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Jean Giraudoux (1882-1944), Élecfre (1937), extrait de la scène 9, de l'acte Il

Publié le 06/10/2018

Extrait du document

giraudoux

[Cette pièce revisite le mythe antique des Atrides : elle montre comment Electre découvre progressivement la vérité à propos du meurtre de son père Agamemnon par sa mère Clytemnestre, puis comment elle va utiliser son frère Oreste pour assouvir sa vengeance. Nous sommes à l'avant-dernière scène de lapièce, le mendiant, personnage mystérieux qui semble en savoir aussi long que les dieux eux-mêmes, raconte à Electre, à une vieille femme (la femme Narsès) et à d'autres mendiants l'accomplissement du double meurtre final]

 

Le MENDIANT. Alors voici la fin. La femme Narsès et les mendiants délièrent Oreste. Il se précipita à travers la cour. Il ne toucha même pas, il n'embrassa même pas Electre. Il a eu tort. Il ne la touchera jamais plus. Et il atteignit 5 les assassins comme ils parlementaient avec l’émeute, de la

 

niche en marbre. Et comme Egisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien, et que tout désormais irait bien, il entendit crier dans son dos une bête qu’on saignait. Et ce n’était pas une bête qui criait, c’était Clytemnestre. 10 Mais on la saignait. Son fils la saignait. II avait frappé au

 

hasard sur le couple, en fermant les yeux. Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. Et elle n’appelait ni Electre, ni Oreste, mais sa dernière fille Chrysothémis, si bien qu’Oreste avait l’impression que 15 c’était une autre mère, une mère innocente qu’il tuait. Et

 

elle se cramponnait au bras droit d’Egisthe. Elle avait raison, c’était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir

un peu debout. Mais elle empêchait Égisthe de dégainer. Il la secouait pour reprendre son bras, rien à faire. Et elle était 20 trop lourde aussi pour servir de bouclier. Et il y avait
encore cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l’attaquait du bec. Alors il lutta. Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit avec colliers et pendentifs, désespéré de mourir en criminel quand tout de lui était devenu 25 pur et sacré, de combattre pour un crime qui n’était plus le
sien et, dans tant de loyauté et d’innocence, de se trouver l’infâme en face de ce parricide, il lutta de sa main que l’épée découpait peu à peu, mais le lacet de sa cuirasse se prit dans une agrafe de Clytemnestre, et elle s’ouvrit. Alors 30 il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l’on
sentait que s’il voulait maintenant se débarrasser de la reine, ce n’était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre. Et il n’y est pas parvenu. Et il y a pour l’éternité un couple Cly-35 temnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que
je ne dirai pas.
La VOIX D’ÉGISTHE, au-dehors. Électre ...
Le MENDIANT. J’ai raconté trop vite. Il me rattrape.
Commentaire
Vous commenterez cet extrait d’Électre de Jean Giraudoux.
Dans un travail préliminaire, nous nous attacherons à exposer les questions à se poser et les connaissances à mobiliser pour étudier un récit tragique en phase de dénouement. Puis nous proposerons un plan détaillé du commentaire.

1/ Un RÉCIT PARADOXAL ENTRE LE PRÉSENT ET LE PASSÉ

1 Un présent passé

 

- Les premières paroles rapportent des faits qui viennent de se produire : « La femme Narsès et les mendiants délièrent Oreste » (l. 1-2). Le Mendiant récapitule.

 

- Un récit du double meurtre au passé (passé simple et imparfait.), alors que les meurtres sont en train de se faire dans les coulisses. Quand s’achève le récit du mendiant, Égisthe n’est pas tout à fait mort, puisqu’on entend une voix, celle d’Égisthe, surgie « d’au dehors » qui crie « Électre » (l. 37). Le Mendiant s’excuse : « J’ai raconté trop vite. Il me rattrape » (l. 38). Phénomène d’anticipation : la fin est racontée avant qu’elle ne soit réellement advenue. Quelle interprétation donner à ce jeu sur la temporalité ?

 

- Le récit du mendiant est une parole prophétique d’un Mendiant visionnaire (emploi du futur de certitude : « il ne la touchera jamais plus ”, l. 4). Le Mendiant se borne à dire ce qui est « déjà » dit, écrit, inscrit dans l’histoire, dans la légende.

 

- Une réflexion sur les réécritures : le Mendiant est une image de l’auteur qui réécrit une histoire accomplie depuis des siècles. Ici Giraudoux souligne la situation paradoxale de toute réécriture d’une légende antique, le lecteur ou le spectateur connaît d’avance le dénouement : « Voici la fin » déjà connue, comme le montre l’emploi de l’article défini, de cette histoire déjà passée. Il n’est pas dans le pouvoir du dramaturge de la changer (légère ironie de la phrase « il y a pour l’éternité un couple Clytemnestre-Égisthe », l. 34-35).

- Dernier cri tragique : il appelle Êectre, seul être qu’il croit capable de comprendre son évolution et sa nouvelle générosité. Mais c'est précisément Éectre qui l'a condamné à mort. Une volonté de modifier la légende mais impossibilité tragique : « Et il y a pour l'éternité un couple Clytemnestre-Éectre » (l. 34-35).

giraudoux

« un peu debout.

Mais elle empêchait Égisthe de dégainer.

Il la secouait pour reprendre son bras , rien à faire .

Et elle était 20 trop lourde aussi pour servir de bouclier .

Et il y avait enc ore cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l'attaquait du bec.

Alors il lutta.

Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit avec colliers et pende ntifs, déses­ péré de mou rir en criminel quand tout de lui était devenu 25 pur et sacré, de combat tre pour un crime qui n'était plus le sien et, dans tant de loyauté et d'innocence, de se trouver l'infâme en face de ce parricide, il lutta de sa main que l'épée découpait peu à peu, mais le lacet de sa cuiras se se prit dans une agrafe de Cly temne stre, et elle s'ouvrit.

Alors 30 il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l'on se ntait que s'il voulait maintenant se déba rrasser de la reine, ce n'était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clyte mnestre.

Et il n'y est pas parve nu.

Et il y a pour l'éternité un couple Cly- 35 temnest re-Égist he.

Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas.

LA VOIX D'ÉGIS THE, au-dehors.

Électre ...

LE ME NDIANT.

J'ai raconté trop vite.

Il me rattrape.

Commen taire Vo us commen terez cet extrait d'�lectre de Jean Giraudoux.

Dans un travail prélimi naire, nous nous attacherons à exposer les qu esti ons à se poser et les conna issances à mobi liser pour étudier un récit tragique en pha se de dénouement.

Puis nous proposerons un plan détai llé du comme ntaire.

Notions et questions clés pour l'analyse Les caractéris tiques du discour s na rratif au théâ tre Une tirade ou un monologue peuvent prendr e une tournur e nar ra­ tive.

Quand un personnage vient raconter sur scène, à un autr e. »

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