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LA COMÉDIE (Histoire de la littérature)

Publié le 22/11/2018

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COMÉDIE. Apparu dans la langue probablement au xive siècle et entré dans l’usage au xvie, le mot de comédie a d’abord désigné le théâtre dans sa généralité, sans renvoyer à un genre dramatique bien défini, et il a voulu dire aussi bien pièce, représentation, troupe, édifice où jouer, art d’écrire pour la scène. Si, tout en gardant cette pluralité de sens, il a commencé à se spécialiser sous la plume des érudits à partir de la Renaissance, ce ne fut guère pour se rattacher à la notion de rire (à la différence de comique, lui aussi, à l’origine, simple équivalent de théâtral), mais pour marquer une double différence : par rapport à la tragédie, reconnue comme la voie royale de l’art dramatique, et par rapport à la farce, qu’il était hors de question d’admettre en littérature.

 

 

 

Ainsi, de proche en proche, a-t-on assigné à la comédie un territoire — la société urbaine —, un personnel dramatique — des figures tirées de la vie ordinaire —, un ton — celui de l’enjouement et d’une familiarité décente — et une finalité, qui lui commandait de produire une morale pratique pour la conduite dans le monde. Mais, issues en Italie et en France d'un intense débat théorique, les tentatives de codification sont demeurées assez prudentes : une fois marquées certaines frontières et rappelés quelques principes, la comédie est restée un genre protéiforme, susceptible de s'infléchir dans les directions les plus diverses. Cette liberté lui a permis d’échapper, hier et aujourd’hui, à l’emprise des législateurs : ce n’est pas dans les arts poétiques que son histoire s’est écrite, mais sur la scène, en liaison étroite avec le public

 

Une renaissance difficile

 

Lorsque, en 1549, du Bellay reprend le vœu que tragédie et comédie « soient restaurées dans leur ancienne dignité », il témoigne de la persistance du vieux rêve humaniste de rendre sa grandeur au théâtre en le retrempant aux sources de l'Antiquité, mais il a aussi de sérieuses raisons de croire que cette renaissance est désormais possible : n’a-t-elle pas réussi en Italie, où la comedia sostenuta s'est imposée dès le premier quart du siècle, avec l’Arioste, le Bibbiena et Machiavel? Mieux : cette percée littéraire n’a-t-elle pas été accompagnée, de l’autre côté des Alpes, d’une transformation de la scène, dont le Second Livre de perspective, de Sebastiano Serlio, publié à Paris en 1545, témoigne décisivement?

 

Il n’en reste pas moins vrai que les écrivains de la Pléiade se placent à contre-courant de la vie théâtrale française, où moralités et farces gardent la faveur quasi unanime du public, tandis qu’en Italie même, l’immense succès, bientôt répandu à travers l’Europe, de la comme-dia dell'arte montre la fragilité de la victoire de la comédie régulière.

 

L’histoire de la comédie en France s’ouvre, en effet, par un combat des érudits contre le théâtre populaire et singulièrement la farce, dénoncée pour sa trivialité, pour son mépris de la vraisemblance et pour la grossièreté des stéréotypes qu’elle utilise : bien qu’issue d’une immémoriale tradition qui s’est continuée des mimes latins aux jongleurs et aux funambules, en passant, au xve siècle, par les fous, les basochiens et les écoliers, cette forme libre du comique n’a jamais cessé d’attirer le mépris des doctes et des lettrés, fascinés par les modèles de Plaute et de Térence : ils peuvent enfin lui opposer des pièces écrites en français, comme l'Eugène de Jodelle en 1552, les six comédies de Larivey publiées en 1579 et les Contens de Turnèbe en 1584. Mais, quel que soit l’intérêt de ces ouvrages, ils ne sont guère joués ou, s’ils le sont, c’est presque toujours en privé, devant des cercles de connaisseurs. Ce qui triomphe à la cour et à la ville, en revanche, c’est la tragi-comédie (ainsi, en 1582, la Bradamante de Garnier) et bientôt, à la suite de Gua-rini et du Tasse, le genre de la pastorale, illustré par les Bergeries de Racan.

