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Jacques PRÉVERT, Paroles. FAMILIALE

Publié le 17/09/2011

Extrait du document

 

La mère fait du tricot

Le fils fait la guerre

Elle trouve ça tout naturel la mère

Et le père qu'est-ce qu'il fait le père?

Il fait des affaires

Sa femme fait du tricot

Son fils la guerre

Lui des affaires

Il trouve ça tout naturel le père

Et le fils et le fils

Qu'est-ce qu'il trouve le fils?

Il ne trouve rien absolument rien le fils

Le fils sa mère fait du tricot son père des affaires lui la guerre

Quand il aura fini la guerre

Il fera des affaires avec son père

La guerre continue la mère continue elle tricote

Le père continue il fait des affaires

Le fils est tué il ne continue plus

Le père et la mère vont au cimetière

Ils trouvent ça naturel le père et la mère

La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires

Les affaires la guerre le tricot la guerre

Les affaires les affaires et les affaires

La vie avec le cimetière.

Jacques PRÉVERT, Paroles.

Dans un commentaire composé, vous montrerez par exemple comment le poète associe à un sens profond de la contestation sociale, l'art d'utiliser le langage parlé à des fins satiriques.

« célébrait, dans La Nouvelle Héloïse, la douceur des affections domestiques et les joies de la famille.

Les auteurs modernes, quant à eux, font plutôt entendre un cri de révolte, et l'on se souvient de l'anathème lancé par Gide : « Familles, je vous hais! foyers clos; portes refermées; possessions jalouses du bonheur.

» Dans le recueil de poèmes intitulé Paroles (1946), Jacques Prévert jette un autre regard sur la famille, et plus généralement sur la société : les hommes lui paraissent figés dans des rôles, enlisés dans la routine.

Et sous la plume satirique de Prévert, le caractère mécanique de notre existence n'est que le signe de l'absurdité, et même du tragique, de la vie.

Le titre même du poème et le tout premier vers sont là pour faire illusion.

« La mère fait du tricot • : image du bonheur domestique, de l'intimité familiale...

Cette occupation paisible évoque un touchant portrait de famille, que vient brutalement démentir le vers suivant : « Le fils fait la guerre.

• Il ne manque plus, dès lors, que le troisième c personnage » de la famille : le père, pour que l'image première, idyllique, s'écroule tout à fait.

C'est bien un portrait de famille que Prévert va brosser, mais c'est un portrait amer, ironique, désespéré.

La substantivation de l'adjectif (« Familiale •) tend à faire de ce portrait un c genre •, et de fait, c'est une scène type, un archétype de famille que veut nous présenter Prévert.

Les membres de cette famille sont anonymes; ils n'ont pas de nom, encore moins de prénom.

Leur existence se réduit à une fonction : ils sont la mère, le fils, le père .

L'emploi répété du verbe « faire • confirme cette impression : dans cette famille on n' « est • pas ainsi ou autre­ ment; on " fait •.

Ce que nous avons sous les yeux, ce sont des rôles sociaux, rien de plus.

Et le plus tragique est que les personnages de cette comédie humaine semblent « trouver ça tout naturel •.

Cette expression empruntée au style parlé, familier, pourrait simplement signifier la résignation de ces personnages (de la mère) à la fatalité, au destin; en fait- et la chose apparaît plus nettement avec la répétition de l'expression, au vers 9 -, elle souligne plus fortement le conformisme foncier des êtres.

Ainsi la réponse à la question du vers 4 (c Et le père qu'est-ce qu'il fait le père ? ,.

) n'entraîne pas un réel effet de surprise ; nous devinons la réponse : c Il fait des affaires ».. »

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