La chanson de GESTE (Histoire de la littérature)
Publié le 13/12/2018
Extrait du document
«
Au
début de notre siècle, Joseph Bédier reprend com
plètement le problème.
Il constate que le thème de la
croisade est presque omniprésent et que beaucoup d'œu
vres se rattachent à une abbaye.
Leur origine est donc
liée aux grandes voies de pèlerinage du XIe siècle et
aux vies de saints latines, comme à toutes les réalités
politiques de cette époque : féodalité, Reconquista, croi
sades ...
Elles sont nées d'une collaboration entre les
clercs et les jongleurs, mais leurs auteurs sont d' authenti
ques créateurs.
Cette théorie a soulevé quelques objections.
Tout
d'abord, il n'est pas certain du tout que les vies de saints
invoquées aient précédé nos épopées : 1' inverse a pu
aussi bien se produire, les monastères ayant vu tout le
profit qu'ils pouvaient tirer de la glorification épique de
leur fondateur (Vita Guilhelmi, Vita Otgerii).
Ensuite,
les allusions à des abbayes (Saint-Denis, Saint-Riquier,
Pothières ...
) peuvent être un simple artifice, destiné à
donner au récit épique un fondement historique incontes
table.
Enfin, la composition chaotique de certaines
œuvres, la multiplicité des disparates internes affaiblis
sent la thèse de Bédier.
Après 1920, face à cette position
dite « individualiste » (importance du poète créateur), la
thèse néo-traditionaliste prend de la vigueur.
Ferdinand
Lot s'applique à déceler dans les œuvres la matière histo
rique carolingienne; il croit à la création et à la transmis
sion orales de nos épopées depuis les temps carolingiens.
Quelques savants (Albert Pau phi let, Italo Siciliano) s' ef
forcent de résister à l'esprit de système et appellent l'at
tention sur la diversité des cas.
Avec Mme Rita Lejeune,
la chanson de geste perd tout caractère littéraire et n'est
plus qu'une «rhapsodie d'éléments disparates>>.
Cette
école est actuellement conduite par Ramon Menéndez
Pidal, qui estime que la tradition épique résulte d'une
interaction entre le jongleur et son public, lesquels ne
cessent de remanier les formes précédentes pour les amé
liorer.
La querelle entre individualistes et néo
traditionalistes, qui semblait destinée à s'éteindre faute
de preuves décisives de part et d'autre, a été relancée par
les travaux de Jean Rychner.
Ce savant a décidé en effet
de s'intéresser non plus à la matière, mais à la forme
même : prouver que le style est celui de la création orale,
cela revient à confirmer la thèse traditionaliste ou, du
moins, à la conforter.
Il est pour le moins surprenant que
les premières véritables études sur le style épique, sur la
technique épique médiévale aient été inspirées moins par
des préoccupations littéraires que par le souci de résou
dre l'éternel problème des origines, tant la perspective
historique a fasciné les esprits.
Les résultats, susceptibles
d'interprétations contradictoires, n'ont pas permis d' ap
porter la moindre solution.
Du moins avons-nous eu
enfin l'analyse technique qui faisait cruellement défaut.
A la même époque, Pierre Le Gentil s'est efforcé de
trouver une voie moyenne et de faire prévaloir le concept
de mutation brusque : certes, des chants purement oraux
ont pu exister; mais c'est un poète qui les a transfigurés
et qui nous a livré les œuvres que nous connaissons.
Depuis ces prises de position (fin des années 1950), le
problème des origines a cessé de trop hanter les esprits.
Des études plus littéraires ont vu le jour, mais il faut
reconnaître que les chansons de geste ont aussi perdu
cette place prépondérante qui avait été la leur dans les
préoccupations des médiévistes depuis plus d'un siècle.
La technique épique
La chanson de geste constitue un genre aux contours
nets : plus encore que par sa thématique féodale et guer
rière, elle se définit par une technique originale.
La laisse
y joue, en principe, le rôle d'unité structurelle (voir
LAISSE].
On appelle « laisse » la strophe souple de l' épo
pée : elle se définit comme un ensemble de vers (octosyl- labes
parfois, comme dans Gormorzt et Isembart, déca
syllabes le plus souvent, alexandrins dans beaucoup
d'épopées tardives ou remaniées), dont le nombre est
variable, et qui se succèdent sur une même assonance ou
sur une même rime (épopée tardive).
Une laisse peut
n'avoir que trois ou quatre vers ou s'étendre sur plusieurs
centaines.
Les écarts peuvent être très grands à l'inté
rieur d'une même œuvre: de 4 à 910 vers dans Huon de
Bordeaux, de 5 à 415 vers dans Jehan de Lanson.
La
plupart des laisses anciennes (x.ue siècle) ont entre 12 et
60 vers.
C'est l'assonance (ou la rime) qui définit l'unité
matérielle de la laisse; dans les œuvres les plus anciennes
(la Chanson de Roland, essentiellement), la laisse est
plus ferme; dans les épopées du xm< siècle, et parfois
même dans celles du xn•, la forme se dissout : l'épopée
narrative a perdu bien des traits du style épique et se
structure à la manière d'un roman.
La fermeté de la laisse semble liée à son caractère
musical.
Il est vraisemblable que tous les vers qui consti
tuent le corps de la laisse étaient psalmodiés et suivaient
une même ligne mélodique.
Mais la laisse était encadrée
par des vers fortement individualisés, que Jean Rychner
appelle «vers d'intonation» et ,
« joesdi al vespres )),.
»
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