 

C’est qu’il n’arrive jamais, dans l’histoire du théâtre, que la réflexion théorique dicte sa loi aux acteurs et aux spectateurs : Aristote lui-même a constitué sa Poétique bien après l’apparition sur le théâtre des grands genres de l’Antiquité grecque. Tant que la volonté des écrivains ne rencontre pas le goût du public et ne s’appuie pas sur la sensibilité collective, elle demeure impuissante à transformer les choses de la scène. Sans compter que les premiers théoriciens français de la comédie n’en avaient fourni qu’une définition assez vague : ce « miroir de la vie », propre à apporter « profit et contentement ensemble » (Larivey), grâce à une « modeste gaîté et soigneuse prudence » (Peletier du Mans), ils le caractérisaient par la fin heureuse des actions qu’il montrait et par la conformité de comportement des personnages aux mœurs du « peuple » (jeunes gens amoureux, maris trompés, parasites, fanfarons, qu’on retrouve également dans la typologie de la farce à la française et de la commedia dell'arte).

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« A partir de 1630, toutefois, le débat théorique gagne en richesse et en précision, tout en allant à la rencontre d'un nouveau public et en se conjuguant avec une réforme de la scène, qui, tout en restant fort en deçà des progrès accomplis par les scénographes italiens, com­ mence à offrir les moyens de pratiquer un théâtre régu­ lier.

La réflexion est relancée d'abord par les commenta­ teurs italiens d'Aristote, qui ont redécouvert la Poétique entre 1550 et 1575 et dont les écrits se répandent en France une cinquantaine d'années plus tard : Scaliger, Segni et Castelvetro fournissent 1' essentiel de leur argu­ mentation à nos Ménage, Scudéry, Sarasin et d' Aubi­ gnac, que Je pouvoir politique encourage, d'autre part, à aller de l'avant.

La comédie régulière Il devient clair, premièrement, que les règles des Anciens ne doivent leur pérennité qu'à leur pertinence même, puisqu'elles sont fondées sur 1' obse rvation de la nature, sur la raison, qui traverse inébranlée les vicissitu­ des de J'histoire, et, ajoute d'Aubignac, sur « le rapport des images aux vérités ».

Mais, une fois posée la néces­ sité de la vraisemblance, qui impose le respe ct des unités de lieu, de temps et d'action, et l'exercice du théâtre placé sous le contrôle de la bienséance, qui se mesure à 1' aune du goût et des coutumes du public, on doit consta­ ter que 1' objet du poème dramatique varie en fonction de ce qu'il représente.

Trois domaines bien distincts s'ou­ vrent devant lui : l'univers des rois, des princes et des grands; la société urbaine; le monde agreste, où se mêlent traditionnellement bergers, pêcheurs et héros.

D'où trois genres rigoureusement différents de théâtre : la tragédie, la comédie et la satire ou pastorale, qui possèdent chacun en propre un ton, un personnel dramatique et une finalité.

On pourrait ajouter : un décor, puisque la scénographie dispose désormais de trois lieux types, qui corresp ondent à chacun de ces genres.

En une dizaine d'années, de 1630 à 1640, le théâtre est devenu en France un art de société.

Le public s'est élargi et homogénéisé.

Des troupes habiles et de mieux en mieux considérées se sont installées à demeure dans plusieurs salles parisiennes, où les progrès de la perspec­ tive permettent de créer sur la scène une illusion conforme aux canons de la vraisemblance.

Aucun de ces éléments n'est de nature à défavoriser la comédie, mais son réveil, si longtemps attendu, s'est produit sous l'in­ fluence espagnole, dans une coloration romanesque qui fait la part congrue au rire proprement dit : ainsi, entre 1630 et 1660, des œuvres de Mairet, Rotrou, Scarron ou Thomas Corneille.

Pierre Corneille, cependant, situe la plupart de ses comédies dans le Paris contemporain, où il ne cherche guère matière à satire : ses héros appartien­ nent à une aristocratie moyenne qui emploie un langage agréable; maintenus à distance des types traditionnels, ils sont engagés dans des actions vraisemblables, qui tournent toutes autour du mariage et de 1' amour.

Il défi­ nit la comédie négativement, pour ainsi dire, par l'ab­ sence de périls susceptibles de porter le spectateur à la crainte ou à la pitié, et il va jusqu'à en proposer une formule dans le goût héroïque, avec Don Sanche d'Ara­ gon (1650).

Si bien qu'au milieu du xvu• siècle le rire est toujours accaparé par les farceurs, les bateleurs et par les Comé­ diens-italiens, lesquels font de fréquentes visites à Paris avant de s'y établir en 1660.

