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Jugement de Boileau sur Marot et Ronsard: Art poétique. Chant I

Publié le 13/02/2012

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boileau

... Marot, bientôt après, [Villon] fit fleurir les ballades,

Tourna les triolets, rima des mascarades,

A des refrains réglés asservit les rondeaux,

Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.

Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,

Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,

Et toutefois longtemps eut un heureux destin,

Mais sa Muse, en français parlant grec et latin,

Vit, dans l'âge suivant, par un retour grotesque,

Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.

Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,

Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.

Art poétique. Chant I, vers 119-130.

Le chant I de l'Art Poétique contient des préceptes excellents sur la nécessité de l'inspiration, l'accord de la rime et de la raison, la clarté, la correction, les avantages de la critique. Mais Boileau s'y livre à une digression assez mal amenée et, presque d'un bout à l'autre, sujette à révision, sur l'histoire du « Parnasse françois «, de ses origines - soi-disant - à Malherbe, inclusivement....

boileau

« temps.

On cite, d'ordinaire, le rondeau au Roi « Pour avoir argent au de- loger de Reims », mais ce n'est pas un chef -d'oeuvre! Boileau se garde, et pour cause, de preciser quels chemins nouveaux a de- converts Marot.

S'il a trouve de nouvelles combinaisons strophiques, ii a surtout adroitement utilise celles qu'avaient employees ses devanciers.

Star les 76 arrangements differents qu'il nous offre - nos modernes erudits, plus précis que Boileau, les ont'soigneusement comptes - combien sont vraiment siens? Et si Emile Faguet avait raison de dire : « Il a donne des lecons et des exemples aux poetes de son temps presque autant en choses de rythmes qu'en choses de style », on peut lui relorquer : « Toutes ces innovations sont dans la ligne des preoccupations de ses predecesseurs; it a peut -titre elargi et embelli la route qu'ils suivaient, ii n'a point ouvert de voies nouvelles.

» Par sa technique, it est, en effet, le dernier poste du moyen age; son pare lui a appris a 4C jouer du chalumeau » poetique, comme les bergers ap- prennent a leurs sansonnets a siffler.

Boileau eilt sans doute ate surpris si on lui avait objects que « maitre Clement » avait donne dans les mise- rabies A-peu-pres des « grands rhetoriqueurs », usant de la rime equivoquee : maria avec mart a; crotte et obsecro te, s'exercant aux rimes concatenees, annexees, fratrisees, batelees, couronnees, ou en echo..., qu'il avait ose commettre une piece de 29 vers avec des rimes en ac, cc, lc, oc et uc.

Toutes les inventions de Marot se ramenent a quelques combinaisons de rimes mas- culines et feminines, de tercets et de quatrains.

On peut aussi lui attribuer le premier sonnet francais, concu a la maniere italienne et lui en savoir gre, car le genre a produit, du xvi° au xx° siècle, de vrais chefs-d'oeuvre. Enfin cette appreciation omet le meilleur titre de gloire de Marot.

Elle oublie « le gentil poete », celui des epitres.

Mais l'omission est reparee en un autre endroit de rArt Poetigue, et de la plus heureuse facon.

L'alexan- drin fameux : Imitons de Marot l'elegant badinage, chante dans toutes les memoires, et lone en termes definitifs le genie propre de l'auteur, « fait de grAce mutine, de raillerie, de simplicite et de goat ». (Raoul Morcay.) 11 est certain que la mithode de Ronsard - et c'est tout a son honneur - differe totalement de celle de Marot.

II a rave, pour la poesie, un champ plus vaste, it a place beaucoup plus haut son ideal.

Sa « methode » n'a rien de capricieux; elle repose, au contraire, sur un fondement solide : l'expe- rience des Anciens, de ces Anciens que Boileau defendait avec tant de tongue contre les Modernes.

Ce n'est pas un art a sa mode, mais l'art antique, decouvert A la sueur de son front, qu'il a concu le projet d'ins- taurer en France.

II est vrai que Ronsard - mieux vaudrait dire la Pletade - regla tout, ou au moins essaya de tout regler : fond et forme.

II voulut renouveler I'ins- piration poetique, assez pauvre au moyen Age et au xvi° siècle, en lui ou- vrant les tresors de l'antiquite et le temple de la nature.

Il exige tine tenue morale, une detente de langage assez rarer chez les pokes des Ages prece- dents.

« Sur toutes choses to auras les Muses en reverence et les feras jamais servir a des choses deshonnetes, ni a libelles injurieux, mais les tiendras cheres et sacrees.

» Il prone les « genres » pratictues par les Anciens; it defend la langue francaise contre le dedain immerite des erudits de son temps; it tente de l'enrichir, y introduit des mots empruntes aux patois ou aux langues techniques, et d'autres « mottles et taconites dans un patron déjà recu du peuple ».

Il emploie et conseille des rythmes nouveaux, des combinaisons de vers, de rimes, de strophes ignorees de Marot. Peut-on dire que ces innovations brouillerent tout? Cela laisserait sup- poser qu'il existait quelque ordre sur le Parnasse an temps oil it en vint prendre hardiment possession.

Or, nous savons justement le contraire.

