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Jean Giono, Voyage en Italie

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

giono

L'auteur voyage en Italie avec sa femme et un couple d'amis. Nous avons assisté sur la place Saint-Marc à un concert donné par la Musique municipale de Venise. C'était la cacophonie la plus décidée du monde. Les musiciens sont arrivés les uns après les autres, en boutonnant leurs tuniques. Quand un petit monsieur qui était le chef a jugé qu'il avait tous ses éléments, il a, sans autre forme de procès, levé sa baguette et les instruments se sont mis à pousser des cris. Il était impossible de mettre un nom sur ce bruit. La place était noire de monde et j'ai pensé qu'il allait y avoir une révolution. Pas du tout : les gens ont continué leur promenade comme si tout était pour le mieux. A la terrasse du Florian1 où nous étions assis, en compagnie d'une très nombreuse assemblée, j'étais près d'un pilier qui dissimulait un dilettante2. Il était dans le ravissement. Je n'ai jamais vu visage plus heureux. Les manifestations de son bonheur atteignaient même une sorte d'impudeur obscène. J'en suis venu à me demander si je n'étais pas fou moi-même, et il a fallu pour me rassurer que j'aille regarder sur le programme le nom du morceau qu'on jouait. C'en était un fort célèbre, que je connais naturellement et que même je fredonne. Les beuglements faux des trombones et l'horrible piaillerie sans mesure de tout le reste n'étaient donc pas le fait d'un chef-d'œuvre moderne qui aurait eu ses fervents. Il m'a fallu assez de temps avant de comprendre que toute l'assistance était en représentation et qu'on jouait la volupté.

Je suis persuadé que mon dilettante aime Mozart. Dans les entractes, il balançait sa chaise de façon à placer son visage dans l'ombre. C'était pour se reposer de feindre. Quand il se remettait en lumière, il ne dominait pas tout de suite une bouche très sensible. Ici, ce n'est pas « pour le Tsar et pour la Patrie «1 qu'il y a des héros : c'est pour la galerie. Jean Giono, Voyage en Italie, 1953. Vous ferez de ce texte un commentaire composé. En vous appuyant sur une analyse précise des moyens de la narration, vous pourrez notamment étudier le regard amusé que porte le voyageur sur le spectacle qui s'offre à lui.

1. Florian : célèbre café vénitien. 2. Dilettante : au sens qu'il avait au xviii® siècle, amateur passionné de musique italienne. 3. Pour le Tsar et pour la Patrie : autrefois, formule traditionnelle utilisée en Russie lorsqu'on portait un toast.  

Le Voyage en Italie de Giono est un compte rendu, le bloc-notes d'un voyageur attentif qui porte un regard amusé sur certaines manifestations, telles ce concert raté donné par la très officielle fanfare de Venise sur la place Saint-Marc. Le ton de cet extrait n'est ni l'envolée lyrique de certains romans, ni la notation sèche, quasi stendhalienne de récits plus courts. Giono cherche à nous faire rire par ce concert ridicule et par un portrait, à la manière de La Bruyère, d'un dilettante qui nous invite, au-delà du comique, à réfléchir au snobisme et à la comédie sociale.   

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« L'alliance des substantifs et des adjectifs : « la cacophonie la plus décidée du monde ; les beuglements faux ;l'horrible piaillerie ». Conséquence : Giono ne reconnaît ni le morceau (« Il était impossible de mettre un nom sur ce bruit »), ni l'époquede la composition (« (...) n'étaient donc pas le fait d'un chef-d'œuvre moderne qui aurait eu ses fervents »).Nécessité du programme pour identifier le morceau joué (« il a fallu pour me rassurer que j'aille regarder sur leprogramme le nom du morceau qu'on jouait »).

Morceau rendu méconnaissable (« C'en était un fort célèbre que jeconnais naturellement et que même je fredonne »). Transition : « C'est Mozart qu'on assassine », tel est le résultat de ce concert (paraphrase d'un titre de roman de G.Cesbron), mais seul Giono en est conscient.

Ce décalage, inquiétant ou amusant, est mis en évidence par uncomique de caractère, « le dilettante », représentatif de l'hypocrisie et du snobisme. II.

Comique de caractère. Un portrait à la manière de La Bruyère, sans nom propre, mais avec son titre « le dilettante » (dans une acceptionaujourd'hui vieillie du terme), un portrait en action et une morale à la fin du texte. 1.

La satisfaction béate. Les hyperboles : « le ravissement » ; « je n'ai jamais vu visage plus heureux ». Les alliances de termes : « une sorte d'impudeur obscène ». Les répétitions de termes proches : « heureux ; bonheur ; volupté ; ravissement ». 2.

Le manège du dilettante. Un acteur et un décor : le rôle du pilier qui l'abrite ou au contraire le montre comme s'il passait des coulisses à lascène (« un pilier qui dissimulait un dilettante.

Dans les entractes, il balançait sa chaise de façon à placer sonvisage dans l'ombre.

Quand il se remettait en lumière...

») Les jeux de visage : « visage plus heureux ; les manifestations de son bonheur ; il ne donnait pas tout de suite unebouche très sensible ». Le vocabulaire de théâtre (souligné par les italiques) : « l'assistance était en représentation et on jouait la volupté »; la galerie = le public. Transition. Comme dans les portraits de La Bruyère, il existe une morale et une réflexion au-delà du comique, de la création d'untype littéraire (ici le faux amateur de musique).

III.

Le sens de l'anecdote. Le comique a toujours une fonction sociale.

Selon Bergson, on rit de celui qui s'écarte des normes sociales.

JeanGiono est seul à percevoir le ridicule du concert, il rompt avec l'hypocrisie du dilettante et de la foule.

Il ressentpresque comme une absurdité sa solitude. 1.

Les interrogations. Giono s'interroge sur : — le morceau de musique : de qui, quelle époque, quel morceau ; — la foule : « j'ai pensé qu'il allait y avoir une révolution » ; — lui-même : qui est fou (« j'en suis venu à me demander si je n'étais pas fou moi-même et il a fallu pour merassurer...

»). 2.

La clef d'interprétation pour le personnage du dilettante. La comédie sociale, l'hypocrisie, le snobisme : faire semblant (« feindre ») d'admirer, d'être un esthète (« Ici, cen'est pas « pour le Tsar et la patrie » qu'il y a des héros : c'est pour la galerie »). Absurdité : pourquoi (pour qui) cette ostentation (« Je suis persuadé que mon dilettante aime Mozart »).. »

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