Tabarin au Pont-Neuf, Gros­ Guillaume et Gautier-Garguille à l'Hôtel de Bourgogne, Jodelet au Marais assurent avec une extraordinaire vita­ lité la persistance d'un comique populaire qu'avec une non moins extraordinaire constance le public raffiné - où, soit dit en passant, les femmes ont retrouvé leur place -p ersiste à dédaigner.

Molière le patron Acteur, directeur de troupe, formé au contact des publics de province avant d'affronter celui de Paris à partir de 1658, admirateur et ami des Comédiens­ italiens, rompu aux techniques de la farce française et de la commedia dell'arte, Molière connaît tout de l'univers des tréteaux lorsqu'il s'installe au Petit-Bourbon, puis au Palais-Royal.

Si son programme, comme celui de tous les comédiens, est de plaire, il ne sera jamais tenté de chercher l'approbation des petits-maîtres qui vont bien­ tôt tenir le haut du pavé dans le monde du théâtre : fort du soutien royal, il dédie plutôt son travail à ce public anonyme et, au demeurant, assez composite qui cherche avant tout son plaisir dans la comédie.

Pour la première fois, voici un écrivain qui est un artisan du spectacle, attentif aux ressources corporelles des comédiens, rompu à l'art de l'improvisation et bon connaisseur des recettes du comique populaire, et voici un acteur qui s'assigne l'ambition de représenter la vie des hommes en société et de donner au rire l'accent de la vé rit é.

Aussi, Molière commence-t-il par reprendre à son compte tout le trésor de lazzi et de bouffonneries, de prouesses physiques et d'agilité verbale, de schémas d'intrigue et de ty pes, qui est si bien exploité par les farceurs et par les Italiens.

Mais c'est pour l'enraciner dans le réel et lui conférer une portée offensive toute nouvelle.

Il transforme en personnages exemplaires les figures stéréotypées de la tradition.

De ses intrigues, il tire des actions, en donnant à leurs mécanismes une logi­ que intérieure.

A leurs thèmes il insuffle la complexité de la vie, si bien que le comique, chez lui, ne sert plus simplement à susciter une décharge nerveuse, mais pro­ cède du spectacle d'un équilibre menacé et renvoie au spectateur des images déconcertantes de lui-même et de la société à laquelle il appartient.

Tantôt ramassées et brutales (le Mariage forcé), tantôt dessinées d'après nature et mettant en scène des modèles identifiables (les Femmes savantes, le Bourgeois gentilhomme, George Dandin), tantôt encore empreintes de colère ou de gra­ vité sous le rire qu'elles provoquent (Tartuffe, le Misan­ thrope), ces images ont en commun trois traits fonda­ mentaux : elles touchent, par le rire, à des questions et à des conflits actuels, qu'elles représentent de manière à leur assurer une possibilité d'évolution; elles ont un caractère exemplaire, qui permet au spectateur de passer du particulier au général; elles sont commandées par les nécessités du spectacle, qui privilégie le comportement par rapport au discours, donne aux mots une valeur dyna­ mique et concrète et organise les actions dans une ryth­ mique générale, visuelle et sonore.

Les règles? Oui, mais pour autant qu'elles viennent en renfort au but chaque fois visé.

Sans jamais s'enfer­ mer dans une formule, Molière passe d'un ton à l'autre, avec un même souci de rigueur dans l'écriture dramati­ que, selon 1' humeur et la nécessité : farces à l'italienne ou à la française, comédies de caractères, comédies de mœurs, comédies-ballets, comédies romanesques ne se succèdent pas dans son œuvre dans un ordre chronolo­ gique ou selon une progression qui pourrait inciter à les classer hiérarchique ment, mais chacune s'organisant d'après les seuls critères capables de lui assurer une efficacité maximale.

La comédie prend ainsi chez Molière une portée beau­ coup plus grande que chez Térence, tenu par les lettrés de son époque pour un modèle insurpassable : le rire y devient l'instrument d'une critique lucide et d'une libé­ ration, capable de mettre à nu les tension s, les contradic­ tions et les rapports de force qui règnent dans la société (dans la famille, dans le couple, entre les jeunes et leurs aînés, entre les malades et leurs médecins, à travers la question du savoir et du pouvoir, etc.).

En montrant les. »

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