La dernière phrase du récit d'André Breton intitulé Nadja (1928) est : «La beauté sera convulsive ou ne sera pas.» À la fin du premier chapitre de L'Amour fou (1937), Breton précise sa formule : «La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas.» À la lumière de ces déclarations, vous tâcherez de définir l'esthétique surréaliste.
Publié le 04/07/2011
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«
surpris par certaines dispositions d'objets et que toute l'énigme de la révélation tenait pour lui dans ce mot :surpris», Nadja, p.
14), scandale (Jacqueline Lambda, dans L'Amour fou p.
63, est «scandaleusement» belle, si bienque Breton pense que dans la réalité comme dans l'art le surgissement du beau provoque toujours un certainmouvement d'hostilité), fruit du hasard (Breton, dans Nadja, p.
17, parle d'«un de ces arrangements fortuits, decaractère plus ou moins nouveau, dont il semble qu'à bien nous interroger nous trouverions en nous le secret»).
Cesobjets que lui fournit le hasard, l'artiste les utilise avec une curieuse indifférence sur leur caractère ancien oumoderne (du masque polynésien à la lampe Mazda, dans Nadja).
Il porte autant d'intérêt au Marché aux puces(Nadja, p.
62 ; L'Amour fou, p.
39) qu'à la peinture de Paolo Ucello (dont le tableau La Profanation de l'hostie lui estmontré au moment précis où il vient d'embrasser Nadja) ou à celle de Watteau ; mais à noter qu'un chef-d'œuvrecomme L'Embarquement pour Cythère n'a d'intérêt pour Breton que dans la mesure où «on vérifie que sous diversesattitudes il ne met en scène qu'un seul couple» (Nadja, p.
128).
En d'autres termes, les chefs-d'œuvre comme lesobjets quelconques ne font éclater la beauté que par des rapprochements inattendus.
«Plus l'élément dedissemblance immédiate paraît fort, plus il doit être surmonté et nié» (Les Vases communicants, p.
129).
Esthétiquequi est donc en même temps une poétique, le beau comme la poésie provenant avant tout de la mise en présencebrusque et saisissante de deux objets aussi éloignés que possible dont on fait apparaître l'unité.2 L'évolution et la vie.
Cependant on ne saurait rapprocher n'importe quoi de n'importe quoi, car la beauté est dansla vie.
Si Nadja fait une excellente «explication de texte» d'un poème de Jarry (Nadja, p.
83), c'est qu'elle réagitphysiquement au poème, voit la forêt où passe le poète, bref intègre ce poème à son existence.
Cette idéed'intégration à la vie est précisée dans L'Amour fou avec l'image des coraux «pour peu que je les réintègre comme ilse doit à la vie, dans l'éclatant miroitement de la mer» (p.
18).
C'est que la beauté est passionnelle, essentiellementconvulsive (cf.
la pièce Les Détraquées dans Nadja), elle procède par saccades, par spasmes.
Elle est évolutionperpétuelle (cf.
dans Nadja l'histoire du peintre qui voudrait suivre sur sa toile l'évolution d'un coucher de soleil).Voilà pourquoi Breton se méfie du livre qui fige, voilà pourquoi il exalte les grottes, les stalactites, les cristaux, lesmadrépores qui réussissent ce tour de force de présenter une beauté qui est à la fois dans le devenir de la vie etpourtant d'évolution si lente qu'elle nous paraît immobile.
Mais la beauté est destinée à être emportée, les rues deParis à être détruites dans des barricades dont Breton appelle l'embrasement (cf.
Nadja, p.
179-182).
Bref, labeauté, n'est pas contemplation, mais appel de la catastrophe.
Sans doute le rêve floral, si important chez Breton,semble tempérer de quelque douceur ces conceptions apocalyptiques, mais il ne faut pas oublier que la fleur estdestinée à périr et que d'autre part c'est dans les cactus de la vallée de la Orotava aux Canaries que Breton trouveses grands symboles végétaux (le cactus est à la plante ce que les coraux sont à la pierre).3 La surdétermination.
