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Jules RENARD Histoires naturelles : "  Le cygne " 

Publié le 01/09/2006

Extrait du document

Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car il n'a faim que des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger et se perdre dans l'eau. C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du bec et il plonge tout à coup son col vêtu de neige. Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire, il n'a rien. Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu. Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau, en voici un qui se reforme. Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s'approche. Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage. Mais qu'est-ce que je dis? Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver. Il engraisse comme une oie.

• Le texte présente cet avantage de ne comporter aucun mot difficile ; le sens général est immédiatement compris. • Les Histoires naturelles ont été composées séparément et publiées par petits groupes à partir de 1896. Le recueil complet comprendra 85 textes. • Suggestions : 1. Comparez ce texte avec d'autres poèmes qui prennent le cygne comme objet de lyrisme : Symphonie en blanc majeur, de Gautier, Le Cygne, de Baudelaire et celui de Sully Prud'homme, « Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui... « de Mallarmé. 2. Analysez et classez les sonorités du premier paragraphe ; étudiez le rythme des lignes 6 à 11. • Le Cygne « a été mis en musique par Ravel : écoutez l'interprétation qu'en donne le musicien. Bonnard, Rabier et Toulouse-Lautrec ont par ailleurs illustré les différentes éditions de l'ceuvre : confrontez les trois modes de présentation (écriture, peinture, musique).

« • La personnification : les composantes de la scène dont douées d'une vie humaine : le cygne a des désirs, il est «désabusé » (l.

7) puis « victime de cette illusion » que sont les nuages (l.

12).

Ceux-ci naissent (l.

2) puis sont «effarouchés » (l.

6).

Les ondulations de l'eau « meurent » (l.

8).- L'oiseau a l'air humain ; il a des préoccupations apparemment morales, mais il conserve toujours une apparenceanimale : il ne parle pas comme chez La Fontaine et ne porte pas d'habits comme chez Granville. 3.

L'illusion poétique• Les images : le poète nous fait suivre un transfert poétique : le cygne se nourrit de nuages, comme le texte senourrit d'images.

Métaphores et comparaisons sont fondatrices de l'atmosphère : la blancheur de l'oiseau qui glissesuggère l'image du traîneau (l.

1) ; son cou évoque le bras d'une femme (l.

5).— L'image de la blancheur duveteuse cristallise autour d'elle des sonorités : allitération en [s] (« il glisse sur lebassin » (l.

1) ; « sur son léger coussin de plumes, le cygne...

s'approche » (l.

10- 11).

Glissement suggéré aussi parles sonorités fluides en « L » (I.

1-3).• Les jeux de reflet : il y a correspondance entre deux blancheurs, celle des nuages et celle de l'oiseau, autrementdit il y a reflet de nuage à plumage.— Idée du narcissisme du cygne : le texte multiplie les occurrences du pronom personnel « Il » (15 fois).

Le poèmeest plein du cygne et de son orgueil.

C'est lui-même en définitive qu'il cherche dans l'eau. II.

L'ironie du poète 1.

De l'illusion à la réalité• Nous avons une anecdote dans laquelle l'auteur se laisse d'abord fasciner par la majesté traditionnelle du cygneavant de se reprendre par la question : « Mais qu'est-ce que je dis ? (l.

14).— La structure est éclairante.

Le poème se décompose en deux temps : la quête du cygne et le retour à la réalitéqui réinterprète les éléments précédents.

Le cygne se promène ainsi sur un modeste « bassin » au lieu d'un lac.— La chute du texte établit un constat prosaïque : le cygne n'est qu'une oie gourmande.

La fin éclaire d'un jourironique l'autre faim, celle de l'oiseau pour les nuages.

La brièveté de la formule contraste avec le rythme glissant dela première partie du texte : « Il engraisse comme une oie » (l.

16) (voir le texte des Histoires naturelles intitulé «L'oie »).— Le retour au prosaïsme donne un sens plein à l'appellation de poème en prose : c'est à la fois un texte d'images,de rythmes, de sonorités, mais aussi de réalité.• La désillusion : c'est le refus de l'illusion dont semble être victime le cygne lui-même : la quête de la beauté, del'ineffable que sont les nuages.

Le poète exerce contre lui-même son ironie puisqu'il a été capable, un moment, decroire au cygne mangeur de nuages.— Le caractère de magie à laquelle on ne doit pas se laisser prendre, apparaît dans l'étape du cou qui ressort del'eau, sans rien, comme le bras de l'illusionniste qui ne réussirait pas à faire sortir du chapeau quelque vaporeuxfoulard. 2.

La perversion du sérieux• Buffon : le titre des Histoires naturelles est le pluriel de celui de l'ouvrage de Buffon : Histoire naturelle.

MaisRenard prend le contre-pied de son modèle qui déclarait que le cygne est « supérieur en tout à l'oie » et sait « seprocurer une nourriture plus délicate et moins commune ».

Toute noblesse est déniée à ce cygne qui ne vaut pasmieux que l'oie.• La tradition poétique : Les sonorités fluides, comme l'allitération en [s] au début du texte, se transforment : ellesdeviennent dodues, en [r] (l.

15-16).— C'est un refus en réalité de « faire littéraire » : le cygne, animal favori de la littérature et de la mythologie, oiseaud'Apollon (dieu de la poésie), est aussi, par sa couleur, l'expression de la pureté.

Or ici, le beau sujet devientobservation sans complaisance d'attitudes purement animales : « chaque fois qu'il plonge...

ramène un ver » (l.

15-16).— A noter le ton parodique de « L'Étranger », poème en prose de Baudelaire : « J'aime les nuages qui passent...

lesnuages qui passent...

là-bas...

là-bas...

les merveilleux nuages.

» Conclusion • Renard voulait une poétique « en morceaux, en petits morceaux, en tout petits morceaux ».

Ce texte, court,composé par petites touches, semble d'abord pousser l'observation jusqu'à la préciosité.• Mais l'humour du poète nous ramène au maillon réel d'un bestiaire qui sait distinguer rêverie poétique et spécificitéauthentique d'un animal.• La structure du recueil, qui commence sur l'ouverture de la chasse et se clôt sur sa fermeture, fait du poète unchasseur...

d'images.. »

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