Jean Starobinski, dans La Transparence et l'Obstacle, écrit à propos du souvenir dans Les Confessions : « Le souvenir se présente souvent comme une émotion plus intense, il possède une acuité beaucoup plus bouleversante que l'impression originale. C'est pourquoi le passé, loin de s'estomper dans la mémoire, s'y amplifie et gagne une résonance plus profonde. » Vous commenterez et justifierez ce point de vue.
Publié le 26/07/2013
Extrait du document
Introduction
I. Une « impression originale « décevante
Une présence au monde difficile
Le recours à l'imaginaire
II. « une résonance plus profonde «
La « mémoire locale «
La part de la mémoire involontaire
III. Pouvoirs et limites de l'écriture
Le plaisir de la lecture
Le plaisir d'écrire
Les limites de l'écriture
Conclusion
Introduction
Dans la quatrième Lettre morale, Rousseau dresse ce constat sans
appel : « Mon existence n'est plus que dans ma mémoire, je ne vis plus
que de ma vie passée et sa durée cesse de m'être chère depuis que mon
cœur n'a plus rien à sentir de nouveau. « Trait de sa mélancolie, cette
fidélité entêtée au passé ne signe pourtant pas le renoncement à vivre. La
mémoire insuffle au présent une respiration nouvelle : la force et
l'émotion de ce passé. Comme l'écrit Jean Starobinski : « Le souvenir se
présente souvent comme une émotion plus intense, il possède une acuité
beaucoup plus bouleversante que l'impression originale. C'est pourquoi le
passé, loin de s'estomper dans la mémoire, s'y amplifie et gagne une
résonance plus profonde. « C'est dire d'abord combien Rousseau est si
peu apte à vivre l'instant présent, qu'il a besoin pour y parvenir du prisme
du souvenir. Mais c'est aussi s'interroger sur les moyens mis en œuvre
pour réaliser cette reviviscence.
«
II. Une « impression originale » décevante
— Une présence au monde difficile
Au Livre I, parlant des passions « très arden tes » qui parfois
l'ag itent, Rousseau écrit : « Hors le seul objet qui m'occupe, l'univers n'est
plus rien pour moi : mais tout cela ne dure qu'un moment et le moment
qui suit me jette dans l'anéantissement.
» On peut lire dans ce constat
l'aveu d'un tempé rament entièrement dominé par les passions et une
im possibilité du sujet à vivre en adéquation avec le monde qui l'entoure.
Plusieurs traits confortent ce fait.
Le goût de la solitude va ainsi jusqu'à
l'excès : « Mon humeur devint taciturne, sauvage, [...] et je vivais en vrai
loup -garou », écrit -il au sujet de son expérience en apprentissage.
Sa
timidité est maladive et son rapport aux autres s'en trouve alourdi.
Inc apable d'une action directe sur autrui, et désirant pourtant qu'elle
s'acco m plisse, Roussea u a recours, selon l'expression de Starobinski, à «
l'efficac ité magique de la présence ».
Dans la chambre de Mme Basile, il
reste aux pieds de la jeune femme, « muet, immobile » (Livre II).
Des «
réduits c achés » où il exhibe son sexe, il n'y a « qu'un pa s à faire pour
sentir le tra itement désiré », mais Jean -Jacques reste là, immobile
toujours, « dans l'obscurité des allées souterraines ».
— Le recours à l'imaginaire
L'imaginaire devient alors l'asile de ses espérances déçues : « je n'ai
jamais laissé de jouir beaucoup à ma manière ; c'est -à-dire par
l'imagin ation », écrit -il au seuil du Livre I.
Les anecdotes ne manquent pas
qui i llu strent ce penchant, mais la plus drôle est sans doute celle de la
fiole vide.
Peu à peu cependant, l'imagination extravagant e qu'on pourrait
attribuer à l'étourderie ou à l'insouciance de la jeunesse est relayée par
une imagination plus profonde, signe d'un tempérament et non d'un âge
de la vie.
L'imagination apparaît comme un moyen de fuite et de
compensation : « mon imaginati on ne se montre jamais plus
agréablement que quand mon état est le moins agréable, et [...] au
contraire elle est moins riante lorsque tout rit autour de moi.
» Mais plus
intéressante est la place que lui accorde le narrateur dans son activité
d'écrivain : « elle ne saurait embe llir, elle veut créer.
[...] Si je veux
décrire un beau paysage il faut que je sois dans des murs, et j'ai dit cent
fois que si j'étais mis à la Bastille, j'y ferais le tableau de la liberté.
»
On comprend alors comment ce qui défini t le personnage comme
écrivain est cela même qui empêche sa présence immédiate au monde.
Mais le caractère autobiographique de l'œuvre permet également de
co m prendre que, si l'imagination a un rôle à jouer, c'est aussi celui de
pouvoir vivifier le souvenir .
II.
« une résonance plus profonde »
— La « mémoire locale »
Le fragment 34 des Fragments autobiographiques contient une
expression énigmatique mais qui peut nous éclairer sur la nature des
souv enirs.
« Les lectures que j'ai faites étant malade ne me flat tent plus
en sa nté.
C'est une déplaisante mémoire locale qui me rend avec les idées
du Livre celle des maux que j'ai soufferts en les lisant.
» Qu'entend.
»
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