Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, ESQUISSE D'UN TABLEAU DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain
Il arrivera donc, ce moment où le soleil n'éclairera plus, sur la terre, que des hommes libres, et ne reconnaissant d'autre maître que leur raison ; où les tyrans et les esclaves, les prêtres et leurs stupides ou hypocrites 5 instruments n'existeront plus que dans l'histoire et sur les théâtres ; où l'on ne s'en occupera plus que pour plaindre leurs victimes et leurs dupes, pour s'entretenir, par l'horreur de leurs excès, dans une utile vigilance, pour savoir reconnaître et étouffer, sous le poids de la raison, les premiers germes de la superstition et de la tyrannie, si jamais ils osaient reparaître. En parcourant l'histoire des sociétés, nous aurons eu l'occasion de faire voir que souvent il existe un grand intervalle entre les droits que la loi reconnaît dans les citoyens, et les droits dont ils ont une jouissance réelle ; entre l'égalité qui est établie par les institutions politiques, et celle qui existe entre les individus : nous aurons fait remarquer que cette différence a été une des principales causes de la destruction de la liberté dans les républiques anciennes, des orages qui les ont troublées, de la faiblesse qui les a livrées à des tyrans étrangers. Ces différentes ont trois causes principales : l'inégalité de richesse, l'inégalité d'état entre celui dont les moyens de subsistance, assurés par lui-même, se transmettent à sa famille, et celui pour qui ces moyens sont dépendants de la durée de sa vie, ou plutôt de la partie de sa vie où il est capable de travail ; enfin, l'inégalité d 'instruction. Il faudra donc montrer que ces trois espèces d'inégalité réelle doivent diminuer continuellement, sans pourtant s'anéantir, car elles ont des causes naturelles et nécessaires, qu'il serait absurde et dangereux de vouloir détruire ; et l'on ne pourrait même tenter d'en faire disparaître entièrement les effets, sans ouvrir des sources d'inégalité plus fécondes, sans porter aux droits des hommes des atteintes plus directes et plus funestes.
I. Questions
1. Dégagez la structure de la période qui compose le premier paragraphe. 2. Quelle(s) définition(s) l'auteur avance-t-il de l'égalité ? 3. Quel rapport Condorcet établit-il entre l'égalité et la liberté ? Rédigez votre réponse en reconstituant la progression logique des arguments avancés par l'auteur.
II. Travaux d'écriture
1. Qu'est-ce qui, d'après Condorcet, s'oppose au progrès de l'esprit humain ? D'après ce texte, comment la raison parvient-elle à se développer ? Appréciez la pertinence de son point de vue à notre époque. Rédigez une réponse argumentée en une page minimum. 2. Résumez ce texte en 70 mots, + ou — 10 %
Après avoir pris une part active à la Révolution, Condorcet est poursuivi par un mandat d'arrestation du 8 juillet 1793. En effet, dès 1792, il écrit dans la Chronique de Paris : « Deux classes d'hommes menacent notre liberté. L'une est celle des gens qui ont besoin de gouverner, d'intriguer et de s'enrichir ; l'autre, celle des gens qui ont besoin de se faire acheter. Les uns se chargent d'ameuter les riches, les autres d'agiter le peuple... « Cette attaque est confirmée dans un pamphlet anonyme que l'on attribue à Condorcet. On peut y lire : «La révolution française est une religion et Robespierre y fait une secte ; c'est un prêtre qui a des dévotes ; mais il est évident que toute sa puissance est en quenouille. « L'Incorruptible n'apprécie guère ces attaques. En juin 1793, Condorcet dénonce la faillite de la révolution. Contraint de se cacher, il travaille à un Tableau historique des progrès de l'esprit humain dont il ne terminera que l'esquisse. Le passage qui suit est extrait de la dixième et dernière époque envisagée par l'auteur.
«
La deuxième relative introduit un nouvel élément d'attente : « où les tyrans et les esclaves, les prêtres et leursstupides ou hypocrites instruments n'existeront plus que dans l'histoire et sur les théâtres ».
Elle constitue unedeuxième expansion de « moment» et, comme la précédente, elle s'appuie sur la locution restrictive « ne...
que » etse développe en rythme binaire Son contenu, très polémique, renvoie à la situation vécue par l'auteur et désigne lesconditions déplorables imposées aux hommes par les « tyrans » et, plus spécialement « les prêtres », qui contribuentà aveugler les hommes en les détournant de la vérité, soit par sottise soit par machiavélisme.La troisième relative constitue la troisième expansion de « moment » : « où l'on ne s'en occupera plus que pourplaindre leurs victimes et leurs dupes, pour s'entretenir, par l'horreur de leurs excès, dans une utile vigilance, poursavoir reconnaître et étouffer, sous le poids de la raison, les premiers germes de la superstition et de la tyrannie ».Cette fois-ci, la période tout entière trouve son rythme ternaire, de même que le troisième élément du faisceau.
Eneffet, l'anaphore en « pour » soutient la construction des trois infinitifs finaux, « plaindre », « s'entretenir », « savoirreconnaître et étouffer ».
lci, Condorcet revient sur la génération à venir, qui, ayant éliminé tous les fauteurs detroubles, les évoquera au passé grâce à l'usage qu'elle aura su faire de sa raison.
