Jean Grémillon, metteur en scène de cinéma (mort en 1959), a écrit : « Le cinéma dispose d'une puissance de conviction jamais encore égalée... On ne pourrait inventer un instrument de connaissance plus convaincant ». L'écrivain Georges Duhamel semble d'un avis totalement opposé, lorsqu'il affirme, dans les Scènes de la vie future, que le cinéma « est un passe-temps d'illettrés ». Que pensez-vous de ces deux assertions ?
Publié le 22/02/2012
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Pendant les premières décennies de la vie du cinéma, les résistances qui lui sont opposées sont très fortes. Pour un Gide ou un Claudel qui entrevoient ses valeurs et ses possibilités (Claudel pensait, entre autres, à son utilisation dans une mise en scène du Soulier de Satin), combien d'autres littérateurs ne lui voient que réticences, mépris, injures presque. Il faut attendre le Surréalisme, puis la confirmation avec les années de la place prise par le cinéma (1935 à 1950 ne sont pas trop pour que le public « lettré « commence à suivre !), et alors il va représenter une véritable forme de culture, dont le témoignage culminant est la création de la Cinémathèque par Langlois. C'est à propos de ces jugements, parfois si antithétiques, sur le 7e Art qu'on peut se demander ce que pense un jeune homme (/fille) de 1975. Cinéma: «passe-temps d'illettrés « ou « puissance de conviction jamais égalée « et « instrument de connaissance plus convaincant [que les autres] « ?
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de connaissance plus convaincant [que tout autre] » et « d'une puissance de conviction jamais encore égalée » (J.Grémillon) ? A partir des années 60 grâce à des tâtonnements ou des coups de génie (Cocteau par ex.), le cinémaest parvenu à gagner enfin sa véritable place en tant que moyen d'expression, son « avènement définitif parmi lesBeaux-Arts ».
Le véritable cinéma, celui qui parvient à résister aux impératifs commerciaux, n'a pas pour seulefonction le plaisir des yeux ou l'illustration d'un texte, il est une recherche (« instrument de connaissance ») et unmoyen de culture à fort « grande puissance de conviction ».
Cinéma documentaire (Plongées de Cousteau, par ex.,ou cinéma-vérité de Chris Marker) ou littéraire (adaptation de La Symphonie Pastorale de Delannoy, Le Rouge et lenoir d'Autant-Lara..., ou transpositions: d'un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot, Bresson fait Les Dames duBois de Boulogne; partant de Bernanos il monte « Mouchette »...).
Les difficultés de l'homme s'y expriment avec untendre pathétique (Quand passent les Cigognes de Michael Kalatozov; Les Quatre Cents Coups de Truffaut...), ouune intense angoisse (Le Journal d'un Curé de Campagne, à partir de Bernanos, monté par Bresson; Le 7e Sceau, ouLes Fraises Sauvages, ou La Nuit des Forains, ou Cris et Chuchotements...
de Bergmann); les problèmes politiquesou sociaux y sont abordés avec courage — pourtant les contraintes politiques pèsent beaucoup plus lourd sur lecinéaste que sur l'écrivain — (La Strada de Fellini, Z de Costa Gavras; Nous sommes tous des assassins, SectionsSpéciales...
de Cayatte).
C'est que les possibilités du film face à celles du livre par ex.
sont celles de la géométriedans l'espace par rapport à la géométrie plane.
Le film a plusieurs niveaux; il nous révèle par ex.
la réalité à l'étatbrut (affiches, inscriptions, réclames...) ; une prise de conscience, grâce au montage, de ce que cache cetteréalité; une méditation, souvent, par l'intermédiaire d'un ou des personnages, sur la notion même de réalité.
Lelangage du cinéma est donc tout à fait original et étendu ; c'est ainsi que « sa puissance de conviction » se trouvedécuplée.
Les images ont leur sens propre, la succession des plans le sien.
L'émotion esthétique suscitée peut êtreplus profonde que toute autre à cause de la force de ces images.
Elles couvrent tout le champ du monde réelqu'elles mettent à la portée de la main et tout le champ du monde imaginaire « puisqu'il participe aussi bien de lavision du rêve que de la perception de veille » (E.
Morin), cumulant « la qualité magique et la qualité objective »(idem).
L'image est plus encore symbole que signe ; « elle représente donc restitue une présence ».
Surimpression,fondu enchaîné, retours en arrière, gros plan, succession des plans, toutes les techniques de la caméra et dumontage « mettent en action [...] des processus [...] de rationalisation qui vont contribuer à la constitution d'unsystème intellectuel (idem).
De simple spectacle, le cinéma est devenu narratif comme le roman, réalisant une sortede synthèse des structures du théâtre et du roman.
On comprend qu'il dispose ainsi d'une richesse de significationet de transmission exceptionnelle, surtout que l'utilisation du mouvement, élément essentiel de la vie, permetd'extraire du réel toute sa portée.
Ils sont saisissant, le relief de la silhouette massive du travailleur tournantl'immense horloge, jambes écartées, de dos, dans Métropolis de Fritz Lang, magique, l'image de Chariot transforméen poulet (La Ruée Vers l'or), épique, la fusillade des escaliers dans Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein, tandis quedescend lentement, inexorablement, la voiture de bébé qui tombe dans la foule et la mort.
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Fantaisie et mélancolie de Chariot (Les Temps Modernes, Limelight...) ; inoubliables images (œil sectionné par unrasoir, main d'où sortent des fourmis...) de Buñuel et Dali (Un Chien Andalou); fantastique et déformations enperspectives des décors alliés à un jeu expressionniste, par Orson Welles (sa version du Procès de Kafka) ;aboutissement d'une œuvre poétique à laquelle le cinéma confère à la fois son unité profonde et sa plus grandeefficacité chez Cocteau (Orphée, Le Testament d'Orphée); vision tendre grinçante et amèie des injustices etponcifs, par la Nouvelle Vague (Chabrol, Godard, Truffaut...) : le cinéma prouve son indéniable valeur humaine,incite au rêve et à la réflexion.
Il familiarise un public de plus en plus nombreux avec les chefs-d'œuvre ; mais ildevient plus encore instrument de culture et art, parce qu'il tente d'explorer d'une façon radicalement neuvel'homme et la société moderne.
Ainsi, avec des techniques qui décuplent sa possibilité de « conviction », des moyens mécaniques qui multiplient sonimpact, une originalité qui lui permet de ne plus avoir à se situer par rapport à la littérature, mais de créer en touteindépendance, le cinéma est devenu un terrain exceptionnel pour la Connaissance et sa transmission..
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- Georges Duhamel écrit : « Le cinéma, parfois, m'a diverti; parfois même ému; jamais il ne m'a demandé de me surpasser. Ce n'est pas un art, ce n'est pas de l'art. » De son côté, le metteur en scène Jean Grémillon réplique : « Le cinéma dispose d'une puissance de conviction jamais encore égalée dans l'histoire des arts. » Examinez ces deux opinions et, à votre tour, dites en vous justifiant, si vous considérez le cinéma comme un art.
- Georges Duhamel écrivait à propos du cinéma, dans les « Scènes de la Vie Future », ces lignes sévères : « C’est un divertissement d’ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuries par leurs besognes et leurs soucis. » Partagez-vous cette opinion ?
- Jadis, dans ses scènes de la vie du futur, l'écrivain Georges Duhamel reprochait au cinéma d'être « un amusement d'illettrés ». Le cinéma, pour vous, est-il un art à part entière ou un simple divertissement ?
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