
la poésie ne retentit plus comme le langage des héros et des
prophètes, mais comme la tentative pour redonner un sens à
des mots que personne ne veut plus entendre. Le poète n'est
plus le tribun qui enseigne les foules, mais un aveugle qui
essaie de déchiffrer d'obscurs et inutiles graffitis dans les catacombes
d'une mémoire perdue.
Moi-même, quand je dis «le poète«, j'applique au «cas«
de Baudelaire (comme on dit des enfants délinquants qu'ils
sont «des cas sociaux«) un cliché devenu, à cette date, anachronique.
Car désormais les poètes ne constituent plus une
caste; ils retournent à leur humble condition d'individus appelés
à réapprendre le métier de vivre. Dans ce sens, l'éclairage
biographique encore si décrié apparaît indispensable
pour comprendre le fonctionnement interne d'une poétique
aussi individuelle que les rides sur le visage et que le battement
du sang dans les veines.

«
Nul doute que l'incurable nostalgie du paradis perdu qui
retentit dans ses plus beaux vers provient de cette faille.
On
ne peut dissocier sa création poétique de ce déchirement
existentiel auquel elle devra son intensité, son frémissement
et aussi sa fragilité, sa relativité.
Le travail souterrain qui a
suivi cette brusque révélation de sa solitude
et de sa singula
rité, bien qu'il
n'explique en rien son éveil à la poésie, et
encore moins son génie poétique, entrera certainement pour
beaucoup dans sa volonté d'être poète.
Par là même, les
traces indélébiles que laissera dans son âme cette expérience
précoce
d'un délaissement éprouvé comme une véritable «dé
réliction»,
forgeront la fondamentale ambiguïté de son atti
tude envers la vie, envers le monde et surtout envers le
langage.
On peut même identifier l'éveil en lui de la vocation
poétique à ce passage du délaissement à la déréliction, mot
chargé de connotations bibliques, qui désigne l'état d'aban
don de l'homme
par Dieu.
Le sentiment de déréliction est
celui-là même éprouvé
par le Christ au jardin des Oliviers,
quand
il reprocha à son père de l'avoir abandonné.
La déré
liction, c'est le désespoir de l'âme laissée à elle-même, de
l'âme qui se sent exclue de la grâce divine.
L'usage poétique de la parole est scellé
par cet agrandisse
ment de la destinée individuelle en drame universel, cosmi
que, le drame de l'humanité déchue.
La prise de parole
On peut donc parler de «prise de parole» du poète, comme
on parle de prise
d'un sacrement.
Le sacrement d'une
épreuve imposée
par Dieu, comme le furent celles de Job ou
d'Abraham.
Cette acceptation de son destin, et cette volonté
d'y voir une expérience exemplaire ne sont pas vécues par
Baudelaire comme un signe d'élection mais bien plutôt
comme la confirmation de son indignité.
Ce qui était considéré auparavant comme la marque d'une
élévation devient,
à partir de Baudelaire, celle d'un abaisse
ment.
A cette coïncidence entre une histoire personnelle et le
mythe chrétien s'ajoute, en effet, la conjonction entre les
particularités d'une destinée vouée
à l'échec et le sort qui est
fait désormais au poète dans la société.
Pour la première fois,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Baudelaire définit en ces termes le trait principal de la démarche du créateur (artiste ou écrivain) : «Le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté.» Estimez-vous que, pour l'écrivain, la création littéraire, et pour le lecteur, des contacts personnels avec l'oeuvre, les aident à retrouver l'enfance ou, au contraire, à s'en éloigner ?
- Le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté (Baudelaire)
- Baudelaire définit en ces termes le trait principal de la démarche du créateur-artiste ou écrivain : « Le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté. » Estimez-vous que, pour l'écrivain, la création littéraire, et, pour le lecteur, ses contacts personnels avec l'oeuvre, les aident à retrouver l'enfance ou, au contraire, les en éloignent ?
- « Le génie n'est que l'enfance nettement formulée. » Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels. Commentez cette citation.
- Le génie n'est que l'enfance nettement formulée. Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels. Commentez cette citation.