Que si certains mots fabriques arbitrairement, et surtout l'invasion mytholo- gique y causerent quelque desarrei, on peut neanmoins se guider dans cette confusion et distinguer le beau du douteux.

Ce triage opera, i1 reste que le bon l'emporte sur le mauvais, l'immortel sur le caduc.

Quant A l'heureux destin de Ronsard, au xvi° siècle, Boileau parait mieux informe.

t Le prince des poetes et le poke des princes 2 connut, en effet, temps.

On cite, d'ordinaire, le rondeau au Roi « Pour avoir argent au rlé­ loger de Reims », mais ce n'est pas un chef-d'œuvre! Boileau se garde, et pour cause, de préciser quels chemins nouveaux a dé­ couverts Marot.

S'il a trouvé de nouvelles combinaisons strophiques, il a surtout adroitement utilisé celles qu'avaient employées ·Ses devanciers.

Sur les 76 arrangements différents qu'il nous offre - nos modernes érudits, plus précis que Boileau, les ont soigneusement comptés - combien sont vraiment siens? Et si Emile Faguet avait raison de dire : « Il a donné des leçons et des exemples aux poètes de son temps presque autant en choses de rythmes qu'en choses de style», on peut lui rétorquer : «Toutes ces innovations sont dans la ligne des préoccupations de ses prédécesseurs; il a peut-être élargi et embelli la route qu'ils suivaient, il n'a point ouvert de voies nouvelles.

» Par sa technique, il est, en effet, le dernier poète du moyen âge; son père lui a appris à « jouer du chalumeau » poétique, comme les bergers ap­ vrennent à leurs sansonnets à siffler.

Boileau eût sans doute été surpris si on lui avait objecté que « maître Clément » avait donné dans les misé­ rables à-peu-près des « grands rhétoriqueurs », usant de la rime équivoquée : maria avec mari a; crotté et obsecro te, s'exerçant aux rimes concaténées, annexées, fratrisées, batelées, couronnées, ou en écho ...

, qu'il avait osé commettre une pièce de 29 vers avec des rimes en ac, ec, ic, oc et uc.

Toutes les inventions de Marot se ramènent à quelques combinaisons de rimes mas­ culines et féminines, de tercets et de quatrains.

On peut aussi lui attribuer le .Premier sonnet fran.çais, conçu à la manière italienne et lui en savoir gre, car le genre a .Produit, du xvi• au xx• siècle, de vrais chefs-d'œuvre.

Enfin cette appreciation omet le meilleur titre de gloire de Marot.

Elle oublie « le gentil poète », celui des épîtres.

Mais l'omission est réparée en un autre endroit de l'Art Poétique, et de la plus heureuse façon.

L'alexan­ drin fameux : Imitons de Marot l'élégant badinage, chante dans toutes les mémoires, et loue en termes définitifs le génie propre de l'auteur, « fait de grâce mutine, de raillerie, de simplicité et de goût ».

(Raoul Morçay.) .

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Il est certain que la méthode de Ronsard - et c'est tout à son honneur - diffère totalement de celle de Marot.

Il a rêvé, pour la poésie, un champ plus vaste, il a placé beaucoup plus haut son idéal.

Sa «méthode » n'a rien de capricieux; elle repose, au contraire, sur un fondement solide : l'expé­ rience des Anciens, de ces Anciens que Boileau défendait avec tant de fougue contre les Modernes.

Ce n'est pas un art à sa mode, mais l'art antique, découvert à la sueur de son front, qu'il a conçu le projet d'ins­ taurer en France.

Il est vrai que Ronsard - mieux vaudrait dire la Pléiade -régla tout, ou au moins essaya de tout régler : fond et forme.

Il voulut renouveler l'ins­ piration poétique, assez pauvre au moyen âge et au xv1• siècle, en lui ou­ vrant les trésors de l'antiquité et le temple de la nature.

Il exige une tenue morale, une décence de langage assez rares chez les poètes des âges précé­ dents.

« Sur toutes choses tu auras les Muses en révérence et les feras jamais servir à des choses déshonnêtes, ni à libelles injurieux, mais les tiendras chères et sacrées.» Il prône les «genres» pratiq;ués par les Anciens; il défend la langue française contre le dédain immerité des érudits de son temps; il tente de l'enrichir, y introduit des mots empruntés aux patois ou aux langues techniques, et d'autres « moulés et façonnés dans un patron déjà reçu du peuple ».

Il emploie et conseille des rythmes nouveaux, des combinaisons de vers, de rimes, de strophes ignorées de Marot.

Peut-on dire que ces innovations brouillèrent tout? Cela laisserait sup­ poser qu'il existait quelque ordre sur le Parnasse au temps où il en vint prendre hardiment possession.

Or, nous savons justement le contraire.

Que si certains mots fabriqués arbitrairement, et surtout l'invasion mytholo­ gique y causèrent quelque désarroi, on peut néanmoins se guider dans cette confusion et distinguer le beau du douteux.

Ce triage opéré, il reste que le bon l'emporte sur le mauvais, l'immortel sur le caduc.

Quant à l'heureux destin de Ronsard, au XVI" siècle, Boileau paraît mieux informé.. »

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