Jacques Prévert, « chasse à l’enfant », Paroles, 1946. Commentaire littéraire
Publié le 24/10/2011
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Jacques Prévert est un poète populaire du XXème siècle qui sera un moment le compagnon de route des écrivains surréalistes. Sa poésie néanmoins s’inscrit davantage dans la lignée traditionnelle des troubadours ou chansonniers populaires. En 1946, après avoir exercé bien des métiers, il se révèle en tant que poète avec la publication de deux recueils, Paroles et Histoires. Sa poésie témoigne alors de son attachement pour les humbles, les petites gens qui constituent sa source principale d’inspiration. Ces deux recueils révèlent aussi un poète engagé qui s’indigne de la violence, des préjugés sociaux et de la bêtise d’une certaine catégorie de gens, ceux qui se caractérisent eux-mêmes comme des braves gens. Dans « Chasse à l’enfant «, poème narratif en vers libres, Prévert raconte un fait divers qui s’est déroulé à Belle-île-en-mer en Bretagne.
«
en ouverture et clôture du poème renforce l’expression de l’enfermement.
La structure même du poème
souligne donc cette idée de piège.
Seul l’espace céleste, réservé aux oiseaux, constitue un espace de liberté en
ce lieu : «Au dessus de l’île il y a des oiseaux ».
L’enfant n’aura donc d’autre issue que la mer.
Il se jette à l’eau,
comme le suggère cette question posée par le poète au vers 23 : « Qu’est-ce qui nage dans la nuit ».
Ses
poursuivants restent quant à eux sur le rivage.
Quoique le poète laisse entendre qu’il pourrait rejoindre le
continent à la nage par une question redoublée et directement adressée à l’enfant, « rejoindras-tu le continent
rejoindras-tu le continent », ses chances de survie sont quasi nulles.
L’enfant a préféré faire le sacrifice de sa
vie plutôt que de subir à nouveau la violence de son univers carcéral.
L’évasion prend donc un caractère nettement tragique puisqu’elle s’achève par la mort probable de l’enfant
pourchassé.
Le poète exprime clairement sa compassion pour l’enfant dans ce poème et ce sentiment s’oppose à celui
que lui inspire la « meute » des poursuivants.
La compassion du poète s’exprime directement à travers quelques vers de forme interrogative qui font
entendre sa voix angoissée par rapport à la scène qui se joue et dont il semble être un témoin impuissant.
Ces
questions parcourent tout le poème, comme si le poète voulait aussi accompagner de sa voix la course
éperdue de l’enfant (vers 5, 23, 24, 31).
La voix qui se fait entendre est par ailleurs presque enfantine tant la
syntaxe est simple, voire incorrecte, comme dans ce vers qui inaugure le récit après la présentation du cadre de
l’action « Qu’est-ce que c’est que ces hurlements » (5).
La dernière question, redoublée, s’adresse directement
à l’enfant, comme l’indique la deuxième personne de l’interlocution, et amorce ainsi une sorte de faux dialogue
entre l’enfant et le poète.
Ainsi Prévert exprime-t-il le sentiment de proximité qu’il éprouve.
Ce dialogue
s’avère cependant impossible car, à la différence des précédentes, cette ultime question demeure sans
réponse.
Le silence transmet finalement au lecteur un sentiment d’incertitude quant au destin de l’enfant,
incertitude propre à générer le malaise : « Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent » (31).
Le récit
se clôt donc sur l’image de l’enfant nageant désespérément pour échapper au cauchemar de l’île et ainsi
regagner sa liberté.
Prévert exprime également à travers ce récit son indignation face à la complicité des honnêtes gens (7) qu’il
désigne aussi comme des « braves gens » (22).
L’idée de complicité est exprimée à travers la répétition de
« tous » (16, 22 ,28) et par l’énumération du cortège (17) qui met en évidence la grande diversité des
poursuivants.
Cette énumération à la fois décousue et fantaisiste montre en effet que la haine seule assure la
cohésion de ce groupe composite, rassemblant des gens définitivement ou provisoirement oisifs, les rentiers et
les touristes, des représentants de l’autorité, les gendarmes, mais aussi des artistes que l’on n’imaginait pas
parmi eux.
Pour mieux dénoncer ces gens, Prévert les désigne à deux reprises par antiphrase comme des
« honnêtes gens » parce qu’ils sont persuadés d’être dans leur bon droit.
De même, il les caractérise
ironiquement, par antiphrase encore, comme des « braves gens » (22) pour stigmatiser la certitude unanime
qui est la leur qu’ils sont du côté du droit et de la justice.
Toutefois leur courage consiste à former une meute
armée pour empêcher l’enfant de fuir, dans une véritable chasse à courre.
Lors du fait tragique qui s’est
effectivement déroulé sur l’île en 1934, tous les habitants de l’île s’étaient mobilisés pour retrouver les fugitifs.
On avait donc véritablement assisté à une chasse à l’enfant.
Ainsi Prévert raconte-t-il dans ce poème une tragique chasse à l’enfant et met-il en cause toute une
communauté sociale prête à tout pour préserver l’ordre et les biens matériels.
Par ce témoignage, le poète se
révèle ici comme un écrivain engagé.
Il ne craint pas alors de s’éloigner de la réalité des faits pour être plus
proche de l’émotion.
Cette course poursuite désespérée racontée en vers libres peut évoquer celle que raconte
également Jean Tardieu dans un poème intitulé « est-ce une bête ? ».
Comme le fait Prévert dans « chasse à
l’enfant », Tardieu y raconte une chasse à l’homme tragique qui s’achève, quant à elle, par l’exécution
épouvantable de l’homme traqué..
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