LA BANDE DESSINÉE (Histoire de la littérature)
Publié le 15/11/2018
Extrait du document
«
exemple
fonctionne exactement comme les dérisions
- dont Mad était coutumier -de films, de bandes
dessinées connues ou d'émissions télévisuelles; le
second utilise tous les procédés cocasses, graphiques et
langagiers de l'auteur des Dingodossiers.
C'est dire que
la parodie y est prétexte et ne s'astreint jamais à respec
ter un contenu narratif complexe.
Ce sont des phrases,
des situations, des personnages, arrachés à leur origine
- laquelle peut être, mais est rarement, littéraire-, qui
déclenchent ou stimulent un univers graphique préexis
tant et fondamental.
Ce n'est jamais la littérarité qui y
est attaquée, mais la narrativité sociale que répercutent
de puissants moyens techniques ou institutionnels -
souvent les deux.
Plus subtile, mais plus spécifique, est J'évocation en
bande dessinée d'une atmosphère narrative particulière,
très rarement due, en ce qui concerne le scénario, à un
écrivain reconnu (on cite comme une chose étonnante la
collaboration de Dashiel Hammet avec Alex Raymond
pour une célèbre bande policière : Secret Agent X 9).
Ainsi, aucun critique n'a laissé échapper Je fait que les
récits de Hugo Pratt, tel Corto Maltese, baignent dans la
couleur propre du récit conradien.
Affaire de thèmes, de
situations, de rapports entre personnages, plutôt que de
textualité.
En fait, c'est une implication narrative, diégé
tique, plus qu'une spécificité textuelle, qui est visée.
En outre, les deux phénomènes évoqués portent sur
une part infime de la production en bande dessinée.
Celle-ci a peu d'affinités volontaires avec les récits
reconnus comme« littéraires »; elle préfère de beaucoup
les influences plus conformes à sa nature de communica
tion de masse : celles, notamment, du cinéma et du récit
paralittéraire, « populaire ».
On comparera le rapport entre BD et texte littéraire
avec celui que la« bande » entretient avec l'art pictural :
dans les deux cas, à d'infimes exceptions près, ce rapport
est indirect, toujours appuyé sur des formes esthétiques
fortement socialisées : l'« art nouveau >) influence Win
sor McCay et son admirable Little Nemo ou George
McManus dans son Bringing up Father (la Famille
Illico); l'op'art agit dans Pravda, la survireuse, de Guy
Pellaert, et chez plusieurs Américains de J'Underground.
Les grands peintres, pas plus que les grands écrivains,
ne collaborent directement au genre ni ne l'influencent.
Pourtant, le pont entre discours littéraire, du moins
sous sa forme pédagogique, et figuration narrative était
jeté dès J'origine.
Rodolphe Topffer en est témoin, car
ses récits utilisent dans un même dynamisme les suites
de phrases destinées à l'impression et un jeu complexe,
subtil et vivant de textes et de dessins, tracés du même
geste, qui se répondent et se ponctuent mutuellement.
Mais cette communication active entre les deux projets
narratifs, « littéraire » et graphique, reste unique ou pres
que.
En outre, il s'agit, avec Topffer, d'un genre inexis
tant, non compromis par le succès.
Après sa prise en
charge par les puissants moyens de diffusion que sont le
journal quotidien pour Je « strip », rangée de quelques
dessins en une seule bande et le supplémenr du dimanche
pour la page dessinée, puis le comic book (aux États
Unis) ou l'album (en Europe), la bande dessinée, dans sa
masse, rejette ou ignore une telle relation, génétique ou
même de simple influence, avec la littérature.
Symétriquement, la littérature se sert peu de la bande
dessinée pour y couler le contenu de ses récits, alors que
fleurissent les adaptations pour le cinéma ou la télévision
fvoir ADAPTATION] et même les indigentes et indigestes
réductions textuelles nommées «digests ».
La pédagogie
littéraire en français ne supporte guère le traitement
infantilisant qu'admettent certains professeurs d'his
toire.
