Jean-Paul Sartre écrit : «J'enrage de n'être pas poète, d'être si lourdement rivé à la prose. Je voudrais pouvoir créer de ces objets étincelants et absurdes, les poèmes, pareils à un navire dans une bouteille et qui sont comme l'éternité d'un instant» (Carnets de la drôle de guerre). En appuyant votre réflexion sur des exemples précis, vous vous interrogerez sur la signification et la portée de cette définition de la poésie.

« • Ainsi Boileau, le théoricien des Classiques, ne paraît pas soupçonner qu'il y ait entre poésie et prose d'autresnuances que, pour chaque forme, des règles particulières de structure, de ton, d'ordonnance. • Pour lui, l'important est simplement de se soumettre aux lois de la raison, à son contrôle sur toutes les facultéscréatrices, chercher partout et toujours la clarté : «Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.» (Art Poétique). • Donc à l'âge classique (id.

au XVIIIe siècle) on ne conçoit pas que, si le poète a quelque chose à communiqueraux hommes, il puisse espérer se faire comprendre autrement que dans la clarté d'un discours ordonné... • ...

qu'il parle au cœur ou à l'imagination, c'est en notions claires et distinctes, en images aux contours précis : — exemple : la poésie oratoire chez Corneille (tel le discours de Don Diègue : Le Cid) ; — et même dans Racine: les imprécations de Clytemnestre ou la fureur de Phèdre = tout est construit, clairementdéduit et défini, raisonné, exposé... • C'est pourquoi certains étrangers vont jusqu'à prétendre que «la France n'a pas de poésie [...] entre Villon etBaudelaire » mais qu'une « longue et constante méprise a fait considérer comme poèmes des discours rimés où l'ontrouve de l'esprit, de l'éloquence, de la virulence, du pathos mais jamais de la poésie» (cité par Gide dans Anthologiede la Poésie française). • Effectivement, de la Renaissance au Parnasse, bien des poèmes : — racontent, exemple: jeux pétrarquisants de certaines Amours de Ronsard ; — expliquent, exemple: méditation rigoureusement composée de Lamartine sur le Temps hostile à l'homme (2e partiedu Lac) ; — décrivent, exemple : Soleil couchant (Heredia : Les Trophées). • Donc on compte bien des poésies oratoires ou tentées par des dissertations d'ensemble. • Voir, chez les Romantiques, la tendance à transmettre une émotion en idées pour atteindre l'universalité.

Exemple: les révélations de La Bouche d'ombre (Hugo) : «Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route.» • Ainsi, partant d'une différence établie nettement dans l'opinion commune entre poésie/prose (la plupart du tempsfondée seulement sur : vers ou pas vers !)... • ...

l'esprit français faisait se confondre les moyens lyriques et ceux de l'art oratoire par le choc émotif des images,les cadences, les harmonies en même temps que la clarté logique;... • —» et gommait la fondamentale singularité de chacune des deux formes. II.

Le mystère poétique ou Poésie = «l'éternité d'un instant » • Il ne s'agit évidemment pas de tomber dans les aberrations du Lettrisme, tenté qu'il fut de traiter la langue commepure matière sonore et non comme un langage... • ...

mais tout en n'écrivant pas de poème «absurde» i.e.

incompréhensible.... • ...

savoir être en attitude paradoxale avec l'opinion, i.e.

ne pas hésiter à «être voyant», «se faire voyant» (A.Rimbaud)... • ...

et «si ce [que le poète] rapporte de là-bas a forme, [y] donner forme; [mais] si c'est informe [...], donner del'informe» (id.). • C'est en ce sens qu'il faut prendre l'adjectif «absurde» utilisé par Sartre. • C'est le contraire de cette clarté et de cette logique prônées par les Classiques et qui poussaient le poètebaroque Régnier à reprocher à son contemporain Malherbe, grand régenteur du classicisme, de « proser de la rime etde rimer de la prose ».. »