JEAN GIONO, Le Hussard sur le toit
Publié le 11/05/2010
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Angelo, personnage du roman de Giono, est témoin d'une épidémie de choléra qui ravage la Provence pendant un été torride. Parvenu à Manosque, il est contraint de passer plusieurs jours caché sur les toits, d'où il pénètre dans un grenier. Le grenier était encore plus beau que ce qu'il paraissait être. Les fonds qu'on ne pouvait pas voir de la lucarne, éclairés par quelques tuiles de verre disséminées dans la toiture, et sur lesquelles à cette heure frappait le soleil couchant étaient baignés d'un sirop de lumière presque opaque. Les objets n'en émergeaient que par des lambeaux de forme qui n'avaient plus aucun rapport avec leur signification réelle. Telle commode galbée n'était plus qu'un ventre recouvert d'un gilet de soie prune ; un petit saxe sans tête, qui devait être à l'origine un ange musicien était devenu par l'agrandissement des ombres portées, par le vif éclat que la lumière donnait aux brisures de sa décollation, une sorte d'oiseau des îles : le kakatoès d'une créole ou d'un pirate. Les robes et les redingotes étaient vraiment réunies en assemblées. Les souliers apparaissaient sous des franges de clartés comme dépassant du bas d'un rideau, et les personnages d'ombres dont ils trahissaient ainsi la présence ne se tenaient pas sur un plancher mais comme sur les perchoirs en escalier d'une vaste cage de canaris. Les rayons du soleil dardés en étincelantes constellations rectilignes de poussière faisaient vivre ces êtres étranges dans des mondes triangulaires, et la descente sensible du couchant qui déplaçait lentement les fonds de lumière les animait de mouvements indéfiniment étirés comme dans l'eau tiède d'un aquarium. JEAN GIONO, Le Hussard sur le toit.
Ce n'est pas ici le GIONO de Colline, Regain, Que ma joie demeure..., célébrant la gloire de la nature, sa croyance en l'homme et sa foi dans les "vraies richesses". • Profondément marqué par la guerre de 1940-1945, très attristé par des épreuves qu'il juge injustes... Comment conduire sa vie ? • ... GIONO jusqu'à sa mort (1970) va surtout faire un retour sur soi, exorciser son amertume et ses déceptions, particulièrement dans le cycle du Hussard : Angélo, Mort d'un personnage, Le Hussard sur le toit, et Le Bonheur fou. • Cette page extraite du roman de ce cycle le plus connu, le plus intense : Le Hussard sur le toit, montre le héros Angélo d'abord terrifié par l'épidémie de choléra ravageant la Provence que ce hussard italien parcourait. • Or dès le début de l'oeuvre une atmosphère onirique", semi fantastique, se dégage du paysage traversé qui semble inhabité, où les distances, comme dilatées, façonnent une Provence de rêve, de surréalité, non de réalité.
«
sans tête », ce qui explique son rejet.• Dans ce grenier, on peut voir aussi des habits.
Ils sont différenciés, du moins en gros : ce sont « les robes et lesredingotes ».• Enfin, autre indication donnée : « les souliers ».• Il s'agit bien de choses qui ne servent plus et que l'on entasse sous les combles.• Cependant, pas la moindre impression d'entassement ou de bric-à-brac, comme dans la plupart des pièces de cegenre ou comme dans la description de MAUPASSANT.• À peine de poussière, pas de notion d'abandon.• Ce qui frappe plutôt, c'est la présence d'un double regard contemplant les objets.• Celui de l'écrivain survole et met en situation exceptionnelle son personnage.• Le monde des objets n'a pas son apparence habituelle.• Il devrait être matériel, avoir une certaine lourdeur.
C'est l'inverse.• Le second regard, celui du hussard, semble guidé par celui de l'écrivain ; il lui faut prendre conscience que « legrenier était (vérité d'affirmation) encore plus beau que ce qu'il paraissait être » (supposition).
