L art pour l art chez Baudelaire
Publié le 12/09/2015
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Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile... La Poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interro-
ger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même; elle ne peut en avoir d’autres, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que cehii qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème.
Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots: «immoral, immoralité, moralité dans l’art» et autres bêtises me font penser à Louise-Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant par la manche, me demandait, devant les statues et les tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences.

«
236 1 Poésie (et morale)
ger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme,
n'a
pas d'autre but qu'elle-même; elle ne peut en avoir
d'autres, et aucun poème ne sera
si grand, si noble, si
véritablement digne
du nom de poème, que celui qui
aura été écrit uniquement pour le plaisir d'écrire un
poème.»
La seule fonction que Baudelaire admettait pour l'art
était d'élever
l'être humain au-dessus des intérêts vul
gaires.
C'est pourquoi il se montrait particulièrement
outré de voir des âmes basses, souvent moralement
ignobles, condamner un artiste qui cherchait la beauté
et la vérité en gémissant.
Il l'exprime d'une façon ima
gée dans Mon cœur mis à nu:
«Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent
sans cesse
les mots : « immoral, immoralité, moralité
dans
l'art» et autres bêtises me font penser à Louise
Villedieu, putain à cinq francs, qui m'accompagnant
une
fois au Louvre, où elle n'était jamais allée, se mit à
rougir, à se couvrir le visage, et me tirant par la man
che, me demandait, devant les statues et les tableaux
immortels, comment on pouvait étaler publiquement de
pareilles indécences.
»
Pour Baudelaire, comme pour Gide au siècle suivant
(voir à
« Morale »), l'artiste ne peut que nuire à son art
en cherchant à le mettre au service d'un enseignement
quelconque.
L'auteur des Fleurs du Mal confiait même
à son ami Asse lin eau (confidences recueillies dans les
Baudelairiana) qu'il rêvait d'écrire un roman dont la
conclusion serait parfaitement immorale :
«J'en ferai, moi, un roman où je mettrai en scène un
scélérat, assassin, voleur, incendiaire et corsaire, et qui
finira
par cette phrase: "Et sous les ombrages que j'ai
plantés, entouré d'une famille qui me vénère, d'enfants
qui me chérissent et
d'une femme qui m'adore, je jouis
en paix du fruit de tous mes crimes".
».
»
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