LA COMPOSITION ET LE REALISME DU DETAIL DANS LE ROUGE ET LE NOIR DE STENDHAL
Publié le 14/03/2011
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Jusqu'alors, les écrits de Stendhal étaient l'incohérence même, espèces de voyages en zigzags, de monologues à bâtons rompus, où à propos de Florence il définissait le caractère anglais et parlait de Walter Scott à propos de Rossini. Réduit à ses propres forces, il était incapable de composer, et on a pu achever de s'en convaincre quelques années plus tard quand il a publié la Chartreuse de Parme où l'action tourne indéfiniment en rond.
Or, peu de romans sont mieux composés que Rouge et Noir. L'affaire Berthet lui a rendu l'inappréciable service de lui fournir ce que par lui-même il ne savait pas trouver : « Faire un plan me glace «, dit-il dans sa lettre à Balzac. Elle lui a fourni un plan, avec quatre grandes divisions bien marquées, — Verrières, le séminaire, l hôtel de La Môle, la prison —, un plan simple, clair, logiquement ordonné par grandes masses.

«
qu'importe ! mon échelle est bien payée, et moi-même je ne suis pas sans avoir passé quelques « mouvements demontre » en ma vie.
La nuit était fort noire.
Vers une heure du matin, Julien, chargé de son échelle, entra dans Verrières.
Il descendit leplus tôt qu'il put dans le lit du torrent, qui traverse les magnifiques jardins de M.
de Rénal à une profondeur de dixpieds, et contenu entre deux murs.
Julien monta facilement à l'échelle.
Quel accueil me feront les chiens de garde ? pensait-il.
Toute la question est là.
Les chiens aboyèrent ets'avancèrent au galop sur lui; mais il siffla doucement et ils vinrent le caresser.
Remontant alors de terrasse en terrasse, quoique toutes les grilles fussent fermées, il lui fut facile d'arriver jusquesous les fenêtres de la chambre de Mme de Rénal qui, du côté du jardin, n'est élevée que de huit ou dix pieds au-dessus du sol.
Il y avait aux volets une petite ouverture en forme de cœur, que Julien connaissait bien.
A son grand chagrin, cettepetite ouverture n'était pas éclairée par la lumière intérieure d'une veilleuse.
Grand Dieu ! se dit-il; cette nuit, cette chambre n'est pas occupée par Mme de Rénal ! Où couche-t-elle ? La familleest à Verrières, puisque j'ai trouvé les chiens ; mais je puis rencontrer dans cette chambre sans veilleuse M.
deRénal lui-même ou un étranger, et alors quel esclandre !
Le plus prudent était de se retirer; mais ce parti fit horreur à Julien.
Si c'est un étranger, je me sauverai à toutesjambes, abandonnant mon échelle; mais si c'est elle, quelle réception m'attend ? Elle est tombée dans le repentir etdans la plus haute piété, je n'en puis douter; mais enfin, elle a encore quelque souvenir de moi, puisqu'elle vient dem'écrire.
Cette raison le décida.
Le cœur tremblant, mais cependant résolu à périr ou à la voir, il jeta des petits cailloux contre le volet; point deréponse.
Il appuya son échelle à côté de la fenêtre, et frappa lui-même contre le volet, d'abord doucement, puisplus fort.
Quelque obscurité qu'il fasse, on peut me tirer un coup de fusil, pensa Julien.
Cette idée réduisitl'entreprise folle à une question de bravoure.
Cette chambre est inhabitée cette nuit, pensa-Mi, ou quelle que soit la personne qui y couche, elle est éveilléemaintenant.
Aussi plus rien à ménager envers elle; il faut seulement tâcher de n'être pas entendu par les personnesqui couchent dans les autres chambres.
Il descendit, plaça son échelle contre un des volets, remonta, et passant la main dans l'ouverture en forme decœur, il eut le bonheur de trouver assez vite le fil de fer attaché au crochet qui fermait le volet.
Il tira ce fil de fer;ce fut avec une joie inexprimable qu'il sentit que ce volet n'était plus retenu et cédait à son effort.
Il faut ouvrirpetit à petit, et faire reconnaître ma voix.
Il ouvrit assez le volet pour passer la tête, et en répétant à voix basse :« C'est un ami ».
Il s'assura, en prêtant l'oreille, que rien ne troublait le silence profond de la chambre.
Mais décidément, il n'y avaitpoint de veilleuse, même à demi éteinte, dans la cheminée ; c'était un bien mauvais signe.
Gare au coup de fusil ! Il réfléchit un peu; puis, avec le doigt, il osa frapper contre la vitre : pas de réponse; ilfrappa plus fort.
Quand je devrais casser la vitre, il faut en finir.
Comme il frappait très fort, il crut entrevoir, aumilieu de l'obscurité, comme une ombre blanche qui traversait la chambre.
Enfin, il n'y eut plus de doute, il vit uneombre qui semblait s'avancer avec une extrême lenteur.
Tout à coup, il vit une joue qui s'appuyait à la vitre contrelaquelle était son œil.
C'est fou; mais qui ne dirait une « chose vue », ou plutôt une scène vécue ?.
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