Les deux nuancestournent autour du même verbe d'état : « être ».• C'est là que réside l'essentiel du passage.
Angélo doit lutter contre la peur : il a failli être lynché par les habitantsde Manosque surexcités par leur terreur de la mort, il s'est trouvé confronté à une crise de folie collective qui lui asemblé pire que le choléra.• Regarder les objets, reposer sa vue dans ce vide humain et ceComment conduire sa vie ? 195peuple inanimé des choses, voilà qui est pour le hussard un moment de paix, de douceur.• Angélo ne sait pas combien de temps il sera obligé de rester sur cette île à la Robinson que représente le toit.
Il luifaut donc non seulement se rassurer mais se résigner.• La vue de toutes ces choses qui ont définitivement coupé contact avec l'humanité, que les hommes ont exilées,oubliées mais qui s'en accommodent, est pour le héros aide, leçon, exemple.
II.
La lumière
• ...
Surtout qu'elles sont transfigurées.• Si le regard a cueilli d'abord un monde matériel, très vite c'est dans le merveilleux qu'il plonge.• La vue devient vision.• Le monde du grenier devient une fresque de rêve.• Fresque, car elle a des « fonds » sur lesquels ou desquels vont émerger » les objets.• Tout est en effet transformé par « le soleil couchant ».• Le grenier était simplement « éclairé » à l'origine par les › estun corps intermédiaire entre le liquide et le solide, d'une certaine épaisseur aussi, ce qui explique l'adjectif « opaque».• On ne voit pas distinctement à travers, ainsi les objets ne sont plus dans leur réalité habituelle.
Ils ne sont pasinformes, ce qui les néantiserait ou les ferait monstres ; ils deviennent des « lambeaux de forme » et comme laluminosité épaisse les englue, colle à eux (« sirop »), ils ne sont perçus que peu à peu, d'où le verbe « émergent ».• Alors le regard d'Angélo va d'une découverte étonnante : « un ventre recouvert d'un gilet de soie prune » quisemble sortir tout droit d'Alice au pays des merveilles, jusqu'à une vision paradisiaque.
L'objet le plus abîmé vadevenir le plus merveilleux.
• Nous ne savons plus alors très bien si c'est le regard d'Angélo ou celui de GIONO qui, faisant intervenir l'imaginaire,croit distinguer (ou le fait croire) « une sorte d'oiseau des îles ».• Ce qui nous place dans l'expectative, c'est ce mélange curieux entre la justification du rêve, l'explicationtechnique des erreurs du regard (« par l'agrandissement des ombres portées » ; « les brisures de la décollation »),et les correspondances visuelles, leur incertitude aussi : « une sorte de ›>, « le kakatoès d'une créole ou d'un pirate».• Cependant nous voici tout à fait dans le monde onirique, avec à la fois une certaine imprécision et des détailsaffirmés : il ne s'agit plus d' « une sorte d'oiseau des îles », c'est un « kakatoès », accompagné d'une imagerie sansdoute enfantine, précisée dans les contes de « pirates » ou d'exotisme facile.• Ailé aussi est le rêve, peuplé d'oiseaux, comme dans bien des représentations d'un monde consolant, âge d'or,paradis musulman, persan ou chrétien.
Ainsi ne s'agit-il plus de « plancher » mais des « perchoirs en escalier d'unevaste cage de canaris ».• Les choses se sont mises à vivre et deviennent « êtres » de théâtre (Cf.
ANDERSEN) ; « robes et redingotes »organisent des réunions véritables, des « assemblées ».• Un jeu d' « ombres » et de « franges de clartés » (ce sont donc les bords de la lumière, ce qui la fausse) permet àl'imagination toutes sortes de créations.• Car, comme au théâtre ou au cinéma, « les rayons du soleil » deviennent les faisceaux de projecteurs balayant etrévélant à leur guise (« ils trahissaient ainsi la présence ») tout ce qu'ils touchent..
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