La diversité des points de vue dans LE MISANTHROPE de MOLIERE
Publié le 02/03/2020
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Par contre, tous les autres personnages font partie de ces extravagants qui, dans les pièces de Molière, connaissent l’échec, et qui, dans Les Caractères de La Bruyère, sont présentés comme des excentriques inadaptés. Alceste part perdant, non parce qu’il est sincère, mais parce qu’il est trop sincère. Célimène est humiliée, non parce qu’elle est coquette, mais parce qu’elle dépasse les bornes permises de la coquetterie. Oronte est ridicule, non parce qu'il écrit des vers, mais parce que cette activité est devenue, chez lui, une véritable manie. Les marquis prêtent à rire, non parce qu’ils sont à l’affût de la mode, mais parce que cette recherche a pris la forme d'une obsession. Arsinoé n'est pas condamnée pour sa pruderie, mais pour l’exagération qui marque ses attitudes.
Oronte était déjà le type du courtisan perverti puissamment intégré à la vie de cour, asservi à ses règles et à ses lois. Les marquis vont encore plus loin dans cette voie. L'artifice leur est devenu une seconde nature. Ils ne peuvent plus être eux-mêmes. Constamment en représentation, ils ne se déterminent qu’en fonction de la mode, du bon ton. Et même quand ils sont sincères, lorsque, par exemple, ils essaient de jouer loyalement, à la scène 1 de l’acte III, le jeu de la concurrence honnête, ils le sont, parce qu’il est bien vu de l’être.
Avec Célimène, on franchit un degré de plus dans cette escalade de l’insincérité. C’est que la coquette a l’avantage - ou l’inconvénient - d’être totalement lucide. Elle joue, mais elle sait qu’elle joue. Elle est hypocrite , mais elle sait qu'elle est hypocrite. Ses dissimulations, ses mensonges, ses demi-vérités, elle sait qu'elle s’y livre pour se faire une place dans ce monde de la séduction. Elle agit ainsi, par intérêt certes, mais aussi pour la beauté du geste, pour se divertir des autres. Elle éprouve un grand mépris pour ses semblables. Paradoxalement, elle fait une exception pour Alceste, parce qu’en fait leurs conceptions sont relativement proches l’une de l’autre, Par mépris pour l'homme, il tombe dans une sincérité excessive ; par mépris pour l’homme, elle donne dans une insincérité sans nuances.
Reste la conception d’Arsinoé. C’est la conception peut-être la plus paradoxale. Arsinoé est en apparence sincère, puisqu’elle dit, en apparence, la vérité. Mais, dans ses intentions, elle ne l’est pas. Elle a, de tous, la position la plus détestable, parce qu’elle dissimule constamment son désir de nuire sous les prétextes de la moralité et du bien. Un Tartuffe en jupons, en quelque sorte...
«
parfois elle paraît brutale, si elle semble refuser le
compromis, tient toujours compte de deux pôles : le pôle
de l'absolu individuel qui donne libre cours aux impulsions
immédiates de la nature et le pôle de l'absolu social qui fait
triompher les apparences et le fabriqué.
Dès lors, les personnages du Misanthrope peuvent fort
bien tomber d'accord sur cette difficulté d'adaptation
qu'éprouve chacun, lorsqu'il se trouve confronté aux
autres.
Ils peuvent déplorer ensemble que les relations
sociales soient perverties par le recours à la ruse, à la force
ou à la dissimulation.
Philinte en convient, tout comme
·.
Alceste.
Eliante le reconnaît.
Même Célimène, voire
Arsinoé, ont parfois des paroles qui donnent à penser
qu'elles ne sont pas loin d'un tel constat.
Mais lorsqu'ils ont à faire face à cette situation, alors ils
se séparent, chacun a sa stratégie, chacun a ses armes,
chacun a ses ripostes.
Et c'est donc dans la pratique qu'il
est possible de les classer sur cette échelle de la sincérité,
de dégager les attitudes susceptibles d'être adoptées face à
cet important problème humain : ainsi pourront être
précisées les différentes conceptions de l'homme.
• De la sincérité aux concessions
Alcest, c'est, en première analyse, la sincérité totale,
entière, sans compromis.
Elle doit traquer tous les vices,
être constamment à l'affût des défauts des autres.
Elle se
révèle comme une démarche pédagogique directive qui
doit s'efforcer d'orienter l'homme sur la voie de la vertu.
C'est apparemment la solution du tout ou rien, l'attitude
de la rigueur et du sectarisme.
Mais cette rigueur, ne se
relâche-t-elle pas parfois? Alceste doit, lui aussi, tenir
compte des réalités, en maintenant les apparences d'un
certain savoir-vivre; et souvent, il ne peut s'empêcher
· d'adoucir sa position; il sait se montrer conciliant envers
Célimène et surtout envers lui-même.
Sa sincérité, c'est en
fait la sincérité de l'égoïsme, la franchise commode qui ne
se soucie guère des traumatismes qu'elle impose aux
· autres.
Car la vérité est-elle toujours bonne à dire·? La
misanthropie qui véhicule un tel comportement, c'est une
misanthropie de désUlusion et non de réflexion.
C'est un
62.
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