« Je crois que la principale erreur de notre temps, c’est de chercher en toute chose la vitesse. Non seulement la vitesse use les machines et consomme du charbon bien plus vite qu’elle ne multiplie les produits, ce qui fait qu’elle nous appauvrit, mais aussi elle abrutit les gens qui seront bientôt conduits, par ce train des affaires, à la stupidité diligente des abeilles. » Partagez-vous cette opinion d’Alain ? La vitesse n’a-t-elle apporté que des inconvénients à notre civilisation
Publié le 02/11/2016
Extrait du document
INTRODUCTION
Il est devenu banal d’imaginer l’étonnement qui saisirait un homme des siècles passés devant le spectacle de notre monde actuel. L’un des aspects les plus frappants de cette métamorphose qui semble avoir touché notre vie depuis la fin du xixe siècle est sans doute l’accélération du rythme même de l’existence. Qu’il s’agisse des déplacements sur terre, sur mer, dans les airs, ou de la cadence dans la production des biens matériels, toute l'activité humaine se précipite chaque jour davantage. Une telle évolution est-elle heureuse? Le philosophe Alain, dont l’œuvre entière peut apparaître comme une analyse critique de la civilisation contemporaine, le contestait avec vigueur lorsqu’il écrivait : «Je crois que la principale erreur de notre temps c’est de chercher en toute chose la vitesse..., mais aussi elle appauvrit les gens qui seront bientôt conduits par ce train des affaires à la stupidité diligente des abeilles. »
Nous chercherons d’abord les arguments qui peuvent justifier cette condamnation, puis nous essaierons de préciser les conditions selon lesquelles les avantages apportés par la vitesse pourraient être maintenus pour les hommes.
I. LA THÈSE D’ALAIN
La vitesse gaspille l'énergie Le gain matériel apporté par la
vitesse n’est souvent qu’illusoire. L’automobile permet d’aller loin sans doute, mais à quel prix ! Jadis une voiture à cheval, dont la fabrication était beaucoup moins coûteuse, pouvait être utilisée par plusieurs générations successives. Les véhicules modernes ne durent jamais plus de quatre ou cinq ans en moyenne et nous ne pouvons
«
éprouver qu'un sentiment de gaspillage devant ces «ci metières
d'autos », am oncellements de ferraille inutilisable qui e n combrent
désormais les abords des vill es.
Geor ges Duha mel déno nçait le
caractère
scanda l eux d'un te l phénomène dans Les Scènes de la
Vie future
lorsqu 'il nous rendait compte de son voyage aux
États- Un is.
La vitesse abrutit
les hommes
Mais ce prog rès de la vitesse n'est p as
seu lement néfaste aux objets matériels,
i l
porte atte inte aussi directement aux
personnes.
Le rythme de la circulation dans les villes ou sur les
grandes routes est devenu hallucinant.
La cadence imposée aux
actes des trava illeurs est elle-mê me très souvent inhumaine.
Verhaeren a décrit cet aspect nouveau des foules dans Les
Campagn es Hallucin ées :
« La rue -et ses remou s comme des câbles
Noués
autour des monuments -
Fuit et revient en l ongs enlaceme nts
Et ses· fo ules inextricables
Les mains folles, les pas fiévreux,
La haine aux yeux
Happent des dents le temps qui les devance .
»
Ne voit-on pas se déve lopper, comme un crolla ire de cette
nouvelle conditio n imposée au x hom mes, de véri tab les malad ies
de la vitesse prenant la forme de névroses obsessionnelles ?
Le cinéma et de nombreux romans se font le refle t de cette
fascination exercée par la vitesse
sur nos contemporains.
N'est-ce
p as aussi l'une des causes principales des accidents de la rou te,
nouveau fléau
de notre temps ?
La vitesse ne permet
plus aux hommes de raHarder
aux beautés du monde
Toute notre vie se trouve
ainsi de plus en plus orien
té e vers la productivité , Je
« rendement >Çï'éfficacité
des mouvements.
C'est ce qu'Alain nommait «la stupidité dili
gente
des abeilles».
Il y a de moins en moins de place dans n01re
existence pour
l a poésie, la détente dans le calme de la nature.
On se prend souvent à regretter l'é poque des lents voyages
qu'évoquait Vigny dans La Maison du Berger :
«Adieu, voyages lents, bruit s lointains qu 'n écoute,
L e rir e du passant,
les retard s de l'essieu,.
»
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