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Jean-Jacques Rousseau, les Confessions - 2e partie, livre VII

Publié le 25/12/2019

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rousseau

Ma première partie1 a été toute écrite de mémoire et j'y ai dû faire beaucoup d'erreurs. Forcé d'écrire la seconde de mémoire aussi, j'y en ferai probablement beaucoup davantage.

5 Les doux souvenirs de mes beaux ans passés avec autant de tranquillité que d'innocence, m'ont laissé mille impressions charmantes que j'aime sans cesse à me rappeler. On verra bientôt combien sont différents ceux du reste de ma vie. Les rappeler, c'est en 10 renouveler l'amertume. Loin d’aigrir celle de ma situation par ces tristes retours,je les écarte autant qu’il m’est possible, et souvent j’y réussis au point de ne les pouvoir plus retrouver au besoin. Cette facilité d’oublier les maux est une consolation que le Ciel

15 m’a ménagée dans ceux que le sort devait un jour accumuler sur moi. Ma mémoire, qui me retrace uniquement les objets agréables, est l'heureux contrepoids de mon imagination effarouchée, qui ne méfait prévoir que de cruels avenirs.

20 Tous les papiers que j’avais rassemblés pour suppléer à ma mémoire et me guider dans cette entreprise, passés en d’autres mains, ne rentreront plus dans les miennes. Je n’ai qu’un guide fidèle sur lequel je puisse compter, c’est la chaîne des sentiments qui ont

25 marqué la succession de mon être, et par eux celle des événements qui en ont été la cause ou l’effet. J’oublie aisément mes malheurs; mais je ne puis oublier mes fautes, et j’oublie encore moins mes bons sentiments. Leur souvenir m’est trop cher pour s’effacer jamais

30 de mon cœur. Je puis faire des omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates; mais je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti, ni sur ce que mes sentiments m’ont fait faire; et voilà de quoi principalement il s’agit. L’objet propre de

35 mes confessions est de faire connaître exactement mon intérieur dans toutes les situations de ma vie. C’est l’histoire de mon àme que j’ai promise, et pour l’écrire fidèlement je n’ai pas besoin d’autres mémoires : il me suffît, comme j’ai fait jusqu’ici, de 40 rentrer au-dedans de moi.

(Jean-Jacques Rousseau, les Confessions, 2e partie, livre VII, 1789.)

Jean-Jacques Rousseau,

les Confessions

La deuxième partie des Confessions a été écrite deux ans après la première. Le début du livre VII est la transition entre ces deux parties. Rousseau passe du récit de sa «paisible jeunesse» (ses trente premières années) à celui de ses malheurs.

On peut, bien sûr, se demander encore une fois si Rousseau ne cherche pas ici à justifier certains choix flatteurs ou certains mensonges dans le récit de sa vie. Mais l’objection est écartée par deux arguments : selon la philosophie rousseauiste, le cœur ne peut pas se tromper, et, d’autre part, Rousseau n’a pas écrit, dans les Confessions, l’histoire de sa vie mais l’histoire de (son) «âme». La subjectivité devient donc le critère de vérité. Le témoignage (c’est le sens du mot «mémoires» au pluriel) n’est pas nécessaire; la seule vérité est celle de l’émotion. En même temps qu’une réhabilitation («faire connaître exactement mon intérieur», l. 35, 36), l’autobiographie offre à Rousseau le plaisir consolateur de l’introspection («rentrer au-dedans de moi», 1. 40).

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