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Jean Marie Domenach. Commentaire.

Publié le 05/10/2017

Extrait du document

Selon votre préférence, résumez le texte suivant en respectant son mouvement, ou bien analysez le en distinguant et ordonnant les thèmes et en vous attachant à rendre compte de leurs rapports. Vous indiquerez, en tête de votre copie, par le mot Résumé ou Analyse, la nature de votre choix.

Après ce résumé ou cette analyse, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier :vous en préci serez les données, vous les discuterez s'il y a lieu et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

* * *

La langue française nous permet cette distinction essentielle : tragique n'est pas seulement une épithète associée à tragédie (« Sophocle, auteur tragique ») ; le mot recouvre une réalité pl us vaste


et plus profonde, si l'on pense que le phénomène du tragique consti tue une structure fondamentale de l'univers. On objectera peut être qu'il en va de même pour comique, qui ne qualifie pas uniquement un genre littéraire; il est vrai qu'il y a des spectacles comiques, i ndé pendam ment de toute représentation théâtrale. Mais lorsqu'à propos de quelque incident, on dit : « C'est comique », on ne désigne qu'un aspect extérieur d'un événement ou d'une situation dont la nature essentielle demeure hors de cause. « C'est comique » signifie sim plement qu'on en rit et ne nous livre aucune explication sur les raisons de ce rire, qui peuvent être extrêmement diverses. Il y a des comiques de toute espèce et de toute nuance; il n'y a qu'un tragique, et il nous renvoie à une essence unique, même si elle est la plus difficile à saisir. En disant : « C'est tragique », fût ce à propos d'un incident anodin, je mets en branle une métaphysique : la manière dont les événements arrivent, dont l'homme conçoit son existence et son

rapport avec les autres, avec lui même, avec Dieu,               une sagesse, folle peut être, mais une sagesse.

Parce qu'un jour, à Dallas (Texas), un homme qui était jeune, beau, heureux et chef du plus puissant État de la terre, s'affaisse ensan­glanté dans les bras de sa femme, le mot vient spontanément sur le papier, sur les lèvres, sur les ondes : « C'est tragique », et, comme pour le confirmer, l'assassin présumé est à son tour assassiné. C'est tragique parce que John Kennedy ne devait pas mourir, et pourtant quelque chose nous disait qu'il était exposé à cette mort, précisément à cause de toute cette puissance et ce bonheur, presque surhumains, qui le distinguaient, le désignaient à la vengeance. C'est tragique parce que le sang appelle le sang, et que le meurtrier devait avoir cette mort hors de la justice légale dont le mécanisme semblait bien au dessous de son crime. Causalités absurdes et pourtant im média tement admises par le public pour qui ces meurtres ne sont pas la conséquence d'une volonté ou d'un hasard, d'une politique ou d'une imprudence, mais relèvent d'une nécessité supérieure à la logique

humaine. L'événement était imprévisible quelle somme de coïnci den ces il a exigée, la Commission d'enquête l'a montré ! et pourtant il était attendu. Cet attentat, l'opinion, spontanément, le situait hors des cadres, dans une zone exceptionnelle où il apparaissait presque normal.

Tous les faits divers qu'on appelle tragiques ne représentent pas la même intensité que l'assassinat du Président Kennedy, mais on, y retrouve plus ou moins le même mécanisme et, chez l e spectateur, le même mélange de surprise et de secrète attente, d'indignation et de consentement, conscience fruste du tragique, qui s'accompagne souvent d'un assez vil ressentiment, d'une satisfaction légèrement sadique, car il est agréable aux petits que les grands, les riches et les heureux soient frappés au cœur de leur réussite, comme si, à travers l'injustice qu'on déplore, s'exécutait le décret mystérieux d'une autre justice, celle qui, de toute éternité, asservit les hommes au tra­vail, à la maladie et à la mort pour les punir de quelques instants de


bonheur. Ambigu est le comportement commun à l'égard du tragique. On dit: « Qu'avait il donc fait pour mériter ça ? » ; on dit: « Si ce n'est pas une misère! Il était si jeune, elle était si belle, ils étaient si heu­reux ... » On parle ainsi, mais on sait au fond de soi que ce paradoxe scandaleux recèle la raison du malheur; on pressent que le destin qui se monnaye si gentiment en horoscopes hebdomadaires a des réserves d e férocité naturelle comme ces fauves du zoo qui, après avoir ronronné sous les caresses, dévorent soudain le bras et l'enfant.

« Tout homme heureux est coupable », écrivait Péguy méditant sur Œdipe Roi. L'opinion en est spontanément convaincue. Mais cette conviction, si agréable à partager lorsque, dans les temps de misère, elle réconfortait les humbles, commence à peser lourd sur une société qui fait d u bonheur son culte et installe des masses dans la sécurité matérielle. Certes, des épisodes éminents continuent de solliciter la complicité indignée; le lendemain de la nuit où Maryli n Monroe se tua, des millions de gens ont oublié leur frustration, leur laideur, en prenant pitié de celle dont le corps était trop admirable pour survivre. Mais pouvaient ils à si bon compte se détacher de leur vedette? Sa mort accusait toute une société habillée et maquillée comme elle, déesse éblouissante et stérile.