Deux exceptions, J'une motivée par la pédagogie :
les contes populaires servant à la meilleure maitrise
d'une langue (contes en créole d'Haïti, par exemple), J'autre
justifiée par la sémiotique : le théâtre.
Tl est en
effet licite, sans mutiler un dialogue qui peut être aussi
littéraire qu'on voudra, de l'insérer au moyen de « bul
les» en des séries d'images plates qui jouent le rôle
d'une mise en scène mouvante et tridimensionnelle.
L'image, figeant le ou les personnages, au momenr privi
légié de leur énonciation, joue un rôle analytique récupé
rable en didactisme.
Cependant, la culture américaine s'est montrée plus
accueillante au nouveau médium, pour diffuser la littéra
ture.
Ce ne sont pas seulement des dialogues scéniques
que les Classic lllustrated mettent en bandes -de
manière respectueuse et ringarde -mais aussi le stock
narratif romanesque, Scott, Dickens, Dumas ou Feni
more Cooper assurant la recette de lisibilité maximale :
trame aventureuse et sentimentale à laquelle s'ajoute une
notoriété absolue dans Je milieu de réception.
Mais c'est ici, encore, la question de J'adaptation nar
rative et de la dégradation pédagogique qui est soulevée;
elle s'articule parfaitement à celle de la parodie, qui
adopte volontairement le déplacement au lieu de prati
quer sans le souhaiter l'aplatissement.
Bande dessinée et littérarité
L'essentiel du problème est à saisir plus profondé
ment, dans Je rapport entre narrativité, textualité litté
raire et imagerie narrative.
La « traduction >) figurative d'un fragment narratif est
une vieille affaire, sans même évoquer le récit en images
indépendant.
Mais le parallélisme entre la broderie de la
reine Mathilde (la « tapisserie de Bayeux ») et une geste
en ancien français n'est guère contrôlable, non plus que
les concrétions picturales de fragments significatifs
des grands récits mythiques, gréco-latins ou judéo
chrétiens : l'iconographie, en principe, s'en charge.
Lorsque la sensibilité graphique de chaque époque
arrête une structure temporelle et la (re)présente, le rap
port entre texte et image devient alors explicite et réci
proque.
Or, dans le processus illustratif, des tendances
peuvent se faire jour vers un découpage du récit annon
ciateur de la bande dessinée.
L'un des plus curieux est
sans doute l'édition illustrée de Paul et Virginie par
Curmer.
De l'illustration systématique au texte illustré,
l'évolution est homogène.
Puis le Xtx• smècle voit appa
r�ître l'histoire en images en tant que genre populaire
(Epinal) et comme avatar privilégié de la littérature pour
enfants ou adolescents.
Il ne s'agit pas encore de vraie
bande dessinée, mais Christophe, l'auteur du Sapeur
Camember et de la Famille Fenouillard, sait donner au
récit en mots un contrepoint régulier d'images qui ren
verse le processus de la lecture : au lieu que les phrases
du texte soient sporadiquement réinterprétées par des
images qui canalisent l'imaginaire mais re stimulent sur
de nouvelles bases -ce qui est le fait de l'illustration
-, la suite de vignettes propose son propre dynamisme
narratif, Je texte servant à la fois d'interprétant et d'in
terprété, de signifiant et de signifié.
Le phénomène se
précise lorsque la page se construit en tableau (comme
dans Bécassine, de Joseph Pinchon, ou dans les albums
de Benjamin Rabier) et surtout lorsque apparaissent les
bulles figurant paroles et bruits : alors seulement se
dégage la spécificité de la bande dessinée.
Un cas extrême : l'histoire sans paroles, suite d'ima
ges non commentées, révèle, comme le cinéma muet
(mais ce dernier recourt aux intertitres), le narratif pur,
isolé du textuel.
Au contraire, la textualité de 1 'histoire en images reste
importante, et l'on s'en aperçoit avec surprise en consta
tant que le texte des Pieds-Nickelés, de Louis Forton,
privé de ses vignettes, reste étonnammernt lisible.
Dans
le champ de la « paralittérature >>, champ qualifié de.
»
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