On n'oubliera pas enfin que l'explosion du beau n'a de sens qu'en fonction de nos désirssecrets qu'il révèle.
Breton rappelle dans Nadja (p.
143), son «goût de chercher dans les ramages d'une étoffe, dansles nœuds du bois, dans les lézardes des vieux murs, des silhouettes qu'on parvient aisément à y voir», procédédont il attribue l'initiative à Léonard de Vinci.
Ce que nous voyons ainsi, ce sont évidemment nos désirs profonds etcela explique notamment que le beau soit toujours plus ou moins prophétique, car ce sont les mêmes désirs obscursqui ont fait écrire le poème Tournesol à André Breton en 1923 et qui, onze ans plus tard, lui font rencontrerJacqueline Lamba dans des circonstances à peu près analogues à celles qui sont évoquées dans ce poème (cf.L'Amour fou).
En d'autres termes, le beau est surdéterminé, au sens psychanalytique du mot, c'est-à-dire quel'œuvre belle est un complexe de désirs entrecroisés.
Cela pose toutefois la question de savoir si la beauté estessentiellement sexuelle.
Breton a l'air de l'insinuer dans L'Amour fou (p.
13), lorsqu'il écrit que seules le touchentvraiment les œuvres d'art qui lui procurent un trouble physique analogue au plaisir érotique.
Cependant il est plusnuancé ailleurs et, dans Les Vases communicants, parlant des recherches de Dali sur les objets à significationérotique, il juge ces derniers intéressants, mais il ne les trouve pas vraiment beaux, en tout cas moins beaux quedes objets moins systématiquement déterminés pour provoquer une émotion sexuelle.
C'est sans doute que lasexualité doit rester latente et «censurée» pour qu'il y ait œuvre d'art.
Peut-être aussi parce qu'il faut plusieursdéterminations (surdétermination), plusieurs dimensions, plusieurs motivations profondes pour qu'apparaisseréellement le beau.
Si Breton fait sienne la célèbre formule de Lautréamont «beau comme la rencontre fortuite surune table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie» {Les Vases communicants, p.
67), c'est sansdoute parce qu'il y voit un symbole sexuel (parapluie = homme, machine à coudre = femme, table = lit), mais c'estaussi parce que l'étrangeté de l'image en fait autre chose qu'un symbole sexuel : «Le contraste entre l'acte sexuelimmédiat et le tableau d'une extrême dispersion qui en est fait par Lautréamont provoque seul ici le saisissement.»
III La beauté «explosante-fixe»
On comprend dès lors pourquoi Breton ne peut ramener la beauté à une simple explosion instantanée destinée à seconsumer elle-même.
C'est que la beauté est beaucoup plus riche qu'un simple désir satisfait, elle est un nœud dedésirs.
Elle se caractérise donc par l'excédence, l'énigme, l'attente.1 L'excédence.
La beauté, mouvement-vers, surdéterminée, ne débouche jamais sur rien de concret.
Plus qu'uneréalité donnée, le beau est promesse, incantation (cf.
Nadja, p.
59), message de l'inconnu (cf.
l'anecdote quitermine Nadja : la beauté est comparée au message envoyé par un opérateur de télégraphie sans fil pour indiquerun avion en détresse sans qu'on arrive à capter ni la position de l'avion ni les causes exactes du sinistre).
Bretonprogresse à travers une forêt de symboles dont l'élucidation complète semble impossible.
Ainsi dans Les Vasescommunicants (p.
117), Breton est attiré, rue de Paradis, par une vitrine contenant d'une part «un bouquet trèspoussiéreux de cocons de vers à soie suspendus à des branchages secs qui montaient d'un vase incolore» et d'autrepart un bas gainant une jambe : au premier abord il a l'impression de symboles sexuels, mais il finit par comprendrequ'au-delà de cette symbolique cet étalage suggère des rêveries de mortes- vivantes analogues à celles quiapparaissent dans les romans noirs de l'époque préromantique et dont il est très friand ; l'image des vers à soie et.
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