Jean Jacques Rousseau, Le vol du ruban, Les Confessions, Livre second
Publié le 07/10/2018
Extrait du document
Il est bien difficile que la dissolution d’un ménage n’entraîne un peu de confusion dans la maison1, et qu’il ne s’égare bien des choses. Cependant, telle était la fidélité des domestiques et la vigilance de M. et Mme Lorenzy, que 5 rien ne se trouva de manque sur l’inventaire. La seule
Mlle PontaP perdit un petit ruban couleur de rose et argent, déjà vieux. Beaucoup d’autres meilleures choses étaient à ma portée ; ce ruban seul me tenta, je le volai, et comme je ne le cachais guère on me le trouva bientôt. On voulut 10 savoir où je l’avais pris. Je me trouble, je balbutie, et enfin je dis, en rougissant, que c’est Marion qui me l’a donné. Marion était une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière, quand, cessant de donner à manger, elle avait renvoyé la sienne, ayant plus de besoin de 15 bons bouillons que de ragoûts fins. Non seulement Marion
était jolie, mais elle avait une fraîcheur de coloris qu’on ne trouve que dans les montagnes, et surtout un air de modestie et de douceur qui faisait qu’on ne pouvait la voir sans
1. Mme de Vercellis, chez qui Rousseau est employé comme laquais vient de mourir.
2. M. et Mme Lorenzy : l’intendant de Mme de Vercellis et sa femme.
3. Mlle Pontal : femme de chambre.
4. Mauriennoise : de la région de Maurienne en Savoie.
Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ont été écrites de 1766 à 1770 : l’auteur narrateur y raconte sa vie en toute sincérité, et on considère ainsi cet ouvrage comme la première autobiographie au sens moderne du terme. Rousseau en se confessant au lecteur veut se défendre contre les attaques de ses ennemis. Pour cela, il raconte sa vie, et tente d’expliquer, entre autres, les mauvaises actions dont il se sent coupable, sans cacher quoi que ce soit.
1 L’incohérence de l’attitude du jeune homme Rousseau souligne son inconséquence et son irréflexion.
Son affection paradoxale pour Marion.
Rousseau avance aussi un début d’explication : il était impressionné par l’assemblée.
2 Une société qui juge sur des apparences trompeuses Rousseau dénonce une société où l’on juge sur l’apparence et où la modeste vertu est forcément maltraitée.
Il dénonce aussi une société où les puissants, assez indifférents à la justice, traitent de la même manière l’innocent et ie coupable.
3 Les remords de Rousseau
Rousseau est donc le seul à pouvoir faire justice, en se dénonçant auprès du lecteur.
Il fait référence aux tourments que lui a infligés sa conscience, punition suprême qui lui a permis de changer.
«
l'aimer
.
D'ailleurs bonne fille, sage, et d'une fidélité à toute
20 épreuve.
C'est ce qui surprit quand je la nommai.
L'on
n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, et l'on
ju gea qu'il importait de vérifier lequel était le fripon des
deux.
On la fit venir ; l'asse mblée était nombreu se, le comte
de La Roque' y était.
Elle arrive, on lui montre le rub an, je
'> la charge' effronté ment ; elle reste interdite, se tait, me jette
un regard qui aurait désarmé les démons et auquel mon
barbare cœur résiste.
Elle nie enfin avec assurance, mais
sans emportement, m'apostrophe, m'exhorte à rentrer en
moi-même, à ne pas déshonor er une fille innocent e qui ne
30 m'a jamais fait de mal ; et moi, avec une impudence infer
nale, je confirme ma décla ration, et lui soutiens en face
qu'elle m'a donné le rub an.
La pauvre fille se mit à pleurer,
et ne me dit que ces mots : «A h ! Rousseau, je vous croyais
un bon caractère.
Vous me rendez bien malheureuse, mais
35 je ne voudrais pas être à votre place.
, Vo ilà tout.
Elle conti
nua de se défendre avec autant de sim plicité que de fer
meté, mais sans se permet tre jamais contre moi la moi ndre
invective.
Cette mod ération, comp arée à mon ton décidé,
lui fit tort.
Il ne sem blait pas naturel de supposer d'un côté
40 une audace aussi diabolique, et de l'autre une aussi angéli
que douceur.
On ne parut pas se décider absolument, mais
les préjugés étaient pour moi.
Dans le tracas où l'on était,
on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose ; et le
comte de La Roque, en nous renvoyant tous deux, se
45 contenta de dire que la conscience du coupable vengerait
assez l'innocent.
Sa prédiction n'a pas été vaine ; elle ne
cesse pas un seul jour de s'acco mplir.
Com mentaire
Vo us commen terez l'extrait des Conf essions de Rousseau.
1.
Le comte de La Roque : neveu de Mme de Ver cellis.
2.
Charge : l'a ccuse.
SUJ ETS TRAITËS PAR OBJET D'ËTUDE 171.
»
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