Jean Guéhenno, Journal d'un homme de quarante ans
Publié le 12/02/2011
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Ces cinq années à la campagne furent mon premier règne. Un roi en maillot, il est vrai, n'impose guère et ma grand-tante exerçait la régence. Pourtant je regimbais déjà, à ce qu'on m'a dit, par l'effet d'une nature décidément opiniâtre dont j'éprouve encore aujourd'hui l'impuissance à se résigner. En quatre ans, j'appris à boire, à manger, à parler, mille merveilles, et sur ma cinquième année, les jambes écartées dans ma culotte neuve, j'avais pris possession de mes biens. Entre un enfant des champs et un enfant des villes, il y a tout juste la même différence qu'entre un lapin de dehors et un lapin de dedans, une rivière et un canal, le vrai ciel et un ciel de lit. Quand je revins à la ville, j'eus une grande pitié de mes camarades. Ils étaient déjà des petits animaux domestiques, craignaient le gendarme et le sergent de ville, allaient droit comme les rues, avaient trop tôt appris la distance qu'il y a toujours de la coupe aux lèvres, de nous au monde de nos désirs, par celle de leurs menottes aux tartes et aux gâteaux derrière les vitrines des pâtissiers. Le comble était qu'ils semblaient déjà résignés, tristes homoncules philosophes d'une philosophie dont le verre à vitre, qui n'empêche point de voir mais empêche de saisir, eût été le symbole et le principe. Encore si les trésors interdits avaient valu l'interdiction! Mais c'était le monde en boîtes de conserves, et, pour moi, penser au verger de ma tante suffisait à me donner le dégoût des confitures. Les limites imprécises de mon domaine le rendaient illimité. Il était partout sous le ciel. C'étaient des champs après des champs, tous les mêmes et tous miens. Le monde m'appartenait, un vrai monde avec de vrais fruits, de vraies fleurs, des collines, des bois, des eaux vives, un soleil et, le soir, des millions d'étoiles. Jean Guéhenno, Journal d'un homme de quarante ans.
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