Ce terme revient, de manièresignificative, pour scander le début et la fin de la phrase : il désigne, en effet, le moteur du progrès humain.
Lapériode tend à se clore sur elle-même, comme le confirme l'apparition de la subordonnée de condition « si jamais ilsosaient reparaître », qui constitue l'élément de fermeture du faisceau.La période constitue une phrase en faisceau fermé à rythme ternaire : elle produit un sens complet.
Question 2: Quelle(s) définition(s) l'auteur avance-t-il de l'égalité?
• Dans le deuxième paragraphe de ce texte, Condorcet donne deux définitions de l'égalité.
Il distingue l'égalité réellequi désigne la manière dont l'égalité est vraiment vécue par les citoyens (« celle qui existe entre les individus »), del'égalité en droit, qui se réduit à une pure et simple formule inscrite dans la loi (« l'égalité qui est établie par lesinstitutions »).En effet, on peut très bien, d'après la loi, disposer de toute liberté de mouvement, si l'on n'a pas d'argent, on nepeut pas partir en vacances ou se déplacer à sa guise.
Avec logique, Condorcet attribue cet écart entre l'égalitéréelle et l'égalité formelle à trois causes lui permettant d'envisager les trois façons dont l'inégalité s'établit entre leshommes : l'inégalité des fortunes (l.
« l'inégalité de richesse »), l'inégalité de naissance, qui joue dans latransmission des biens par héritage (2.
« l'inégalité d'état [...] travail ») et l'inégalité d'instruction (3.
«enfin,l'inégalité d'instruction »).
On voit que l'auteur envisage surtout l'inégalité des conditions sociales d'un point de vueéconomique.
Ainsi, les trois expressions sociales de l'inégalité sont liées : sans instruction (3), on peut difficilementavoir un travail (2), donc épargner si on n'hérite pas de biens familiaux (2) et on ne pourra pas accumuler derichesses (1).Dans le dernier paragraphe, Condorcet prévient tout argument visant à réduire l'inégalité naturelle : l'inégaliténaturelle, ou génétique, est reconnue par tous les penseurs comme un fait « incontournable », donc on ne peut lasupprimer.
L'auteur distingue la loi naturelle de l'inégalité naturelle.
Quant à l'inégalité réelle, elle est engendrée parla société et vécue par les citoyens ; pour Condorcet, elle ne peut pas disparaître non plus ; une telle éradicationserait contre-nature.
Il insiste donc fortement sur la nécessité des inégalités quand elles respectent la nature : « ilserait absurde et dangereux de vouloir détruire ».
En effet, il anticipe les systèmes qui tenteront d'établir uneégalité réelle entre les individus, autrement dit le communisme et les déviations totalitaires, qui conduisent à desaberrations totales.Ici, en homme lucide, en savant responsable, Condorcet distingue la loi des hommes et la loi naturelle.
Relevant dela convention, la première s'avère variable par définition parce que soumise aux intérêts de chacun.
La loi naturellerenvoie à l'universel et, comme telle, elle doit constituer le soubassement inébranlable de la loi humaine car, ainsi,elle lui octroie sa véritable légitimité.
Question 3: Quel rapport Condorcet établit-il entre l'égalité et la liberté? Rédigez votre réponse enreconstituant la progression logique des arguments avancés par l'auteur.
Condorcet établit un rapport serré entre la liberté et l'égalité, deux notions difficilement conciliables dans unesociété, même démocratique.
A la base de son argumentation se trouve la loi naturelle, qui devrait permettre dedéterminer quel type de rapport doivent entretenir la liberté et l'égalité.
En effet, comme le souligne le dernierparagraphe, la loi naturelle fournit non un contenu définitif mais un mode de fonctionnement de la loi humaine : c'estparce que l'inégalité a un fondement naturel que la loi positive (ou humaine) doit la respecter.Cela ne signifie pas pour autant que la société doive être inégalitaire en soi : puisque Condorcet montre ladifférence entre l'inégalité réelle et l'égalité de droit (deuxième paragraphe), c'est donc bien que les institutionspolitiques reconnaissent aux citoyens les mêmes droits.
Elle doit, en revanche, respecter le jeu des différencesentre les individus.
L'auteur distingue donc la personne selon la loi et la personne selon la nature.
En fait, il voudraitque la loi permette au citoyen de développer tous ses dons naturels et non qu'elle les entrave.
Il faut donc diminuerle plus possible l'inégalité qui vient de la différence de fortune entre les citoyens (§ 3).
Comme nous venons de levoir (corrigé de la question 2), Condorcet envisage les différences entre les concitoyens sous leur aspectéconomique.L'auteur ne dissocie pas l'établissement de l'égalité de l'instauration de la liberté : toutes deux s'avèrent étroitementliées.
En effet, le deuxième paragraphe montre que l'inégalité a pour conséquence la suppression de la liberté : «cette différence a été une des principales causes de la destruction de la liberté dans les républiques anciennes » (l..
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