Ainsi le tragique apparaît il d'emblée comme le pressentiment d'une culpabilité sans causes précises et dont pourtant l'évidence n'est à peu près pas discutée; et du même mouvement qu'on admet cette nécessité, cette prédestination, on s'en détache, on s'en exonère en la reportant sur l'arbitraire divin ou quelque vague méchanceté méta

physique. C'est injuste           c'est juste           c'est i njuste ... , tel est en somme le triple mouvement suscité par l'événement tragique; le premier est une réaction sentimentale; le second puise dans une croyance plus ou moins consciente à une causalité magique, à rétri­bution souterraine; le troisième s'adresse à la divinité, qui, au lieu d'être providentielle, manifeste sa malignité ou son absence.

 

Jean Marie Domenach

Contrairement au comique dont la nature multiple est toujours artificielle, le tragique est unique et profond : son essence même repose sur une conception de 1 'homme, de sa place dans 1 'univers et de ses rapports avec le divin. Tout événement tragique est métaphysique. L'assassinat de John Kennedy et ses suites illustrent bien, précisément, quels enchaînements de causes et d'effets constituent le tragique : cette mort était fatale, inscrite dans ce surplus de bonheur et de puissance.

Même moins intense, chaque fait divers tragique suscite dans le public acceptation et pitié, voire même soulagement, comme si le tragique était le signe d'une justice immanente correctrice de 1 'injustice quotidienne, comme si le destin se vengeait d'être marchandé par les astrologues.

 

« Tout homme heureux est coupable n disait Péguy. Mais cette maxime qui sied aux pauvres dérange une société qui fait du bonheur matériel son veau d'or : témoin le suicide de Marylin Monroe qui fit de ses admirateurs atterrés autant de responsables de sa mort.

« et plus profonde, si l'on pense que le phénomène du trag ique consti tue une structure fondamen tale de l'un ivers.

On objectera peut être qu'il en va de même pour comique, qui ne qualif ie pas uniqu ement un genr e littérai re; il est vrai qu'il y a des spect acles comiques, indé pendam ment de to ute représenta tion théâtra le.

Mais lorsqu' à propos de qu elque incident, on dit : «C'est comique », on ne désigne qu'un aspe ct extér ieur d'un événement ou d'une situati on dont la natur e essen tielle demeur e hor s de cause.

« C'est comique » signi fie sim plement qu'on en rit et ne nous livre aucune explication sur les raisons de ce rire, qui peuvent être extrêmemen t di verses.

Il y a des comique s de toute espè ce et de toute nuance ; il n'y a qu'un tragique, et il nous renvoie à une essence unique, même si elle est la plus diffi cile à saisir .

En disant : « C'est tragique », fût ce à propos d'un incident anodin, je mets en branle une métaphysique : la manièr e dont les évé nemen ts arrivent, dont l'homme conçoit son existence et son rappor t avec les autres, avec lui même, avec Dieu, une sagesse, folle peut être, mais une sagesse.

Parce qu'un jour, à Da llas (Tex as), un homme qui était jeune, beau, heur eux et che f du plus puissan t État de la terre, s'affaisse ensan­ glan té dans les bras de sa femm e, le mot vient spon tanément sur le papie r, sur les lèvres, sur les ondes : «C'est tragiq ue», et, comme pour le con firmer, l'assassin prés um é est à son tour assassiné .

C' est tra gique parce que John Kennedy ne devait pas mourir , et pour tant quelque chose nous disai t qu'il était exposé à cette mort, pr écisément à cause de to ute cette puissance et ce bonhe ur, presque surhumains, qui le disting uaien t, le désigna ient à la vengeance.

C'est tra gique pa rce que le sang appelle le sang, et que le meur trier devait avoir cette mort hor s de la jus tice légale dont le mécanisme semblait bien au d essous de son crime.

Causali tés absur des et pour tant immédia tement ad mises par le public pour qui ces meur tres ne sont pas la cons équenc e d'une volonté ou d'un hasard, d'une politique ou d'une imprudenc e, mais relèvent d'une nécess ité sup érieur e à la logique hu maine.

L'événement était imprévisible quelle somme de coïnci denc es il a exigée, la Commission d'enquête l'a mo ntré ! et pour tant il était attendu.

Cet attentat, l'opinion, spontanémen t, le situait hors des cadres, dans une zone excep tionnelle où il appar aiss ait presq ue nor mal.

To us les faits divers qu'on appelle tragiques ne représe ntent pas la même intensité que l'assassi nat du Président Kenne dy, mais on, y retrouv e plus ou moins le même mécanisme et, chez le spectate ur, le même mélange de sur prise et de sec rète attente, d'ind ignati on et de consen tement, conscience fru ste du trag ique, qui s'accom pagne so uvent d'un assez vil resse ntiment, d'une satisfac tion légèrem ent sadique, car il est agréable aux petits que les grands, les riches et les heur eux soien t frappés au cœur de leur réuss ite, comme si, à travers l'injus tice qu'on déplore, s'exécutait le décr et mystéri eux d'une autr e jus tice, celle qui, de toute éternité, asse rvit les homm es au tra­ va il, à la maladie et à la mor t pour les punir de quelques instants de. »

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